Pourquoi c’est si rare d’avoir un bon patron? « Parce que l’incompétence est la norme »

comment être un bon patron
Pourquoi c'est si compliqué d'avoir un bon patron? Getty Images
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web
Nathalie Le Blanc Journaliste

Manque de reconnaissance, absence de feedback constructif, problèmes de gestion… Y a-t-il un bon patron dans la salle? Et surtout, pourquoi est-ce si difficile d’avoir des personnes adéquates quand on grimpe les échelons?

« Parce que les dirigeants incompétents sont la norme » assure, imperturbable, le psychologue du travail argentin Tomas Chamorro-Premuzic. Et pourtant, « on sait ce qui fait un bon patron. Un bon dirigeant est intelligent, compétent, empathique, humble, communique bien, guide et inspire ses collaborateurs et fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en eux. Par-dessus tout, c’est aussi quelqu’un qui se connaît et qui tient compte de ses talents et de ses limites. Mais regardez autour de vous. Les patrons de ce type sont exceptionnels. »

Dans son livre, ses conférences et ses TED Talks, le psychologue explique qu’il existe une différence fondamentale entre les traits de personnalité nécessaires pour être recruté ou promu en tant que dirigeant, et les traits de personnalité nécessaires pour être un bon dirigeant. La confiance en soi et le charisme sont des qualités recherchées par l’employeur, qui aura tendance à offrir le poste à celui ou celle qui les détient. Problème: on a trop tendance à confondre confiance en soi et compétence, or les deux ne sont pas synonymes, loin de là.

Le piège de la confiance en soi

La compétence, c’est le degré d’aptitude à réaliser quelque chose, tandis que la confiance en soi, c’est l’idée que l’on se fait de ce que l’on peut faire, pointe l’Argentin. Qui ajoute, pince-sans-rire, qu’il préfère « choisir un chirurgien cardiaque, un chauffeur de taxi ou un patron en fonction de ce qu’ils peuvent effectivement faire plutôt qu’en fonction de ce qu’ils croient eux-mêmes pouvoir faire. Le fait que nous soyons si obsédés par la confiance en soi a des conséquences pernicieuses ». Et de prendre l’exemple de son pays natal, « mené à la ruine par des dirigeants successifs incompétents et aveugles à leurs propres défauts. Regardez Trump et le Brexit. La crise bancaire est due à l’incompétence, à une prise de risque irresponsable et à une confiance en soi infondée. »

Et pourtant, des secteurs entiers sont en difficulté et des entreprises font faillite en raison d’une gestion incompétente. Un sondage Gallup de 2017 a révélé que 75 % des personnes qui démissionnent le font pour des raisons liées à une mauvaise gestion. Dans une économie où votre main-d’œuvre est votre principal atout, c’est tout simplement inadmissible.

Sexe faible

Pire, encore? Cette importance disproportionnée accordée à la confiance en soi est préjudiciable aux femmes, et expliquerait même pourquoi le plafond de verre refuse obstinément d’être brisé. « On apprend aux garçons à croire en eux et à être compétitifs, ce qui n’est pas le cas des filles, auxquelles on apprend également beaucoup moins à s’affirmer. Les recherches montrent que les femmes ont souvent confiance en leurs capacités, mais ne le montrent pas. C’est logique, car les femmes qui croient en elle sont perçues comme arrogantes » pointe Tomas Chamorro-Premuzic.

Et les employées de se retrouver dans une situation impossible, où elles sont encouragées à faire preuve de la même assurance que leurs collègues masculins si elles veulent monter dans la hiérarchie, mais où on les punit si elles montrent trop de confiance en elles. « Nous ne résolvons pas le problème des dirigeants incompétents en apprenant aux femmes à ressembler davantage aux hommes, nous le résolvons en exigeant davantage des dirigeants masculins. Aujourd’hui, les erreurs commises par les hommes sont rapidement pardonnées, tandis que leurs points forts sont magnifiés. En revanche, les femmes doivent être deux fois plus performantes pour être remarquées. Il faut que cela change » martèle notre psychologue du travail. Qui souligne que la recherche montre que les femmes sont plus empathiques et qu’elles sont également plus aptes à constituer et à maintenir une équipe, deux caractéristiques essentielles d’un bon patron.

