Gabriella Karefa-Johnson: « Je n’avais jamais vu une femme en surpoids dans les hautes sphères de la mode »

La créatrice Gabriella Karefa-Johnson, dans les rues de Paris durant la fashion week d'octobre 2022 © SDP

Gabriella Karefa-Johnson est l’une des plus grandes stylistes de sa génération. Noire et de grande taille, elle met son talent au service de l’inclusion. Ce printemps, elle fait ses débuts en tant que créatrice avec une collection capsule pour Max Mara Weekend.

Ce matin-là, à Milan, lorsque nous la rencontrons, nous sommes frappés par l’enthousiasme et la douceur qu’elle dégage, sans prétention. Gabriella Karefa-Johnson est noire, de grande taille, et donc à l’aise dans une industrie de la mode qui essaie, parfois avec difficulté, de devenir plus inclusive et plus diverse. En janvier de l’année dernière, elle a été la première styliste noire à se voir attribuer une couverture par Vogue, un portrait du modèle Paloma Elesser. Suivies de photos avec la vice-présidente Kamala Harris, sa grande amie Gigi Hadid, l’actrice Selena Gomez et la poétesse Amanda Gorman. Sans oublier la première couverture de Vogue US avec une femme transgenre, Ariel Nicholson. Et une Billie Eilish inhabituellement déshabillée pour Vanity Fair.

Le mannequin Paloma Elsesser en couverture de Vogue en 2021, deux projet auxquels a participé Gabriella Karefa-Johnson en tant que styliste.
Le mannequin Paloma Elsesser en couverture de Vogue en 2021, deux projet auxquels a participé Gabriella Karefa-Johnson en tant que styliste.© SDP

Sa passion pour la mode, elle l’entretient depuis son enfance, une de ses tantes ayant travaillé comme mannequin dans les années 70 et 80. « Petite, je lui demandais sans cesse de me raconter des histoires sur Paris, se souvient la New-yorkaise. J’en savais donc un peu plus sur la mode et le fonctionnement de l’industrie qu’un enfant moyen. J’avais des goûts anormalement sophistiqués, j’étais obsédée par Cristóbal Balenciaga et j’adorais Marc Jacobs. Encore plus lorsqu’il a lancé Marc by Marc Jacobs, une ligne destinée aux personnes comme moi. »

La jeune fille désirait elle aussi devenir mannequin se souvient-elle en riant. « Mais j’ai fini par comprendre que ce monde me resterait fermé », dit-elle. Elle s’imaginera un temps créatrice, avant de rêver d’une carrière de galeriste. Pendant ses études en histoire de l’art, elle découvrira néanmoins « de nombreuses similitudes entre l’art et le secteur de la mode », l’un et l’autre reflétant ce qui se passe dans le monde.

Son premier pas dans le milieu, elle le fera finalement en tant que journaliste de mode pour le Women’s Wear Daily, à Paris.

Vous remémorez-vous cette entrée en matière dans la sphère fashion?

John Galliano venait d’être viré de chez Dior et mon patron m’a envoyé faire un article sur lui à La Perle, le café où le créateur passait souvent. J’ai essayé incognito de faire parler le barman, mais j’ai été immédiatement prise au dépourvu. Il m’a dit: « Vous êtes une journaliste américaine, je vois clair dans votre jeu. » C’était ma première mission… »

Vous avez alors pris la voie du stylisme, d’abord chez Elle, puis comme assistante de la légendaire Tonne Goodman chez Vogue, à New York. Les opportunités se sont enchaînées…

Ce que je souhaitais faire était clair: travailler avec des vêtements. Je voulais raconter des histoires à travers eux, les miennes ou celles que j’avais déjà entendues aurès de mes tantes. Ma séance de photos avec l’actrice Michaela Coel pour la couverture de Garage a vraiment été le premier document physique contenant toutes les fibres de mon ADN… Ensuite, cette série de couvertures pour Vogue l’année dernière a beaucoup compté pour moi, car je ne m’étais jamais vue, ou n’avais jamais vu un reflet de moi-même, dans ce genre de magazine, et encore moins en cover. Je n’avais jamais vu une femme en surpoids dans les hautes sphères de la mode. J’espère que j’ai pu inspirer les gens, et que ceux qui ne se sont jamais sentis représentés peuvent désormais se voir dans un rôle similaire.

