Moi, mioche et méfiant: quand l’éco-anxiété touche même les plus jeunes

Quand l'éco-anxiété touche les plus jeunes © Lucia Biancalana

Alors que la COP 27 débute cette semaine, l’heure n’est plus aux fausses promesses. Il est plus qu’urgent d’agir. Mais face à ces signaux d’alarme, un mal insidieux gagne du terrain: l’éco-anxiété. Et elle n’épargne personne, pas même les plus jeunes.

Ils sont nés dans les années 2010, dans un contexte écologique bien particulier, celui de la prise de conscience. Eduquée à grands coups de tri des déchets et de recyclage, dans un monde numérisé au possible dont les codes leurs sont acquis naturellement et où l’information n’a jamais circulé aussi vite, la génération Alpha est celle qui, sans nul doute, subira de plein fouet les effets du changement climatique.

Certains, comme leurs aînés, ont été marcher pour la cause, se sont engagés à la hauteur de leurs moyens. Ils ont adopté des gestes à leur portée et font de leur mieux. Mais bon nombre d’entre eux font face à un adversaire de taille: l’éco-anxiété. Dans une étude internationale réalisée dans 10 pays par la revue scientifique médicale The Lancet, il s’avère que 45% des jeunes souffrent de ce mal. Et à la question «Comment envisagez-vous l’avenir?», 75% des interrogés le qualifient «d’effrayant».

L’éco-anxiété apparaît en quelque sorte comme une réponse sensée à un monde qui ne l’est plus.

Jehanne Van Wynsberghe

Chez nous, dans une étude réalisée par l’UCLouvain et pilotée par Alexandre Heeren, psychologue clinicien, on apprend que 11% de la population belge est fortement impactée par cette éco-anxiété, qui devient dysfonctionnelle et peut entraîner des troubles du sommeil ou encore la dépression… «On s’est penchés sur le sujet parce qu’au début de nos recherches, il était encore peu traité, nous explique le chercheur. Au fur et à mesure de nos avancées on s’est rendu compte que cette forme d’anxiété touchait beaucoup plus les plus jeunes. C’est assez logique, finalement. C’est cette génération qui va faire face à la plupart de ces changements. Et il devient difficile pour eux d’arriver à se projeter.»

La peur, la tristesse et la colère: c’est l’ensemble des émotions liées au sentiment de fatalité vis-à-vis du changement climatique que les experts qualifient d’éco-anxiété. Et de pointer comme principale cause l’inaction ou l’insuffisance des actions prises par les gouvernements et les populations, pas seulement en matière de réchauffement climatique d’ailleurs. «Cela concerne certes le dérèglement climatique mais aussi la raréfaction des ressources, l’effondrement de la biodiversité, la 6e extinction de masse, la modification de l’espace urbain. Tout ça impacte fortement les jeunes générations», souligne le spécialiste.

Dédramatiser et agir

Mais si le professeur louvaniste ne sous-estime pas le problème, il appelle néanmoins à ne pas le diaboliser. «L’anxiété, d’un point de vue purement biologique, n’est pas négative en soi. C’est une réponse naturelle qui nous permet de nous préparer, de nous mettre en mouvement», insiste-t-il. Et d’illustrer son propos par la situation dans laquelle se trouve un étudiant stressé avant un examen. Face à cette crainte, il va étudier son cours et passer son épreuve en mobilisant toutes ses capacités. «Pour l’éco-anxiété, c’est assez similaire. Celle-ci est génératrice de comportements écosensibles», souligne Alexandre Heeren.

D’ailleurs, cette nécessité de dédramatiser le phénomène trouve écho chez Jehanne Van Wynsberghe, pédopsychiatre qui prend en charge des enfants concernés par ce mal-être. «C’est une des premières choses que je dis aux parents pour les rassurer. Au final, aller mal dans un monde qui va mal, c’est une réponse assez logique, nous confie-t-elle. Dans le cadre donné actuel, l’éco-anxiété apparaît en quelque sorte comme une réponse sensée à un monde qui ne l’est plus.»

De plus, pour l’experte, cette anxiété va s’exprimer de différentes façons en fonction de l’enfant mais également de son âge. Par exemple, chez les tout-petits, c’est plutôt la cause animale qui touche davantage que la raréfaction des ressources. «Je dirais que la véritable anxiété, elle, n’apparaît vraiment que vers 10-12 ans, estime la spécialiste. Avant cet âge, c’est plutôt la colère ou encore la tristesse qui domine.»

