Des vacances à la maison: « Faire les valises me donne la nausée »

Yseult © JEF BOES
Isabelle Willot

Ces dernières semaines, nous sommes nombreux à avoir dû annuler nos projets d’escapades lointaines. Voici trois irréductibles casaniers qui ont, pour leur part, prévu de passer tout l’été dans leur jardin. Comme chaque année..

Ancienne championne de natation, policière et photographe, Yseult (41 ans) n’échangerait son jardin contre aucun voyage paradisiaque.

« Quand j’étais jeune, je partais six mois par an pour mes compétitions de natation (NDLR: Yseult Gervy a participé aux JO d’Atlanta et Sydney). Et vu que mes parents adoraient voyager, on faisait aussi des choses dingues avec eux, en Chine, au Kenya… Mais au fur et à mesure, j’ai ressenti le besoin de me centrer sur mes racines. Quand j’étais en Australie ou à New York, je me disais que c’était mieux ici.

Plus tard, c’est devenu une angoisse. Faire les valises me donnait la nausée, et sur le trajet, j’avais l’impression qu’on m’enlevait une jambe. Partir, c’est multiplier les stress: ne rien oublier, se lever à 4 heures du mat’ pour attraper l’avion, bronzer collés les uns aux autres, faire la file au buffet… Et puis, le lit est systématiquement trop petit. Le lendemain, on a mal dormi, on est sur un transat et les gosses débarquent pour savoir quel est le programme… Laisse tomber! Pour moi, les congés, c’est se reposer au calme et ne penser à rien; je fais ça mieux dans mes repères! Et si je veux bouger, en Belgique, il y a plein de trésors méconnus. En tant que photographe, je trouve que notre pays offre une multitude de paysages, des teintes pastel de la mer au vert intense des Ardennes. Je crois que je suis juste devenue hyper casanière. C’est peut-être dû à mon métier de policière. Je suis perpétuellement en contact avec des gens, et pas que le côté rose. J’ai besoin de me couper de ça. Sans compter que je réduis ainsi mon empreinte carbone.

Cela dit, j’avoue, je peux me permettre ça car le lieu où j’habite, dans le Brabant wallon, s’y prête. Pour quelqu’un qui vit dans un appartement à Bruxelles, c’est sûrement différent. Nous, on a le jardin et la piscine, qu’on a décidé d’installer car nous ne dépensons pas de sommes démesurées pour partir. Ici ou au Club Med, c’est la même chose. Et par rapport aux enfants, j’ai la grande chance que leur papa – nous sommes séparés – adore voyager. Il fait découvrir le monde aux filles et ça me déculpabilise. Moi, j’essaye de leur apporter autre chose, par la médiation ou la danse classique par exemple. C’est une sorte de voyage intérieur, et on peut y ressentir le même lâcher-prise qu’au bout du monde. »

Martine
Martine© JEF BOES

Les dernières vacances à l’étranger de Martine (49 ans), assistante de laboratoire, remontent à sept ans déjà.

« Pour les 50 ans de mon mari, il y a deux ans, son meilleur ami avait proposé qu’ils partent tous les deux au Kirghizistan, faire du vélo. N’importe qui aurait sauté sur l’occasion, mais il a tout de suite répondu que ça ne lui correspondait pas. Il faut dire que nous ne sommes pas de grands aventuriers. Cela explique que nous ne partions quasi jamais en vacances en famille. Où loger? Comment se déplacer? Avec une famille de quatre enfants, c’est difficile de planifier quelque chose qui plaise à tous. Les uns ont envie de farniente sur la plage, les autres de visites dans les musées… Alors, petit à petit, on a pris l’habitude de ne plus partir. En l’espace de vingt ans, nous n’avons voyagé que deux fois avec nos kids. Récemment, je leur ai demandé s’ils s’étaient sentis frustrés et oui, en effet, ça leur a manqué quand ils étaient jeunes. En tant que mère, cela a été difficile à entendre. Mais maintenant qu’ils sont plus âgés, ils partent avec leurs copains.

Moi-même, je viens d’une famille nombreuse, et nous n’allions jamais en vacances. Mon père avait peur de l’avion et ni lui, ni ma mère n’avaient de permis de conduire. Je ne m’en suis jamais plainte. Petite, j’avais une terrible nostalgie de la maison: quand je partais en camp de Lutins, je pleurais non-stop pendant dix jours. Je n’aimais pas m’éloigner de chez moi, et ça m’est resté. Peu de gens le comprennent. Il semble évident, à notre époque, de partir loin au moindre congé. Et si on ne le fait pas, on est vite catalogué comme pantouflard, une personne ennuyeuse et hyper limitée dans sa connaissance du monde. Et ce, même si, à l’autre bout de la planète, la plupart des gens ne quittent pas leur hôtel ou le bord de la piscine… En réalité, passer ses vacances à domicile nécessite juste de savoir briser la routine: on fait la grasse matinée, on va au restaurant, on s’offre des escapades d’un jour et on oublie le linge sale (rires). On essaie de transformer notre logis en maison de vacances! »

Steve
Steve© Jef Boes

Steve (27 ans), agriculteur, vit au rythme de la nature et des saisons, entouré de paysages magnifiques dont il profite au quotidien.

« Cela fait un peu plus d’un an que j’ai repris l’élevage des Beaux Chênes, près de Bouillon. Cette ferme, j’ai toujours baigné dedans, elle est dans ma famille depuis quatre générations. Quand j’étais gamin, déjà, dès le petit-déjeuner, on parlait du bétail, des cultures. Et quand venaient les vacances, plutôt que de partir en France ou dans le sud de l’Espagne, je prêtais main forte à mes parents pour la fenaison ou la moisson. Je ne me suis jamais senti obligé, c’était une envie profonde. Je suis un enfant de la terre : être agriculteur, c’est une vocation.

A l’école, j’étais inscrit dans une section agricole. Mais avant de reprendre la ferme, j’ai travaillé comme mécanicien, en France notamment, mon père voulait que je me fasse les dents ailleurs et il avait raison. A l’époque aussi, je faisais du saut à la perche, j’avais un bon niveau, je voyageais régulièrement à l’étranger pour des compétitions. Ça me manque parfois, l’esprit de groupe surtout, mais en me lançant dans ce métier, je savais que j’allais devoir me retrousser les manches car je voulais aussi développer l’exploitation. Quand on travaille avec le vivant, on n’est jamais à l’abri d’un stress climatique ou d’une bête malade dont il faut s’occuper sans attendre. Je suis sur le qui-vive tout le temps. Et en même temps, j’ai la chance de vivre dans une région magnifique, terre de villégiature pour beaucoup de citadins qui viennent y chercher le calme, la paix, le contact avec la nature. Tout ce qui fait mon quotidien. Et ils m’en parlent avec envie lorsqu’il viennent acheter des produits à la ferme. Chaque matin, au lever du soleil, je pars pour la traite en prairie des vaches laitières de mon troupeau. Il n’y a rien de plus beau que ces paysages qui changent tous les jours. Le confinement que nous venons de traverser, je ne l’ai même pas senti car j’ai continué à passer ma vie dehors, à m’occuper de mon élevage de coucous de Malines, des cultures aussi qui me servent à nourrir mon bétail. Dans ma ferme, je fais ce dont j’ai envie. Je ne vois pas ce qu’un séjour dans un resort 4-étoiles pourrait m’apporter. »

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