Entre angoisses et lien renforcé, 3 mamans solo partagent leur expérience de la parentalité
Si leur position est souvent traitée sous l’angle de la précarité, la situation des mamans solo est pourtant bien plus nuancée. La preuve avec le témoignage de trois d’entre elles, entre avantages et désavantages de cette parentalité en solitaire.
En Belgique, 508 209 parents sont célibataires, soit 9,9 % de l’ensemble des ménages belges. Concrètement, au moins un enfant sur six grandit donc dans une famille monoparentale. Et une récente étude menée par Bristol montre que cette situation peut avoir un impact positif sur le développement de l’enfant, lesquels apprennent à devenir plus indépendants (67%), plus critiques dans la vie (52%), à mieux gérer l’argent dès leur plus jeune âge (47%) et à acquérir un plus grand sens des réalités (55%).
La relation parent-enfant est également très forte. 59% des parents interrogés déclarent ainsi avoir une relation plus proche, et 54 % d’entre eux affirment qu’ils forment une équipe soudée. Près de 40 % indiquent également que les enfants sont plus prévenants à l’égard de leurs parents.
Voilà pour les chiffres, mais dans les faits? Griet, Evelyne et Els ont choisi d’avoir un enfant sans partenaire et parlent de leur expérience en tant que mamans solo, des obstacles éventuels et des points positifs.
Evelyne (50 ans) a une fille de 11 ans : « Quand ma fille m’a dit, au cours d’une dispute, qu’elle voulait aller vivre avec sa marraine, j’ai été soulagée : elle sentait qu’elle avait quelqu’un d’autre que moi sur qui compter« .
La flexibilité que permet la position de parent isolé est un atout pour moi. J’aime voyager, j’ai déjà vécu à l’étranger, et je n’ai pas besoin de consulter un éventuel partenaire pour décider l’endroit où je vis. Un autre avantage est que lorsque ma fille se réveillait la nuit ou très tôt lorsqu’elle était bébé, je me levais tout simplement. Je n’avais pas le choix, alors que je peux imaginer que cela puisse être un sujet d’irritation pour un couple. Les mamans solo n’ont pas à gaspiller de l’énergie dans ce genre de disputes, et cela facilite la vie de ne pas avoir à se concerter pour les petites décisions.
Mais pour les grands choix importants, je trouve cela plus difficile, comme le choix de l’école par exemple, maintenant que ma fille va entrer dans le secondaire. Pour cela, je peux compter sur une bonne amie – sa marraine – et son mari. Ils connaissent bien ma fille et sont impliqués dans son éducation.
Pensée créative
Plus que dans les familles traditionnelles, les parents isolés sont forcés de trouver des solutions créatives aux problèmes éventuels. Je travaille en dehors des heures d’école de ma fille et je payais donc cher et vilain pour la faire garder… Jusqu’à ce que je décide de résoudre ce problème de garde d’enfants en faisant appel à une étudiante à demeure. Cependant, comme je vis dans un espace exigu, j’ai dormi sur un canapé dans une petite pièce pendant quatre ans. Mais même si j’ai sacrifié de l’espace et de l’intimité, j’ai retrouvé une certaine liberté financière et personnelle. Et ma fille a appris qu’il y a toujours des solutions, ce qui est une compétence extrêmement importante à transmettre à ses enfants.
Good cop, bad cop
Ce que je constate, c’est que mon enfant m’est très loyale, mais je suis consciente de l’écueil que cela peut représenter. Parfois, je dois lui dire très clairement qu’elle ne doit pas s’occuper de moi ou me rendre heureuse, que ce n’est pas son travail. C’est quelque chose auquel il faut peut-être être plus attentif dans une famille monoparentale. En outre, j’ai remarqué que si je posais systématiquement des limites et que je la punissais, elle pouvait se sentir très seule. Vers l’âge de cinq ans, elle est soudain devenue très anxieuse, parce qu’elle a commencé à réaliser que si quelque chose devait m’arriver, ou que je m’éloignais d’elle, il n’y avait personne d’autre.
Rares sont les histoires qui mettent en scène une famille monoparentale qui ne sont pas précédées d’une situation problématique.