Et de nous raconter un épisode particulièrement parlant vécu avec l’un de ses patients. «Une fois, je suis allée me balader dans le bois derrière mon cabinet − chose que je fais assez souvent dans le cadre de mes séances − avec un de mes patients éco-anxieux et son papa», raconte-t-elle. Il se trouve que le bois en question avait été en partie rasé, récemment. «Quand nous sommes arrivés face à la partie coupée, le petit garçon a eu un mouvement de recul. D’un coup, il s’est fermé et est entré dans une grande colère. Je me suis donc arrêtée, pour le comprendre et l’écouter. Et petit à petit, la colère a reflué pour laisser place à la tristesse. Il s’est mis à pleurer et a demandé: «pourquoi ils ont fait ça? Les arbres ont mal maintenant…»

© Lucia Biancalana

Le colibri bat de l’aile

Mais de quelle manière peut-on dès lors faire face à cette éco-anxiété? Alexandre Heeren suggère «de se mettre en mouvement et d’agir pour reprendre le contrôle. Car l’anxiété est une réponse assez saine, à condition qu’elle soit mobilisatrice et qu’elle ne devienne pas paralysante.»

Cette nécessité de passer à l’action a durant longtemps été guidée par la maxime du colibri, inspirée de la légende amérindienne qui exhorte à la participation individuelle pour éteindre l’incendie. Aujourd’hui, ce principe semble néanmoins avoir du plomb dans l’aile. Car le temps nécessaire pour obtenir des résultats visibles est tellement distendu qu’il génère au final, même chez ceux qui se bougent, un mal-être.

Reprenons l’exemple de notre étudiant. Son anxiété le stimule à apprendre sa matière. Quelques jours après, les points suivent: anxiété, mise en mouvement, résultat. Dans le cadre de l’urgence climatique, le résultat n’est pas directement observable, que du contraire. Ce qui peut décupler le stress.

La jeune génération se rend compte que les adultes n’ont pas accompli leur job. Et cela entraîne de facto une rupture de confiance et un conflit générationnel

Alexandre Heeren

«Quand celui-ci s’installe dans la durée, on parle alors d’anxiété, explique la psycho-somatothérapeute Amandine Godin. Cette dernière peut générer certes la paralysie mais aussi l’éparpillement.» Ainsi du colibri qui multiplie les petits gestes quotidiens pour amener sa pierre à l’édifice… «Le problème de cet éparpillement, c’est qu’il est bien souvent responsable de nombreux burn-out militants par exemple. Les activistes multiplient les actions, les mobilisations, et finissent par s’épuiser. Et dans le cas des enfants, ils n’ont pas toujours toutes les clés ou capacités pour reprendre le contrôle», ajoute Amandine Godin.

Sans compter qu’in fine, cette crise climatique est également une profonde crise générationnelle où le rapport de confiance entre adultes et jeunes a été brisé. «Il y a cette idée que les parents sont censés s’inquiéter de la sécurité des plus petits, de se soucier de leur futur, mais dans la crise climatique, c’est tout l’inverse, observe Alexandre Heeren. La jeune génération se rend compte que les adultes n’ont pas accompli leur job. Et cela entraîne de facto une rupture de confiance et un conflit générationnel.»

Rassurer et relier

Comment alors peut-on mieux comprendre ce que les enfants traversent? Pour Amandine Godin, la voie est toute tracée: «Il faut d’abord sortir de cette logique de résultat. Cette position d’attente en quelque sorte. Parce que dans le cadre du changement climatique, les effets ne sont pas visibles et ne le seront peut-être jamais», soutient-elle.

La psycho-somatothérapeute encourage donc «l’incertitude joyeuse»: «Il faut bien se rendre compte que ces jeunes font face à un énorme décalage entre les enjeux climatiques et ce que la société attend d’eux. Ce n’est pas évident de s’y retrouver dans ce grand écart, explique-t-elle. Mais un moyen d’y parvenir est de se reconnecter à «l’ici et maintenant», d’abandonner l’idée du résultat immédiat, sans pour autant abandonner le projet.»

Un exemple? L’un des jeunes suivis par l’experte a vraiment du mal à étudier car il ne parvient pas à se projeter dans l’avenir à cause de la crise climatique. Il rêve de devenir biologiste marin mais estime que ça ne sert à rien d’essayer car dans quinze ans, tout sera de toute façon détruit. Et c’est là que l’incertitude joyeuse intervient. «Pour devenir biologiste marin, il faut passer par la case études, c’est ça le projet et on a du contrôle là-dessus. La question des fonds marins, on verra bien. Nous, on s’occupe du ici et du maintenant», synthétise-t-elle.

Dans une même veine, Jehanne Van Wynsberghe, qui reçoit de nombreux jeunes concernés par l’éco-anxiété, réalise avec eux un travail «qui relie». «C’est tout un processus de gestion de ses émotions, résume-t-elle. Par exemple, avec les enfants, on se reconnecte à la nature, on va se balader en forêt. Certains sont tristes de la voir si polluée. Alors, je les encourage à verbaliser leurs peines. A dire à la forêt qu’ils sont tristes pour elle. « 

« Avec le travail «qui relie», on essaye de changer le regard que l’on porte sur le monde, la place de l’être humain au sein du Vivant, nos relations avec notre écosystème. Dans mon cabinet, j’ai dressé un petit autel, où je rends hommage à la nature. J’y dépose des choses ramasées dans les bois ou autre. Et j’incite les enfants à faire de même. Tout au long de ce processus, on tisse du lien et on mise sur la résilience pour faire face.»

