Anne-Françoise Moyson

L’IA, paradis artificiel de la création

Il y a comme une légère distorsion hallucinée dans le cliché de notre cover. On ne sait guère d’où exsude cette sensation de rêve. Est-ce le regard de cette jeune fille fragile et si fière pourtant? Est-ce la mer étale qui cache mal un jeu qui pourrait être dangereux? Est-ce la concrétion spongieuse qui flotte au-devant d’elle? Ne cherchez pas plus loin, cet univers dans lequel notre mannequin évolue et qui sert de décor à notre shooting mode a été généré par l’intelligence artificielle en interaction avec l’intelligence humaine de notre dream team. L’authentique et le chimérique se trouvent ainsi mêlés. Bienvenue dans cet imaginaire artificiel.

«Tu es une photographe de mode», ai-je écrit dans la foulée à ChatGPT4, lui donnant ainsi l’indication qui lui permettrait de formuler sa réponse à ma question simplissime: «Que penses-tu d’un shooting mode dont le décor est généré par l’intelligence artificielle?»

Et l’agent conversationnel m’a répondu très poliment, sans presque reprendre son souffle, déroulant le texte en continu: «Bien sûr, je suis en réalité une IA et non une photographe de mode, mais je peux tout de même vous donner une analyse basée sur les tendances et les connaissances actuelles jusqu’à mon dernier point de mise à jour.»

Après la liste des «nombreux avantages», allant de la personnalisation à la durabilité, en passant par le coût et l’innovation, il m’a classé celle «des inconvénients ou des défis à prendre en compte». Soit «la technique», «l’expérience du modèle» et «le manque d’authenticité» («un décor virtuel peut manquer de la texture et de la profondeur d’un véritable environnement. Cela peut affecter la manière dont le modèle interagit avec l’espace et l’atmosphère générale de la séance photo»).

Suivi d’un point 4, fort lucide, «la réception du public»: «Bien que l’acceptation des technologies numériques augmente, certaines personnes peuvent ressentir que l’utilisation d’environnements générés par l’IA est une forme de «triche» ou qu’elle enlève quelque chose à l’art de la photographie.»

Le tout chutant sur une conclusion clairement annoncée: «En conclusion, un décor généré par l’IA a le potentiel d’apporter une nouvelle dimension à la photographie de mode. Il convient de l’aborder avec créativité et ouverture d’esprit, tout en étant conscient des défis potentiels.»

Malgré sa toute- puissance à régurgiter des millions d’images synthétisées,
ce que l’IA n’a pas, c’est la sensibilité.

Totalement d’accord. Il n’y a cependant pas à tortiller, malgré sa toute-puissance à régurgiter des millions d’images synthétisées, ce que l’IA n’a pas, c’est la sensibilité – elle est du côté de l’artiste. Et qu’est-ce qu’être artiste si ce n’est inventer la singularité, dans les interstices? Demna, le directeur artistique de Balenciaga, est de ceux-là. Dans une longue interview-confidence, il dévoile ici ce qui le constitue, le blesse et le nourrit. Dans l’atelier, au numéro 10 de l’avenue George V, à Paris, dans ces bâtiments qui connurent les premiers beaux jours de la maison fondée par Cristobal Balenciaga en 1937, il regarde par la fenêtre et ne tait rien de ce qui le traverse. «Je me dis que c’est la même vue, les mêmes arbres que ceux que monsieur Balenciaga voyait à l’époque, je trouve cela émouvant.» Bienvenue dans son imaginaire sans artifices.

https://www.instagram.com/p/Cwmlj56sQlb/

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