Hélène Delforge, joueuse née : « Jouer, c’est se mettre en semi-hypnose »

Helene Delforge nous parle de son dernier livre sur les jeux de societe
Hélène Delforge © Frédéric Raevens
Isabelle Willot

Passionnée de pop culture, Hélène Delforge vient de sortir un livre retraçant l’histoire du jeu de société contemporain. Enfant, sa maman orthophoniste la prenait déjà comme cobaye pour tester les jeux éducatifs de son cabinet. Jouer, dit-elle, c’est accepter que son premier adversaire n’est autre que soi-même.

L’être humain est fait pour apprendre. Il raffole de ça et quand il joue il apprend tout le temps. J’adore le cinéma et la littérature, les séries aussi mais c’est une activité passive. Dans le jeu, on crée sa partie, on s’inscrit dans un moment qui ne ressemblera à aucun autre.

Nous sommes tous joueurs. Même ceux qui disent qu’ils n’aiment pas jouer. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Qui n’a pas sur son téléphone une appli type Candy Crush pour passer le temps? Le jeu vidéo, au lieu de tuer celui de plateau, nous a permis à tous de continuer à jouer plus longtemps. Ces deux activités sont complémentaires et se nourrissent l’une de l’autre. L’évolution technologique – je pense à l’impression 3 D, les sons… – a permis de développer de nouveaux produits hybrides, les escape games notamment, qui utilisent à la fois des cartes et un téléphone.

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On ne devient pas un génie des échecs à la première partie. Beaucoup de jeux ont une vraie courbe d’apprentissage. Quand on ne le pratique pas souvent, le jeu devient très investi, on a tendance à se souvenir de ses victoires ou de ses échecs. Perdre peut mettre à mal la confiance en soi. Surtout lorsque l’on joue avec des mauvais gagnants, des gens qui voient dans leur victoire une preuve de leur supériorité. Les jeux éducatifs vont aussi vous donner l’impression que gagner, c’est bien. Dès lors, comme on n’aime pas être moins bon, on se sent mal, on met dans une partie des enjeux qui n’ont pas lieu d’être. C’est juste un instant de vie, sans conséquence. Un moment de plaisir. Plus on multiplie les parties, plus on oublie ses victoires et ses défaites.

‘Les mauvais gagnants voient dans leur victoire une preuve de leur supériorité.’

Je fais partie d’une génération d’adultes bien moins raisonnable qu’il y a vingt ans. Avant on s’arrêtait de jouer à l’adolescence pour reprendre à l’âge adulte, avec les enfants. Dans ce cadre-là, c’était considéré comme acceptable puisque c’était pour le bien de la famille. L’église a longtemps réprimé le jeu sous prétexte qu’il nous détournait de notre devoir, sans parler des soldats romains qui avaient joué la tunique du Christ aux dés. Ce sentiment de culpabilité souvent genré est heureusement en train de disparaître.

Jouer, c’est se mettre dans un état de semi-hypnose. Ce que l’on appelle le flow. On est dans un état de concentration semblable à celui de quelqu’un qui joue d’un instrument ou qui dessine. On réfléchit intensément et l’on sent son cerveau qui s’active. Cela répond à un besoin, dont nous avons de plus en plus conscience. Celui de prendre du temps de qualité pour soi mais aussi avec ses proches. C’est ce qui explique le succès rencontré par les puzzles ou les boîtes de Lego dits pour adultes. On suit à la fois un chemin bien tracé mais pavé de surprises et d’instants de contentement.

Dans une société du conflit permanent, c’est rassurant de se retrouver dans un espace où les règles sont claires. Si l’on choisit tous d’y obéir, c’est parce qu’il y a un consentement mutuel implicite. Le cadre est posé et dedans on peut exister. Cela ne veut pas dire que tout est policé. C’est un espace cathartique dans lequel tous les coups sont permis à condition bien sûr de ne pas tricher. C’est le jeu, l’expression le dit bien. On râle peut-être mais on ne se fâche pas. Car même si l’on s’embrouille, il n’y a pas de conséquences graves à long terme.

La culture ludique, ça se cultive. Comme en littérature où l’on découvre en lisant ce que l’on aime. Il y a des classiques qui font désormais partie de notre histoire commune. On les retrouve souvent dans un gîte ou une maison de vacances. Il suffit de les installer sur la table pour créer du lien. Mon livre leur est dédié. Si l’on maîtrise cette base, on peut ensuite plus facilement naviguer dans l’offre pléthorique disponible aujourd’hui.

La crise a rebattu les cartes de nos loisirs. On a moins d’argent et on l’investit autrement. Comparé à une sortie ciné, le prix d’une boîte de jeu reste très abordable. Encore plus si vous l’empruntez dans une ludothèque publique ou que vous allez dans un café-jeu. C’est aussi dans l’air du temps: ça se prête, ça se transmet, le matériel est durable et résistant. La pandémie nous a redonné le goût de rester chez nous, de partager, sans aller loin, des moments où le temps s’arrête et où l’on se pose.

Une histoire du jeu de société, par Hélène Delforge et Géraldine Volders, 404 Editions.

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