Vous avez l’impression que votre collègue vous refile tout le boulot? Vous avez 1 chance sur 3 d’avoir raison
C’est vous, ou bien comme par magie, les tâches échouant à votre collègue finissent toujours bien par atterrir sur votre to-do list? Peut-être que vous exagérez, mais peut-être aussi que vous n’avez pas de chance, et que vous bossez en compagnie de ces 30% de Belges qui revendiquent leur incompétence stratégique.
Incompétence straté-quoi? Théorisé à l’origine dans le cadre du foyer hétérosexuel, le phénomène désigne une propension à ne pas savoir accomplir une tâche pour la refiler lâchement à quelqu’un d’autre. Cela vaut donc pour Monsieur qui, pour la millième fois, demande à Madame comment fonctionne la machine à laver (la réponse attendue étant évidemment « je vais le faire, ça ira plus vite ») mais aussi pour Machin ou Machine qui, ce n’est décidément pas de chance, a toujours un problème avec son système informatique, ou sa boîte mail, ou tout autre logiciel devant lui servir à faire son travail mais servant en l’occurence plutôt d’excuse pour refiler son boulot au collègue le plus proche.
Si vous appartenez aux lecteurs fidèles de ce magazine, vous vous souviendrez qu’il y a quelques semaines de ça, nous consacrions un décryptage long format au phénomène de l’incompétence stratégique appliquée au travail. Un reportage dans le cadre duquel nous interviewions une série d’experts, dont Evy Sadicaris, experte en bien-être psychosocial au sein du groupe de services RH Liantis. Laquelle soulignait que « la différence entre la solidarité et l’incompétence stratégique réside dans les motivations de la personne qui adopte ce comportement. La solidarité consiste à redistribuer les tâches de manière à ce que chacun puisse effectuer des missions qui lui conviennent, tandis que l’incompétence stratégique est le fait de se décharger de ses propres tâches difficiles ».
Et si tous les spécialistes contactés dans le cadre de notre article s’accordaient pour dire que l’incompétence stratégique gagnait du terrain dans le monde du travail, il s’avère toutefois que la proportion de travailleurs belges qui brandissent la carte du « je ne sais pas » pour remettre leur travail sur le dos de leurs collègues est encore plus importante qu’on ne le pensait.
« Je n’en ai pas envie »
C’est qu’intrigués par le sujet, les analystes de Liantis ont voulu quantifier la proportion d’incompétents stratégiques dans les entreprises belges. Un sondage auprès d’un échantillon de 1.000 travailleurs plus tard, il s’avère en effet qu’un tiers (31.1%) de nos compatriotes avouent avoir (parfois) recours à cette tactique pour se décharger de leur travail sur d’autres. Et selon les données recueillies par Liantis en collaboration avec IVOX, cette proportion atteindrait même les 42.2% chez les moins de 35 ans.
Comprendre: si vous avez l’impression que X arrive toujours bien à vous refiler les tâches les plus désagréables et bien, en fonction de son âge, vous avez une chance sur 3 voire même près d’une chance sur deux que ce ne soit pas simplement un ressenti mais plutôt une (triste) réalité.
« Ce sont surtout les tâches ennuyeuses ou répétitives que quatre salariés sur dix (39,8 %) essaient parfois de confier à leurs collègues. Mais aussi si cela semble trop difficile (35,7 %) ou s’il est question de tâches informatiques ou administratives (29 %). Plus d’un quart des travailleurs (26,1 %) tentent également d’échapper à des obligations sociales telles que des événements de réseautage »
ressort-il ainsi du sondage réalisé par Liantis.
Les raisons évoquées? En première position, on retrouve « Parce que je n’en ai pas envie » (41,1 %), « mais aussi parce qu’ils ne voient pas l’intérêt d’une tâche (34,3 %) ou parce qu’elle ne leur apporte pas de valeur ajoutée (31,4 %) » épingle encore la plateforme spécialisée dans les solutions RH.
Que faire si votre collègue vous refile tout le (sale) boulot?
Mais si vous êtes du genre à laisser le sale boulot aux autres, cela fait-il forcément de vous une mauvaise personne? « Il s’agit d’un phénomène dont nous nous sommes tous rendus coupables à un moment ou à un autre », fait remarquer Evy Sadicaris. « Nous sommes cependant davantage conscients des tâches qui nous incombent, ce qui fait que cette stratégie est donc un peu plus rapidement repérable aujourd’hui ». À l’ère des descriptions de fonction en bullet points, difficile en effet de refiler en douce ses tâches à quelqu’un d’autre sans que lui ou elle ne réalise que cela n’entre pas dans ses prérogatives professionnelles – mais bien dans celles de la personne qui s’en débarrasse.
Ceci étant dit, « transférer ou échanger des tâches ne doit pas toujours être un problème. Il se peut qu’un collègue vous confie une tâche qui vous stimule. Peut-être pourrez-vous en retour lui céder une tâche qui vous procure moins d’énergie? Le mieux est donc de communiquer de manière ouverte et transparente à ce sujet. Pourquoi ce collègue ne veut-il pas accomplir cette tâche ? Est-ce parce qu’il ne sait vraiment pas comment s’y prendre et que vous pouvez alors lui prêter main-forte ? Ou existe-t-il une formation qu’il peut suivre pour s’améliorer dans ce domaine ? Tant que tout reste équilibré et qu’il s’agit de donnant-donnant, ce n’est pas forcément problématique. Mais à partir du moment où vous avez l’impression que votre collègue délègue tout et que votre seau ne fait que se remplir, il y a un souci. Ce collègue ne veut pas en parler ? N’hésitez pas à évoquer ce point avec votre supérieur », conseille Evy Sadicaris.
Même si dans les faits, ce n’est pas (toujours) si simple. D’après les chiffres qui ressortent de l’étude, trois quarts des travailleurs (75,1 %) observent cette incompétence stratégique chez leurs collègues, et un cinquième en sont même témoins chaque semaine. Malgré tout, ils gardent souvent le silence à ce propos: 31,1 % des personnes ayant répondu au sondage affirment préférer effectuer la tâche eux-mêmes pour éviter les conflits, tandis que 27,6 % le font « pour s’assurer que le travail sera fait correctement ». 19,2 % font semblant de ne rien voir, tandis que seuls 26,9 % interpellent le ou la collègue en question et l’invitent à réaliser la tâche qui lui incombe. « Si vous remarquez qu’il n’y a pas un bon équilibre dans votre équipe et qu’un collègue a tendance à déléguer ses tâches à ses collègues, discutez-en avec votre manager, invite Evy Sadicaris. Il revient en effet aussi au supérieur d’aborder le fonctionnement d’un collaborateur et d’identifier l’origine exacte de son comportement ».
Chacun ses tâches pour soi, et cela ira mieux pour tous!
Même si, tant qu’on en parle… Pourquoi c’est si rare d’avoir un bon patron? Parce que l’incompétence est la norme
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