Du borderline au narcissique, conseils de psychiatre pour composer avec les personnalités compliquées
Comment composer avec les gens réputés insupportables ? Avec son confrère Christophe André, le psychiatre François Lelord dédramatise le phénomène dans un ouvrage rempli de conseils pratiques pour mieux les accepter. Et même les apprécier. Interview.
Anxieuses, narcissiques, borderline, susceptibles ou encore obsessionnelles ; en entreprise, en famille, devant la machine à café, et jusqu’à l’intimité du couple, on est forcément amenés à fréquenter des personnalités difficiles – euphémisme délicat pour contourner le terme « insupportables ».
Etablir de bonnes relations avec des personnes dont les traits de caractère, trop marqués ou trop rigides, entraînent souffrance pour elles-mêmes ou pour nous-mêmes n’est pas une mince affaire. C’est à prodiguer des conseils pratiques, concrets et terre-à-terre, pour composer avec elles que s’emploie le tandem de psychiatres François Lelord et Christophe André dans Les nouvelles personnalités difficiles. Comment les comprendre, les accepter, les gérer (*).
Puisant au meilleur de la littérature scientifique mais aussi auprès de gens ordinaires passés par leurs cabinets de psychiatres, les deux auteurs parviennent à un remarquable effet d’éclairage par-delà bien et mal, au-delà de tout jugement de valeur.
Oser l’humour bienveillant
Le «borderline», par exemple, connaît des variations d’humeur ; il faut dès lors rester constant pour le rassurer et l’encourager plutôt que le critiquer. Autre exemple : pour supporter l’anxieux et
l’aider à surmonter ses angoisses, il faut montrer que l’on est fiable, ne pas le
surprendre et pratiquer un humour bienveillant.
Attention, alerte cependant François Lelord : on aurait tort de réduire ces personnes à leur dimension « difficiles ». Au contraire, celles-ci ont des vertus insoupçonnées, nous aident à développer l’empathie, et participent à une salutaire
« psycho-diversité », essentielle à l’harmonie sociale. Entretien.
Qu’est-ce qu’une personnalité difficile ?
On utilise ce terme quand certains traits du caractère de cette personne sont trop marqués et causent des souffrances aux autres – ou à elle-même. Par exemple, être d’un caractère méfiant peut être utile, mais trop de méfiance rend les relations difficiles, décourage les gens bien intentionnés, et peut conduire à l’isolement.
De même, une tendance au perfectionnisme peut être appréciée, mais trop de perfectionnisme ralentit, peut faire perdre de vue l’objectif final, et exaspérer l’entourage personnel ou professionnel. Une haute estime de soi apporte un avantage dans la compétition de la vie, mais à un trop haut degré, elle risque de vous rendre insupportable…
A l’inverse, un manque d’estime de soi, un excès de modestie, risque de vous nuire. Chaque trait de notre personnalité peut rester dans un assez large « juste milieu » ou pour certains, rejoindre un des extrêmes qui le rapproche alors d’une « personnalité difficile » pour les autres ou elles-mêmes.
Ce type de caractère est-il héréditaire ou plutôt une question d’éducation et d’environnement social ?
Dans ce grand débat entre nature – les traits de caractères seraient innés et les personnalités « né(e)s comme ça » – ou culture – les personnalités seraient « faites comme ça » – le « ou » a été peu à peu remplacé par un « et ». Certains traits de personnalité ont une plus forte composante héréditaire que d’autres, par exemple le caractère anxieux ou la recherche d’excitation.
Mais l’environnement familial et éducatif va ensuite les modérer ou les exalter. Tout parent observateur peut remarquer des différences de caractère notables entre des enfants certes de rangs différents mais élevés dans un environnement similaire, traits de caractères qui leur rappellent parfois certains traits de leurs propres parents ! Défendre le « tout éducatif » serait aussi absurde et dépassé – que soutenir un « tout génétique ».
Pour la personne considérée comme difficile, quel effet peut avoir le fait de savoir qu’elle est jugée ainsi ?
Certains peuvent tirer satisfaction d’être considérés comme difficiles au sens de « pas commode » ou « exigeants ». Ils revendiquent leur « sale caractère », en n’en retenant que les avantages : être respectés voire craints, attitude que l’on retrouve parfois de la part de personnalités avec des traits plutôt narcissiques ou paranoïaques.
