Comment fête-t-on Noël dans les familles multiculturelles ?

Mohamed et Naomi © BOUMEDIENE BELBACHIR, MAXENCE DEDRY ET KLAARTJE LAMBRECHTS
Kathleen Wuyard

Jeûner durant le ramadan sans être musulman pour autant, fêter Noël au restaurant chinois ou encore marier foie gras et spécialités indonésiennes au réveillon: quand différentes cultures se rencontrent au sein d’une même famille, de nouveaux rituels voient le jour. Une manière pour ces tribus multiculturelles de ramener les fêtes à l’essentiel: le partage.

Mohamed (42 ans) et Naomi (39 ans) sont ensemble depuis quinze ans et se sont mariés en 2017

Combiner leurs racines marocaines et belges, mais aussi islam et athéisme, n’a pas toujours été simple même s’ils y sont parvenus à coups de compromis.

Naomi: «Ce n’est qu’après trois ans de relation, quand on a emménagé ensemble, que nos héritages culturels respectifs ont commencé à poser des problèmes au sein de notre couple. On pensait se connaître suffisamment bien pour que ce ne soit pas le cas, mais il a tout de même fallu s’adapter aux coutumes de chacun, particulièrement le ramadan en ce qui me concerne.»

Mohamed: «Durant le ramadan, je mange chaque soir chez mes parents, qui habitent à une rue de chez nous. On se réunit autour de la table jusqu’aux petites heures avec mes frères et sœurs.»

Naomi: «On peut dire que ça a été un choc culturel pour moi: le réveillon ne dure qu’un soir, et déjà comme ça, je trouve que ça suffit. Même si j’ai été élevée dans une famille athée, on célébrait tout de même les fêtes catholiques type Noël et Pâques. Pour moi, c’est important de respecter les traditions, parce qu’elles sont la plupart du temps très conviviales.»

Mohamed: «Au début, en tant que musulman, je trouvais ça un peu bizarre de décorer un sapin de Noël. On en a pas mal discuté quand la question d’en installer un ou non s’est posée, mais finalement, je trouve ça important que nos enfants grandissent avec cette tradition-là aussi. Petit, je ne célébrais ni Noël, ni Saint-Nicolas, et quand les autres parlaient de leurs cadeaux à l’école, je me sentais exclu. Je ne voulais pas que mes enfants vivent ça, donc ils mettent leurs chaussures pour Saint-Nicolas, comme Naomi quand elle était môme. On veut les élever bercés de nos deux cultures, mais aussi de nos deux langues: à la maison, je parle autant que possible arabe, et j’ai la chance que Naomi comprenne tout.»

« Au début, en tant que musulman, je trouvais ça bizarre de décorer un sapin de Noël » Mohamed

Naomi: «Suivre des cours d’arabe a été une manière pour moi de m’immerger dans la culture de Mohamed au début de notre relation. Ma belle-mère est une cuisinière hors-pair et j’apprends la gastronomie marocaine à ses côtés. Sa famille m’a aussi fait changer de perspective sur la religion: j’ai réalisé que pour les croyants, c’était quelque chose de normal, et que la foi est partout au quotidien plutôt que dans de grands miracles.»

Mohamed: «La religion est quelque chose de personnel: tu crois ou pas. J’ai envie de transmettre à mes enfants les valeurs que j’ai reçues de mes parents, en sachant qu’ils en feront ce qu’ils voudront après.»

Naomi: «Forcément, mon point de vue sur la foi est autre. Avoir des parents si différents ne sera peut-être pas toujours simple pour eux, mais Mohamed et moi sommes très respectueux de la culture de l’autre, et du droit à chacun d’être soi-même. C’est ce qui nous permet de vivre notre multiculturalité de manière harmonieuse.»

Sukma et Laurent
Sukma et Laurent © BOUMEDIENE BELBACHIR, MAXENCE DEDRY ET KLAARTJE LAMBRECHTS

Sukma (42 ans), indonésienne, partage la vie de Laurent (54 ans) et de sa fille depuis sept ans

Sukma est originaire d’une famille musulmane de Java et est arrivée en Belgique à l’âge de 20 ans. Laurent est un Franco-Polonais élevé dans une famille catholique.

Sukma: «L’Indonésie est le plus grand pays musulman au monde, et là-bas, on attendait la fête de l’Aïd comme la Noël en Occident. C’était l’occasion de se retrouver en famille, mettre ses plus beaux vêtements, se recueillir puis partager un véritable festin. D’abord avec les membres de sa famille nucléaire, puis chez le membre le plus âge de la famille, chez qui on se réunissait tous en apportant des plats typiques, comme le kari lontong, un curry à base de curcuma, ou le sambal goreng kentang, des pommes de terre agrémentées de crevettes et d’une sauce à base de piments, tomate et galanga. J’ai rencontré le père de mes enfants quand je suis arrivée en Belgique, mais il s’est converti à l’Islam et donc quand ils étaient petits, on ne fêtait pas non plus Noël à la maison. Par contre, quand j’ai emménagé avec Laurent, on a décidé de faire cohabiter nos traditions respectives.»