Là aussi, j’ai mis à profit la présence de sa marraine et de son mari, et nous avons tenté de lui faire comprendre que, tant sur le plan pratique que sur le plan affectif, elle pouvait toujours s’adresser à eux. Il m’est aussi arrivé de les consulter lorsque je devais punir ma fille : j’étais la plus stricte, sa marraine était un peu plus indulgente, et son mari lui faisait un câlin. Les rôles pouvaient donc être répartis entre d’autres personnes. Une fois, au cours d’une dispute, ma fille a dit qu’elle allait partir vivre avec eux. J’ai été soulagée : je me suis rendu compte qu’elle sentait qu’elle avait quelqu’un à qui s’adresser en plus de moi. C’était très important pour moi.
Absence de références
Elle est également très sociable et va facilement vers les autres enfants pour jouer, mais c’est surtout parce qu’elle est fille unique. Si j’avais eu un partenaire, j’aurais voulu plus d’un enfant. D’un point de vue organisationnel et financier, cela ne fonctionne pas en étant seule à bord. Élever mon enfant en solo est certainement différent de ce à quoi je m’attendais quand j’étais jeune. En grandissant, je n’ai pas connu de familles monoparentales. J’ai moi-même grandi dans une famille très traditionnelle, avec des frères et sœurs. Je n’avais pas de cadre de référence sur lequel m’appuyer, et j’ai donc dû tout construire par moi-même.
Aujourd’hui encore, je ne connais qu’une seule collègue qui élève seule son enfant. J’ai également lu, ou pu lire à ma fille, très peu d’histoires qui mettent en scène une famille monoparentale. Bien sûr, il y en a lorsqu’un parent meurt ou après un divorce, mais jamais sans qu’il y ait eu une situation problématique auparavant. D’ailleurs, j’ai du mal avec la notion de « mamans solo par choix ». Je suis célibataire mais j’aurais préféré qu’il en soit autrement. Le fait est que je vis ainsi parce que je n’ai pas rencontré la bonne personne. Bien sûr, il y a des parents célibataires qui choisissent activement de se débrouiller seuls. Ce n’est pas mon cas. Grâce aux avancées actuelles, j’ai quand même pu avoir un enfant, mais je n’ai pas choisi consciemment de faire tout toute seule, raison pour laquelle je n’aime pas être étiquetée « maman solo et fière de l’être ».
Els (39 ans) a un fils de 19 mois : « Depuis sa naissance, j’ai toujours peur qu’il m’arrive quelque chose« .
Cela peut paraître un peu sec dit comme ça, mais en tant que parent isolé, je suis responsable de tout et ça me plaît. J’ai l’impression que quand on est deux, on passe beaucoup de temps à discuter de l »éducation des enfants, voire même, à se disputer à ce sujet. En étant maman solo, même si je me mets en couple puis que je me sépare, finalement, cela ne change pas grand chose pour mon enfant, ce qui ne serait pas le cas s’il s’agissait de son papa.
Niveau éducation, je suis en contrôle de chaque décision, ce qui est un autre avantage, mais l’inconvénient, forcément, c’est que je dois m’occuper de tout toute seule aussi, même quand je n’en ai pas forcément l’envie ou l’énergie. À l’heure où je vous parle, des jouets traînent partout et je n’ai pas encore changé mes draps de lit: c’est sûr que parfois, ce serait plus simple si quelqu’un d’autre pouvait se charger de certaines tâches. Avant d’être maman, j’avais l’habitude de faire régulièrement du sport, mais je n’arrive pas à me résoudre à confier mon fils quatre fois semaine à une baby-sitter parce que j’ai envie d’aller à la salle. Attention, je constate, mais je ne me plains pas: cette vie, je l’ai choisie.