Mais les personnalités anxieuses, dépressives, ou dépendantes seront rarement heureuses d’être désignées comme telles, d’autant qu’elles sont souvent d’accord avec cette description d’elles-mêmes. D’une manière générale, mieux vaut ne jamais asséner de diagnostics – souvent erronés et dévalorisants – mais exprimer des critiques centrées sur un comportement précis. Plutôt dire « en faisant ça, tu me contraries » que « tu es un narcissique, tu ne penses qu’à toi » ou « tu es complètement parano ! »
Personne n’a choisi sa personnalité, pas plus que la forme de son visage
François Lelord
Psychiatre
Quand vous parlez d’accepter les personnalités difficiles, vous insistez sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une attitude passive ni de les « subir »…
Il nous paraît important d’accepter les personnalités difficiles comme des phénomènes naturels, elles ont toujours existé et existeront toujours, elles font partie de la bio- ou plutôt de la psycho- diversité. On ne s’indigne pas du mauvais temps qui survient alors qu’on prévoyait une promenade ou une baignade en mer, on s’équipe en conséquence ou on change ses plans.
Manquerions-nous de souplesse finalement?
Accepter ces personnalités est moins aisé car nous les supposons douées d’un libre-arbitre – comme nous le supposons pour nous-mêmes. Nous nous exaspérons de leurs errements et les jugeons sur le thème « il ou elle devrait se comporter différemment ». Il faut alors se souvenir que personne n’a choisi sa personnalité, pas plus que la forme de son visage, comme on sélectionnerait un costume ou une robe sur un portant de magasin.
Nous ne sommes pas responsables de notre héritage génétique ni de nos conditions d’enfance, tous deux déterminant dans la construction de la personnalité. Mais accepter les personnalités difficiles ne veut surtout pas dire les subir sans réagir, c’est pourquoi nous donnons des conseils pour s’en défendre, mieux les gérer, et parfois les aider à s’améliorer. Bien sûr, quand on a le choix, pour certaines, les éviter est parfois le plus simple…
Vous dites que certains traits de personnalité se modifient. Une personnalité difficile peut ne plus l’être avec le temps ?
Oui, le temps et l’expérience, les rencontres, les bons ou les mauvais exemples, et parfois aussi une psychothérapie. Si l’on prend l’exemple des personnalités borderline caractérisées entre autres par une hypersensibilité au rejet, une instabilité de l’humeur et de l’image de soi, des comportements impulsifs ou à risque, des études de suivi ont montré qu’elles ont tendance à s’améliorer au fil des années, surtout si elles ont rencontré un environnement favorable.
Les personnalités anxieuses ou dépressives peuvent aussi être sensibles à une thérapie voire à une aide médicamenteuse. Il y a une interaction permanente entre notre personnalité et notre environnement. Quand celui-ci change, il peut compenser ou au contraire révéler certaines de nos faiblesses, ce qui ne veut pas dire que notre personnalité change.
Parmi les différentes catégories que vous recensez, lesquelles sont les plus problématiques et plus difficiles à gérer à vos yeux ?
Les personnalités paranoïaques marquées par la méfiance et la rigidité – elles ont toujours raison – rendent difficile l’établissement d’une relation de confiance. Tout désaccord risque d’être vécu comme une trahison, et provoquer rupture ou représailles. Les personnalités narcissiques qui ne vous apprécient que tant que vous êtes admiratifs ou soumis, et chercheront à vous dominer ou vous humilier si vous tentez de sortir de ces rôles.
Bien sûr les personnalités psychopathes, puisque sous leur charme et leur cordialité apparente, elles ne cherchent que leur intérêt sans être embarrassées d’aucun scrupule ou du respect des règles. Les personnalités borderline, avec leur humeur instable, leurs excès d’attachement ou de rejet, leurs comportements impulsifs, peuvent être éprouvantes, mais établir une relation de confiance est possible.
D’autres catégories sont-elles plus faciles à approcher ?