Laurent: «Je viens de France du côté de ma maman, et de Pologne du côté de mon papa, ce qui influençait beaucoup notre manière de célébrer Noël puisque c’est un pays très catholique. D’ailleurs, dès les cadeaux ouverts, mon père ne manquait pas d’aller à la messe de minuit avec mes deux frères. Pour ma part, je ne les ai accompagnés que quelques fois, mais cette célébration restait importante pour moi. On fête donc le réveillon du 24 avec mes parents, et le 25, on rassemble nos deux familles à midi. Et à table, au-delà des incontournables tels que huîtres ou foie gras, Sukma, qui est cheffe, introduit des touches indonésiennes. Certains plats plaisent un peu moins à mes parents, qui ont un palais plus conventionnel, mais ils sont toujours curieux de goûter ce qu’elle prépare.»

« Mes enfants sont gagnants car on célèbre deux fois plus de fêtes » Sukma

Sukma: «Mes enfants savent que Noël n’appartient pas à mes coutumes, mais ils sont ravis qu’on installe un sapin maintenant qu’on habite avec Laurent. Et au moment de l’Aïd aussi, on marie nos deux cultures, puisque j’organise chaque année un grand repas avec d’autres familles indonésiennes à la maison. Quand les invités arrivent, ils demandent pardon pour les pêchés commis durant l’année écoulée, puis on repart de zéro et on se retrouve autour d’un véritable banquet. Finalement, mes enfants sont les grands gagnants de notre relation multiculturelle, car désormais, on célèbre deux fois plus de fêtes. Pour eux, c’est un vrai avantage, ils vivent très bien ces identités parallèles et ils posent beaucoup de questions. Et aujourd’hui, Noël est devenu un moment de rassemblement important pour nous aussi.»

Joe
Joe © BOUMEDIENE BELBACHIR, MAXENCE DEDRY ET KLAARTJE LAMBRECHTS

Joe (43 ans) a grandi avec une mère chinoise et un beau-père belge

Chaque année, il ne manque pas l’occasion de célébrer le Nouvel An chinois, même si au quotidien, il n’est plus certain de la place que prennent ses origines multiculturelles.

«Comme je suis né en Belgique, la culture occidentale a toujours primé chez moi. Quand j’avais 8 ans, ma maman, qui est chinoise, s’est remariée avec un Belge, donc j’ai grandi en fêtant Noël et Nouvel An. Des fêtes célébrées chaque année au restaurant chinois de ma maman, à Saint-Nicolas, avec mon beau-père mais aussi le reste de la clientèle, et des plats asiatiques plutôt que du foie gras ou du saumon fumé. Maintenant que ma mère est à la retraite, on se réunit à la maison, mais on continue de se rassembler pour les fêtes de fin d’année. Ainsi que pour le Nouvel An chinois, qui tombe un mois environ après Noël. Dans la culture chinoise, c’est un moment de rassemblement de la plus haute importance. On retrouve ses proches, on leur souhaite tout le meilleur pour l’année à venir, mais surtout, on mange. Des quantités incroyables (rires).

« Ta chance durant l’année à venir dépend des plats que tu manges au Nouvel An chinois, et en quelles quantités » Joe

La table déborde alors de plats typiques, dont chacun symbolise une forme de chance. Le poisson à la vapeur, par exemple, représente le sentiment de plénitude, tandis que les mini loempias garantissent la richesse, parce que leur forme évoque celle de petits lingots d’or, et les nouilles yi mein désignent une longue vie. D’ailleurs, on les appelle littéralement aussi «long life noodles». Et ta chance durant l’année à venir dépend non seulement des plats que tu manges au Nouvel An, mais aussi en quelles quantités. C’est pour ça que cette fête est avant tout un véritable festin.

Chaque année, je participe à l’organisation de ces célébrations dans le quartier Chinatown d’Anvers. C’est une manière pour moi de me reconnecter complètement à mes racines, même si dans les faits, je me demande de plus en plus quel rôle elles jouent encore dans ma vie de tous les jours. En tant que migrant issu de la troisième génération, je suis un melting-pot de cultures. C’est normal, parce que les jeunes générations optent le plus souvent pour un partenaire issu d’une culture différente de la leur, ce qui dilue toujours un peu plus les traditions héritées des générations antérieures. Ceci étant dit, je reste très attaché à certaines d’entre elles, à commencer par la danse du lion, où des adeptes du kung-fu arborent un majestueux masque de papier mâché en forme de lion rouge et dansent en public. Cela me permet de partager cette culture chinoise qui fera toujours un peu partie de moi.»

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