Geoffroy Delorme, « l’homme-chevreuil »: « On croit que la Terre et l’univers nous appartiennent, mais c’est du vent »

© GEOFFROY DELORME
Mathieu Nguyen

Epris de liberté, Geoffroy Delorme (37 ans) tourne le dos à la société au sortir de l’adolescence, pour s’enfoncer dans la forêt. Il y passera un total de sept ans en autonomie parmi les animaux sauvages. Une aventure qu’il raconte dans son livre, L’homme-chevreuil.

On veut toujours plaire à ses parents. Puis, quand on grandit, on se rend compte que ce n’était pas nécessairement le bon choix. Quand j’étais petit, je jouais dans mon jardin, fermé, et je n’avais aucune interaction avec les enfants du quartier. Et même si je voulais entrer en contact avec eux, quand on me posait la question, je répondais que j’étais très heureux comme ça, pour ménager mes parents. J’ai toujours voulu aller vers les autres, mais je ne savais pas comment faire. C’est ma copine qui m’a montré comment communiquer, me réintégrer, bien plus tard. Je ne détestais pas la société, elle me faisait peur parce que je ne la connaissais pas – et les gens qui vivent parfois très loin de la nature éprouvent le même genre de sentiments. Ce n’est pas une question de haine mais d’intégration, d’adaptabilité.

Je n’ai pas le bon rapport au temps: je vis « avec » le temps. Là, j’ai une montre, parce que j’ai une chronologie à respecter, sinon je n’en porte pas. Le temps et la durée sont deux choses différentes; une même journée pourra sembler plus courte ou plus longue, suivant son intensité. En forêt, la durée paraît très courte alors même que, par définition, en vivant dehors, on prend le temps. C’est assez perturbant.

Quand je prends soin des autres, je prends soin de moi-même. Je suis plutôt dans l’écologie corporelle: on a une micro-écologie, notre corps, et une conscience. Il faut pouvoir aligner les deux pour mieux comprendre les environnements et les écosystèmes qui nous entourent. Si on ne se comprend pas soi-même, on ne peut pas comprendre les autres; c’est ça que j’essaye d’inculquer aux gens. On a des voisins humains, on peut en prendre soin, mais on a aussi des voisins animaux et végétaux, si on ne prend pas soin d’eux, on se détruit nous-mêmes.

On est devenus très possessifs, à tel point que l’on croit que la Terre et l’univers nous appartiennent. Mais c’est du vent.

La différence entre ce qui se passe dans la nature ou chez les humains, c’est le jugement. On peut vivre dans la nature et apprécier cette vie, avec les bons comme les mauvais moments. On accepte ce qui nous arrive, sans y penser, sans y réfléchir, et sans le jugement des humains. On n’est pas dans le « c’était mieux avant » ou « ce sera mieux demain », on construit aujourd’hui, au présent, selon le mode de vie des chevreuils et de tous les autres animaux.

On évolue dans la compétition alors que la nature évolue dans le partenariat. Un chevreuil se fera toujours bouffer par un loup. Mais nous, on a décidé qu’il y avait « le prédateur », super intelligent, super méchant, super violent, c’est le plus fort et le plus intelligent, et en dessous, il y a le pauv’ petit lapin sans défense, qui n’est là que pour servir de repas. Sauf qu’en fait, la vie du loup dépend du lapin. Toute la grandeur de la nature se retrouve chez le plus faible, pas chez le plus fort. C’est donc au plus fort, au plus violent, d’avoir la réflexion de ne pas tuer tout ce qu’il trouve, de trouver un équilibre.

L'homme-chevreuil, par Geoffroy Delorme, Editions des Arènes.
L’homme-chevreuil, par Geoffroy Delorme, Editions des Arènes.

Notre civilisation peut disparaître, mais l’homme lui survivra. L’espèce humaine a surmonté bien des tracas au cours de son évolution, donc le problème n’est pas un problème d’hommes, mais d’interactions sociales. Comment trouver une liberté dans l’interdépendance? Comment supprimer la liberté pour l’autonomie? La liberté est une utopie, elle n’existe pas. Etre libre, c’est tuer son voisin qui vous ennuie: d’un coup de fusil, c’est réglé. Je suis libre, je fais ce que je veux, comme je le veux, si je le veux. Or, si je comprends que j’ai une interdépendance avec lui au-delà de nos désaccords, qu’il m’est utile à beaucoup de choses, que je lui suis utile aussi, mais que je n’ai pas besoin de lui pour vivre, parce que je suis autonome, alors là, on aura tout compris. C’est comme ça que les animaux évoluent.

La sur-vie, elle est dans la société qui sur-consomme, qui sur-fait. On a une très belle technologie, que l’on peut développer vers plus de bienveillance que de maltraitance. Je n’ai rien contre Internet, les téléphones et les voitures. Mais est-ce qu’on a besoin de fabriquer autant pour posséder autant? Il suffirait juste parfois de se rationner un peu, de se demander si on a besoin d’autant de choses. On est devenus très possessifs, à tel point que l’on croit que la Terre et l’univers nous appartiennent. Mais c’est du vent. On n’est que de passage, comme tous les autres. Il est temps de s’en rendre compte, ce serait dommage de perdre une civilisation qui avait toutes ses chances, parce qu’elle n’a pas réussi à s’intégrer.

L’homme-chevreuil, par Geoffroy Delorme, Editions des Arènes.

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