Les 1001 vies de Marie Storck, initiatrice du Tai Chi en Belgique

Marie Storck © Leila Fery
Stagiaire

Dans son appartement situé au coeur d’Ixelles, Marie Storck me reçoit avec un thé aux fruits rouges. A l’écouter, elle a eu mille vies. Toutes intéressantes. Des vies de découvertes. La soif d’apprendre et la jeunesse d’esprit toujours présentes, Marie ne donne pas son âge mais aime se dire avoir entamé son quatrième acte. Des arts au Tai Chi, en passant par l’ethnographie : rencontre avec cette grande dame.

Premier acte : Le cinéma et l’ethnographie pour prémisses

Dès l’enfance, Marie est plongée dans le monde artistique. Fille d’Henri Storck, célèbre cinéaste belge, elle grandit dans l’appartement familial qui regorge de sculptures, de peintures et d’oeuvres d’art de tous genres. C’est via un des amis de son père, Charles Leplae, sculpteur de longue date, qu’elle entend parler du monde artistique chinois et plus particulièrement de l’art de la calligraphie. Ce monde lui paraît alors proche, ce qui n’est pas si évident pour l’époque.

Dans un deuxième temps, Marie épouse Luc de Heusch, un cinéaste et ethnographe célèbre. Ils partent ensemble pour Paris et, dans la foulée, elle quitte son lycée bruxellois pour suivre des cours d’ethnographie au Musée de l’Homme de Paris. En 1952, Marie et Luc partent au Kasaï. Une aventure extraordinaire. Son premier contact avec les voyages. C’est la traversée du désert, du Sahara, la découverte d’un autre continent. Chapeautés par l’IRSAC (l’Institut Royal pour la Recherche en Afrique centrale), ils s’engagent dans une mission de deux ans. Sur place, ils logent dans des huttes en terre au milieu de petits villages. Avec sa peau blanche, Marie est rapidement repérée et les villageois viennent lui rendre visite pour obtenir des soins de santé. Oui, mais voilà, elle n’avait pour seul bagage médical que ses études de secourisme ainsi qu’une extraordinaire quantité de médicaments livrés par l’IRSAC. Les dispensaires étaient parfois fort éloignés des villages, certes, mais elle comprend rapidement que si les habitants préfèrent venir la voir, c’est parce qu’une visite au dispensaire leur est facturée un franc. Après plusieurs refus, Marie finit par accepter certains d’entre eux mais pas gratuitement. Elle instaure un système de troc : en échange des premiers soins, elle leur demande un oeuf.

Si cet épisode peut paraître anecdotique, en dehors des visions fantasmées des paysages africains que cela peut produire dans nos imaginaires, il a été capital dans sa vie : « Luc était brillant en ethnographie, il manipulait ses données compliquées et moi je n’étais pas formée. J’étais très timide, je n’étais pas faite pour demander aux gens de me raconter leurs traditions ancestrales. J’étais paniquée. Mais le fait de rencontrer des gens et d’avoir une action sur eux, de pouvoir les aider dans la mesure de mes moyens est la chose la plus extraordinaire qui me soit arrivée. Je me suis sentie impliquée. J’avais un rôle. J’étais utile ». Marie y voit alors le fondement de sa nature : rencontrer des gens et pouvoir s’occuper d’eux.

Deuxième acte : La découverte du Tai Chi

C’est en 1955 que Marie foule à nouveau de ses pieds notre plat pays. Quelques années plus tard, elle se sépare de Luc de Heusch. Elle doit trouver un travail pour subvenir à ses besoins. Appelons cela le destin ou le karma, elle était en contact avec un ami, Pierre Alechinsky, peintre et graveur belge de renom, dont la mère dirigeait une école de kinésithérapie. Poussant la porte de cette école, elle se retrouve nez à nez avec un squelette de démonstration. D’emblée, Marie en est fascinée. Sa bonne étoile continue à la suivre puisque c’était la dernière année où un diplôme de fin de lycée n’était pas exigé. Le seul sésame pour intégrer l’école était la réussite d’un examen d’entrée. Une bonne quinzaine d’années de métier de kinésithérapie derrière elle, elle tombe nez-à-nez avec une annonce au sujet d’une formation en massage chinois. Elle se lance dans l’inconnu : « A cette époque, les médecines orientales n’étaient absolument pas connues en Belgique. C’était incroyable car ça réunissait ma passion pour la Chine, mon métier de kiné et ma passion pour soigner les gens ». Rapidement, elle se rend compte que la pratique du massage est très exigeante d’un point de vue physique, et que cela demande beaucoup d’énergie. Energie qu’elle devait récupérer par un autre moyen. De fil en aiguille, elle se tourne vers une technique qu’elle considère comme complémentaire : le Tai Chi. Elle entame une formation, en Belgique, auprès de Cara van Wersch, actrice par ailleurs. Les massages chinois et le Tai Chi pour compagnons de route, Marie est replongée au coeur de son amour pour la Chine. C’est en 1978 qu’elle s’y rendra pour la première fois. Elle saisit cette opportunité grâce à l’Association Culturelle Chinoise qui propose un voyage thématique autour de la médecine chinoise. « On était un petit groupe. Ma stupéfaction et mon bonheur absolu, dans un hôtel qui s’appelait « hôtel de l’amitié », un hôtel avec une atmosphère russe, c’était de voir le matin un Chinois dans un parc faire du Tai Chi en Chine. Oui voilà, les Chinois font du Tai Chi » explique-t-elle. Les années qui suivirent, Marie retourne plusieurs fois à Taïwan pour poursuivre un enseignement auprès d’un maître basé à Taipei.