En outre, les femmes sont légèrement moins enclines à prendre des risques, et obtiennent un score inférieur de 40 % en matière de narcissisme. L’INSEAD Business School a étudié des milliers d’évaluations de dirigeants participant à son programme, et en moyenne, les participantes ont obtenu de meilleurs résultats que les hommes sur un grand nombre de caractéristiques nécessaires pour être un bon patron. « Elles sont des leaders naturels, mais parce que l’idée erronée de ce qui fait un bon leader fait obstacle, nous ne voyons pas encore cela se refléter dans les organigrammes » regrette l’Argentin.

Merci patronne!

Et de poursuivre: « Souvent, les femmes ne postulent qu’à des emplois pour lesquels elles sont qualifiées et compétentes à 100 %. En soi, il n’y a rien de mal à cela. Cela signifie que nous avons des femmes compétentes à des postes de direction, et nous en avons besoin. Le problème, c’est que des hommes sans talent ni qualification ont le courage de demander une promotion et l’obtiennent souvent, tout simplement parce qu’ils paraissent sûrs d’eux. C’est pourquoi je dis qu’il faut placer la barre plus haut pour eux. Je ne prône pas l’insécurité, nous n’avons pas besoin d’être super stricts ou de nous rabaisser, mais je préconise une saine dose de doute de soi. »

C’est que nous sommes plus performants lorsque nous ne nous faisons pas d’illusions sur nos capacités. Comme l’a dit Voltaire, « le doute est désagréable, mais la certitude est absurde », et c’est seulement en ayant le courage de se remettre en question qu’on peut évoluer et s’améliorer.

Un système qui s’auto-entretient

D’autant que des études montrent que le fait de se débarrasser d’un patron incompétent ou toxique a un effet quatre fois plus important sur les performances de l’entreprise que l’embauche d’un employé super-compétent. Un contraste impressionnant qui rappelle à quel point une mauvaise direction est un problème.

Vous pouvez constituer la meilleure équipe du monde, si elle est mal dirigée, les choses tourneront mal. Et le problème, c’est que le système actuel s’auto-entretient. Si vous avez obtenu votre poste grâce à votre grande assurance, même si vous n’étiez pas un bon candidat, il y a de fortes chances que vous embauchiez des gens sur cette base également. Et si vous avez peur du retour d’information, vous ne chercherez pas de collaborateurs critiques.

« Bien entendu, la gestion des ressources humaines au sein des entreprises est complexe », concède Tomas Chamorro-Premuzic. « Les émissions de télévision telles que The Voice sont populaires parce qu’elles permettent de voir au bout de 30 secondes si quelqu’un est talentueux et comment cette personne se perçoit. Il n’y a rien de plus divertissant qu’une personne qui ne sait pas chanter mais qui se prend pour Pavarotti. Mais qu’en est-il si c’est votre patron ? Chez les dirigeants, la compétence n’est pas aussi évidente que chez les chanteurs et en prime, le monde des affaires est en constante évolution. Ce qui a fonctionné en 2009 ne fonctionnera peut-être plus aujourd’hui. »

Les bons réflexes du bon patron

Bon, mais comment être ou avoir un bon patron, alors? « Pour commencer, nous devons nous concentrer sur les bonnes qualités : compétence, modestie, intégrité. Et je veux dire qu’il faut vraiment se concentrer dessus, et pas simplement organiser quelques séances de coaching et l’inscrire vaguement dans votre déclaration de mission. Il ne s’agit pas de dire que la modestie est importante puis d’engager un narcissique parce qu’il était « si charmant » lors de l’entretien. Et il ne faut pas non plus conseiller aux femmes de se comporter comme des hommes sûrs d’eux lorsqu’elles veulent obtenir quelque chose, parce que c’est aussi comme cela que l’on obtient des femmes dirigeantes incompétentes. En outre, nous devons désapprendre à faire confiance à notre instinct. Votre instinct vous dit qu’il est préférable d’engager des personnes qui vous ressemblent ET qui acquiescent toujours. » Soit exactement le genre de personnes dont il faut éviter de s’entourer si on veut assurer que l’entreprise aille de l’avant.

Why Do So Many Incompetent Men Become Leaders?, Tomas Chamorro-Premuzic, Harvard Business Review Press.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content