Comment s’est passé la réalisation de la couverture avec Kamala Harris?

Je suis très honorée d’avoir pu collaborer à ce shooting. J’étais la coordinatrice des séances, ce qui veut dire que je ne l’ai pas vraiment habillée. En tant que coordinatrice de séance, vous êtes le représentant du magazine, vous vous assurez que tout se passe bien et que tout le monde est satisfait du résultat. Nous l’avons photographiée dans les vêtements qu’elle avait avec elle. Bien sûr, on espère pouvoir laisser une trace plus importante, mais c’était tout de même un honneur. C’était également la première fois que j’étais impliqué dans une controverse. Soudain, vous alimentez les conversations dans tout le pays pendant deux jours. Il s’agit ici de la manière dont nous voyons les femmes en position de pouvoir et de ce qui est approprié ou non. Nous avons fait ce que nous pouvions avec les limites que nous avions, et je pense que nous avons réussi le défi. Je ne le regrette pas du tout.

Dans le secteur du luxe, il est souvent difficile de trouver des vêtements pour une personne ayant ma morphologie.

Vous avez ensuite suivi avec la poétesse Amanda Gorman…

Une femme incroyable, un véritable caméléon. Elle n’a pas peur de la mode, elle l’apprécie et c’est typique de sa génération. Elle représente l’idée que nous pouvons être puissants et influents en étant nous-mêmes, et c’est ce qu’elle fait. Elle est le genre de femme à qui je destine ma première collection.

La poétesse Amanda Gorman en couverture de Vogue en 2021, deux projet auxquels a participé Gabriella Karefa-Johnson en tant que styliste.
La poétesse Amanda Gorman en couverture de Vogue en 2021, deux projet auxquels a participé Gabriella Karefa-Johnson en tant que styliste.© SDP

Cette collection pour Max Mara marque vos débuts en tant que créatrice et a été imaginée pendant la pandémie…

Le moment le plus calme de ma carrière. J’avais hâte de me relancer dans la mode, mais en même temps, j’adorais être à la maison. Quand j’ai reçu la proposition de Max Mara, j’ai immédiatement dit oui. Parce que je pouvais le faire à distance et parce que c’est un processus créatif dans lequel je ne m’étais pas encore aventurée. C’était également effrayant: travailler pour une maison de mode italienne avec toutes les règles qui, je le pensais, allaient en découler. Mais en réalité, ils m’ont donné une liberté totale.

Gabriella Karefa-Johnson (à droite) en compagnie de mannequins, lors du shooting de la capsule Family Affair pour Max Mara.
Gabriella Karefa-Johnson (à droite) en compagnie de mannequins, lors du shooting de la capsule Family Affair pour Max Mara.© SDP

Comment se présente cette collection?

Il était important que les vêtements puissent être portés facilement par différents types de corps. Il y a beaucoup de cordons et il y a plus de volume dans les manches, par exemple. En particulier dans le secteur du luxe, il est souvent difficile de trouver des vêtements pour une personne ayant ma morphologie. Il y a toujours des limites à ce que l’on peut faire, mais je voulais offrir le plus d’options possibles. La mode a toujours réduit l’idée de ce qu’est ou devrait être une femme à un seul type de silhouette. Dans mon travail, je veux me débarrasser de cette idée. En tant que créatrice, vous pouvez faire plus qu’en tant que styliste, car vous êtes à la source. Vous êtes impliqué dans le processus dès le départ.

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