Horaires adaptés
Sur le plan financier, les choses se passent très bien, car j’étais déjà habituée à me débrouiller avec un seul salaire, alors on ne fait pas d’achats inconsidérés. Et puis il y a l’augmentation des allocations familiales et le congé parental, mais aussi le fait qu’en étant seule, je paie le tarif le plus bas à la crèche et que j’achète souvent d’occasion. Avec deux revenus, on s’en sort évidemment beaucoup plus confortablement, mais encore une fois, je n’ai pas à me plaindre. Lorsque mon fils entrera à l’école, je devrai cependant chercher un autre emploi. En tant que surveillante d’enfants dans une crèche, je travaille par shifts et le dernier se termine à 18h30. Un emploi de neuf à cinq serait préférable: je ne voudrais pas laisser la garde de mon fils trop longtemps à quelqu’un d’autre.
Oser demander de l’aide
Depuis sa naissance, je dois bien avouer que j’ai une peur énorme qu’il m’arrive quelque chose. Cela ne contrôle pas ma vie, mais j’y pense très souvent. Je suppose que tous les parents y pensent. Lorsque j’ai brièvement envisagé un deuxième bébé, j’ai immédiatement pensé : en cas de problème, ce serait le double de la charge. Je suis quelqu’un qui a toujours eu du mal à demander de l’aide, et même si je peux compter sur le soutien de ma mère, j’ai parfois du mal à faire appel à elle. C’est clairement quelque chose sur lequel je dois travailler.
C’est vrai que c’est une décision égoïste: j’ai choisi la monoparentalité, pas lui.
Autre point d’attention: le regard que je porte sur ma monoparentalité. Mes proches me disent qu’ils sont heureux pour moi, que tout a l’air d’aller pour le mieux pour nous deux… Et je le pense aussi, mais j’espère que plus tard, mon fils ne me reprochera pas de l’avoir mis au monde sans père. Après tout, ce serait son droit de m’en vouloir, parce qu’en fin de compte, il s’agit d’une décision égoïste de ma part: j’ai choisi la monoparentalité, mais lui n’a pas eu son mot à dire. Il y a de fortes chances pour qu’il s’en plaigne plus tard, mais en attendant, je ne reçois que des réactions positives, ce qui fait beaucoup de bien. Devenir maman, j’en ai rêve pendant dix ans, jusqu’au moment où j’ai pris conscience qu’il allait falloir que je change quelque peu l’image que je me faisais de la famille idéale si je voulais que ça devienne réalité. Pour moi, sauter le pas et devenir maman toute seule est la meilleure décision que j’ai jamais prise.
Un filet de sécurité
Ma mère était là dès la naissance de mon fils, alors quand j’ai besoin d’aide, je me tourne vers elle: mon fils est toujours heureux de la voir, et vice versa. J’ai la chance de pouvoir aussi compter sur le soutien de mon père, de mon frère et de ma soeur, qui m’ont chacun fait part de leur soutien avant même que je n’entame les démarches pour tomber enceinte. S’il faut en croire les échos de mes proches, les mamans solo sont des héroïnes qui accomplissent chaque jour un véritable tour de force, mais je n’ai pas l’impression de repousser mes limites. Mon fils est un enfant calme et gentil, plutôt bon dormeur, ce qui facilite évidemment les choses. Peut-être que ça aurait été différent avec un bébé qui pleure tout le temps, ou qui ne supporte pas d’être éloigné de ses parents, même pour aller à la crèche, mais heureusement, ce n’est pas le cas. J’ai aussi veillé à ce qu’il soit très vite confronté au monde qui l’entourait, en sortant en ville avec lui presque dès sa naissance, parce que je savais qu’il fallait le préparer à une réalité différente de celle des autres bébés.
Griet (50 ans) a un fils de 12 ans : « Ça me manque d’avoir quelqu’un qui peut un peu jouer l’arbitre en cas de conflit ».
En tant que parent célibataire, au moins je n’ai pas à me demander qui sortira les poubelles ou qui préparera le dîner. Je ne gaspille pas d’énergie à me disputer au sujet de corvées qui n’ont pas encore été accomplies. Lorsque mon fils était un peu plus jeune, je trouvais également pratique que mes décisions ne soient remises en cause par personne. Il savait que si je lui disais quelque chose, c’était comme ça, point barre. Mais tout n’était pas rose pour autant: je dois bien avouer que je trouvais parfois ennuyeux d’être toujours dans un langage d’enfant, sans pouvoir avoir une conversation d’adulte.