Les personnalités qui souffrent, comme les anxieux, les dépressifs, les dépendants – qui ont besoin d’un soutien et d’être rassurés – et les évitants – qui craignent le contact et ont peur de ne pas être à la hauteur – sont plus réceptifs aux messages des autres. Elles recherchent donc souvent une relation de confiance. Les obsessionnels sont un cas intermédiaire, ce sont des anxieux, mais ils ont aussi un côté psychorigide qui peut les rendre sourds aux demandes de leur entourage.
Mais bien sûr, même appartenant à la même catégorie de personnalités, aucune personne n’est semblable à une autre, pas plus que les nuages : aucun cumulus n’est semblable à un autre, et même la personne la plus exaspérante peut vous surprendre par un « bon mouvement » qu’il faut alors savoir encourager!
Les personnalités difficiles ont-elles néanmoins des vertus et avantages pour les autres?
Oui, d’abord elles nous permettent de développer notre empathie, pour comprendre leur point de vue. Elles améliorent aussi nos compétences sociales, pour s’en défendre en minimisant les conflits, ou au contraire les aider si elles en font la demande. Elles peuvent aussi nous servir de « contre-modèle » en nous rappelant ce qu’il vaut justement mieux éviter de faire. Enfin, dans une équipe, chaque type de personnalité, à condition de ne pas se situer dans les extrêmes de la catégorie – on parlera alors de trouble de la personnalité – peut être précieux.
Un anxieux verra les risques à venir, un dépressif évitera de surestimer la réussite, le paranoïaque avec sa combativité et sa méfiance se révélera dans les confrontations avec l’extérieur, le narcissique avec son charisme et son ambition pourra emmener le projet vers les hauteurs, l’obsessionnel veillera à la qualité et au respect des procédures, etc. Bien sûr, le talent et la compétence comptent aussi, et certaines personnalités difficiles seront acceptées car elles en sont bien pourvues.
Vous avez souligné tout à l’heure qu’ils participent à une sorte de « psycho- diversité ». Qu’entendez-vous par là ?
Si ces types de personnalité ont survécu tout au long de l’évolution et des changements d’environnement, c’est parce que certains ont été favorables à la survie et au succès reproductif de l’individu mais aussi à celle du groupe, celui-ci ayant besoin d’une diversité des personnalités, pour bien fonctionner de manière stable.
Par exemple être narcissique vous aide à devenir le leader, mais si tout le monde l’était, le groupe exploserait. Ce mélange de personnalités plus ou moins difficiles a pu aussi varier selon les changements de l’environnement physique ou culturel. Les traits de personnalité les plus favorables au groupe et à l’individu ne sont pas les mêmes selon que vous vivez dans une civilisation guerrière à l’époque des conquêtes, une grande société agricole ou une société industrielle démocratique.
Notre époque moderne, plus stressante, et où le rythme de vie ne cesse de s’accélérer, favorise-t-elle la propagation des personnalités difficiles ?
Il existe des éléments de réponses pour les personnalités narcissiques. Une échelle mesurant le narcissisme passée par les étudiants américains depuis les années 70 montrent que les scores de narcissisme augmentent avec les générations au point qu’une chercheuse réputée parle d’une « épidémie de narcissisme ».
On peut y voir un effet de l’éducation « valorisante » plutôt que culpabilisante, et aussi l’influence des médias sociaux qui favorisent la compétition dans la représentation avantageuse de soi et l’attention à son image. Par ailleurs, la vie moderne en milieu urbain, en général loin de sa famille, ne fournit plus le réseau social de naissance et de voisinage que l’on gardait toute sa vie dans les sociétés rurales.
Certaines personnalités s’y sentaient protégées, les anxieux, les évitants ou les dépendants par exemple, tandis que d’autres y étouffaient. Aujourd’hui, certaines personnalités sont plus douées que d’autres pour s’adapter aux exigences de la vie « moderne » : se faire de nouveaux amis, savoir travailler en équipe avec des inconnus, trouver un job ou un(e) partenaire, affronter ruptures et pertes d’emploi… Pour d’autres types, cette vie est devenue sans doute plus stressante que dans le « monde d’avant ».
Les Nouvelles personnalités difficiles. Comment les comprendre, les accepter, les gérer, par François Lelors et Christophe André, Odile Jacob, 480 pages.
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