Ce n’est que dix ans après sa propre formation qu’elle s’autorise à devenir elle-même professeur de Tai Chi. Cette envie d’enseigner, Marie l’a tirée d’un constat. De par son métier de kinésiste, elle était confrontée régulièrement à des personnes souffrant de problèmes pneumologiques. Ces malades, m’explique-t-elle, ont énormément de difficultés à effectuer un grand nombre de mouvements. Les seuls qui leur convenaient étaient ceux puisés dans la médecine chinoise. Ce sont des mouvements très doux. Si Marie a commencé à enseigner, c’était pour soulager ses patients, avant tout. Elle a suivi plusieurs de ses étudiants pendant de longues années. Mais l’exigence du Tai Chi demandant une telle constance, aucun d’eux n’a fini par devenir professeur. Un léger regret pour Marie.

Bibliothèque de Marie Storck
Bibliothèque de Marie Storck© Leila Fery

Troisième acte : Le glissement vers le Qi Gong et le bouddhisme

Au fur et à mesure, Marie se tourne vers le Qi Gong. Les mouvements sont plus concentrés et demandent moins d’aptitudes physiques. Ils lui conviennent davantage. Moins art martial qu’art du souffle, le Qi Gong est également plus tourné vers la santé. Il s’adresse aux fonctions du corps telles que le foie, les poumons, la rate, et les autres. Formée par un maître en Qi Gong dans le sud de la Chine, Marie étudie actuellement la circulation de l’énergie dans les méridiens, ce qui est plus en lien avec son métier de kinésiste et sa pratique de l’acupressure. La grande dame insiste sur le fait que c’est une pratique qui exige une connaissance de son propre fonctionnement : « si tu n’essaies pas d’intérioriser, que tu ne médites pas, que tu n’acceptes pas d’avoir un certain rythme dans la discipline, alors tu ne pourras pas te relier au profond ». C’est l’erreur que font bon nombre de personnes qui se lancent dans la pratique du Tai Chi ou du Qi Gong. Ils minimisent l’investissement que cela demande.

Avec toutes ces cordes à son arc, on est à même de se demander comment Marie Storck fait pour ne pas s’emmêler les pinceaux. Elle explique qu’elle choisit ses méthodes de soin les plus adaptées en fonction de la personne qui se présente. Selon elle, tout est question de la disponibilité du soigneur. Elle a appris à développer un sens pour capter la personnalité du patient. Mais Marie garde bien les pieds sur Terre et rappelle qu’il faut savoir comment le corps fonctionne et que des bases médicales sont absolument nécessaires. Elle déplore d’ailleurs la montée en flèche de l’aspect mercantile de certaines disciplines telles que le yoga et plus récemment encore le Tai Chi.

Marie dévoile alors sa dernière carte : l’étude du bouddhisme. Lors de son voyage en Chine, déjà, elle avait baigné dans les références à la spiritualité, de nombreux temples bouddhistes étant présents sur le sol chinois. Mais la magie a réellement opéré lors de l’un de ses autres grands voyages, dans les années 90, sur les sommets de l’Himalaya. Elle se joint alors à un de ses compagnons de voyage, comme elle aime les nommer, pour aller aider un monastère situé à 4000 mètres d’altitude. Un internat devait s’y ouvrir. Progressivement, elle y rencontre des personnes qui côtoient des maîtres bouddhistes. Et, c’est en 1995 que Marie pousse elle-même la porte d’un monastère y suivre l’enseignement bouddhiste. Enseignement qu’elle poursuit, les années suivantes, dans des monastères français notamment.

Quatrième acte : Tout est finalement question de chemin.

Après l’écoute des différents chapitres de sa vie, la perméabilité de ses intérêts devient plutôt évidente. De fil en aiguille, la vie de Marie Storck paraît s’être tissée autour de l’investissement. Une chose ayant entraînée une autre, tout semble relié.

L’engagement vis-à-vis de soi-même et des autres, c’est là que Marie puise sa force motrice. Au final, le point commun entre le Tai Chi, le Qi Gong et le bouddhisme, c’est l’idée du perfectionnement. « On essaie de comprendre son propre fonctionnement, physique et psychique. On s’investit vis-à-vis de son métier et des autres. Il y a un côté spirituel à cela. Tout rayonne. C’est ça le chemin ». Parce que le chemin est un temps, une voie pour comprendre les choses. La longueur de ce temps revêt un aspect positif et nécessaire. C’est ce qui donne sens. Le chemin est une progression personnelle, une voie, une recherche, un équilibre pour soi.

Après près de deux heures de conversation, elle conclut d’elle-même « quand je repense à tout ça, tout vient l’un de l’autre. Et je me dis que c’est peut-être ça regarder sa vie ».

Leila Fery

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