Aujourd’hui, je dois toujours penser à tout : tenir le journal de classe, surveiller les devoirs… Mais n’avoir à compter que sur moi-même est aussi devenu un inconvénient autrement. L’éternelle bataille pour le temps passé derrière un écran, notamment, est épuisante. Tout comme le « je n’aime pas » péremptoire quand je prépare à manger. Dans des moments comme ceux-là, je dois bien avouer que ça me manque d’avoir quelqu’un qui puisse jouer un peu l’arbitre, dire « mais enfin, c’est bon » ou juste appuyer mes décisions.
Pas de répit pour les mamans solo
Sur le plan financier, nous nous en sortons, même si certaines activités sont hors de notre portée. Par exemple, nous allons rarement au restaurant. Parce que mon fils ne mange pas de tout et n’en a pas forcément envie, mais aussi parce que nous préférons garder cet argent pour le dépenser autrement. En ce qui me concerne, je vais par contre régulièrement boire un café seule ou avec des copines, et je chéris ces moments. Pour ce qui est des vacances, par contre, c’est aussi plus compliqué. Cela coûte cher, et puis quand on arrive au camping, on se retrouve entourés d’autres familles, et donc on est encore en tête-à-tête. Pour y remédier, je cherche toujours un lieu de vacances où je sais qu’il y aura d’autres enfants et où il pourra jouer au foot, même si dans l’ensemble, il préfère rester à la maison. Mais chaque année, j’économise pour que nous puissions partir skier: mon fils adore ça, et ce qui est chouette, c’est qu’à la montagne, on ne doit jamais réfléchir à ce qu’on va faire, le programme de la journée est clair.
Quand tu es divorcé, tu as du temps sans tes enfants, mais il n’y a jamais de pause pour les mamans solo.
J’ai un bon salaire, pour lequel je dois travailler dur la nuit, le soir et les week-ends. Cela nous permet, sans grosses dépenses, de nous en sortir financièrement. Cependant, comme je travaille à temps plein, nous sommes exclus de toutes les allocations. S’il poursuit ses études, je pense que la situation sera très différente, car même si on s’en sort, je n’arrive pas à mettre de l’argent de côté, et lui payer un kot, par exemple, sera impossible. Bien sûr, il y a des mamans solo qui sont dans des situations bien plus difficiles que la mienne: j’ai un enfant en bonne santé, qui n’a besoin d’aucun soin coûteux type orthophonie ou physiothérapie, j’ai beaucoup de chance.
Gagner en indépendance
Et quelque part, mon fils aussi: notre situation familiale fait qu’il est beaucoup plus indépendant que ses petits camarades de classe. Pendant le COVID, alors qu’il n’avait que 9 ans, il n’avait aucun problème à rester seul à la maison. Heureusement, car je suis infirmière à domicile, et il m’arrive donc souvent de devoir m’absenter, même en soirée. Quand ça arrive, je lui dis qu’il est temps d’aller dormir, et ça se passe toujours très bien. Lorsqu’il était plus petit, je l’emmenais chez mes parents quand je devais aller travailler, mais maintenant qu’il est en première secondaire, il est déjà autonome pour se gérer sans moi.
Maman à plein temps
Heureusement, d’ailleurs, car je suis une maman célibataire, non divorcée, ce qui fait une grande différence. En cas de rupture, il reste l’ex-partenaire, avec qui vous pouvez avoir de nombreux conflits, certes, mais qui reste en partie responsable de l’éducation. Si vous êtes divorcé, vous avez aussi des périodes de temps sans vos enfants, mais il n’y a jamais de répit pour les mamans solo. Quand j’ai pris la décision de devenir maman solo, c’est parce que je sentais que mon horloge biologique commençait à s’accélérer, mais je n’avais pas pour objectif de rester seule si longtemps. Les autres mamans peuvent profiter de moments avec leurs copines pendant que leur moitié garde les enfants, mais quand je rentre du travail à 21h, je n’ai pas envie de laisser mon fils à nouveau seul. C’est difficile, et je pense que ça complique aussi ma recherche d’un partenaire, parce que les hommes que je rencontre doivent prendre en compte le fait que je suis maman à plein temps, et pas juste une semaine sur deux.
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