Pour l’experte, cette triple connexion, avec ses émotions, celles des autres et avec le Vivant constitue les meilleures armes que l’on puisse donner aux jeunes dans leurs combats contre l’éco-anxiété.

A l’aube d’une nouvelle COP, le changement paraît-il encore possible et la catastrophe évitable, du moins partiellement? Il faudra en tout cas compter avec la génération qui peuple actuellement les cours de récré et écouter, dès à présent, ce que nos enfants ont à nous dire.

Estelle, 12 ans

«Je vais passer le reste de ma vie sur Terre. Je ne sais pas combien de temps exactement, mais c’est moi qui vais vivre tous les changements climatiques. Et ça me stresse. J’étais dans une école primaire qui faisait beaucoup de «zéro déchet» et de sensibilisation. On faisait plein d’actions et je fais vraiment attention à tout ça. Quand je me balade en rue et que je vois des gens jeter leurs déchets par terre, ça me rend folle. Alors je n’hésite pas à le dire. Je fais une réflexion ou je dis bien fort à mes amis: «oh tu as vu celui-là, il a jeté son papier par terre.» Je ne comprends pas pourquoi ils font ça! Il y a des poubelles presque partout, il suffit de les utiliser. Je pense aussi que j’aimerais bien avoir des enfants mais ça me déprime quand je vois l’état du monde. Par exemple, les incendies de cet été au Portugal, ça me fait peur. J’ai des origines portugaises et j’y vais chaque année. J’aimerais un jour y emmener mes propres enfants. Mais je ne sais même pas si ça sera possible, si ma maison n’aura pas brûlé ou quoi… et puis en Belgique, on a eu chaud aussi, avec les inondations. Plein de gens ont perdu leurs maisons. Ça ne m’a pas touchée directement mais qui me dit que demain, ça ne m’arrivera pas à moi aussi?»

Shaana-Dea, 12 ans

«J’ai toujours été sensible à l’environnement. J’en parle beaucoup avec mes copines. Mais pour finir, ça nous stresse plus qu’autre chose parce qu’aucune n’a vraiment de solution. Ça finit par empirer notre stress alors j’essaye de ne plus trop en discuter. Je suis un peu anxieuse de base mais quand je prends en compte l’aspect écologique, l’avenir me fait vraiment très peur. Et j’essaye vraiment de faire attention. Je ne prends pas de douches trop longues ; j’ai arrêté de manger de la viande ; je limite ma consommation. Et ce n’est pas facile. Parfois, je vois quelque chose dont j’ai très envie. Mais je me rappelle que je n’en ai pas vraiment besoin et je ne le prends pas. Cette année, je suis rentrée en secondaire dans un internat. J’ai dû un peu décorer ma chambre. C’était hyper difficile. J’ai essayé d’utiliser un maximum de choses que j’avais, mais j’ai quand même dû acheter certains objets. Et c’était horrible! J’avais l’impression de faire quelque chose de mal… Je ne sais pas si j’aurai des enfants plus tard. Je ne sais pas si le monde, quand je serai grande, sera dans un assez bon état. Je garde toutefois espoir. Quand je vois Greta Thunberg, je me dis que tout n’est pas perdu. Ce n’est pas mon idole, mais c’est clairement un de mes modèles. Et quand je découvre tous les gens, connus ou non, qui mettent en place plein d’initiatives géniales pour le climat et essayent de faire changer les choses, j’ai envie d’y croire.»

Arnaud, 12 ans

«Je suis vraiment conscient du changement climatique. Dans ma famille on essaye tous de s’y mettre et de faire des efforts. On est «zéro-déchet» et on a un petit terrain sur lequel on cultive des fruits et légumes. Et puis, on en parle beaucoup. Mais le changement climatique me fait peur. J’ai peur que les animaux disparaissent. Sans parler des ressources qui vont manquer. Par exemple, je vois plein de gens qui sont tout le temps sur leurs écrans. Mais si un jour on n’a plus de matériel pour les créer, qu’est-ce qui va se passer? Ils vont devenir fous? Et au niveau des déchets c’est la catastrophe. Plein de gens jettent leurs déchets n’importe où, même sur le sol. Alors j’ai déjà fait des remarques aux adultes mais ils s’en fichent. Du coup, c’est moi qui les ai ramassés. Mais ce n’est pas normal. Je ne sais pas si je veux des enfants plus tard. En tout cas je me pose la question de comment ils vont vivre? Et je n’ai pas envie d’avoir des enfants pour qu’ils vivent dans le malheur ou dans un monde hostile. En fait, je pense que les gens sont accrochés à leur petit confort et ils ne veulent pas changer, pour ne pas le perdre. Mais il va falloir changer sinon on est mal. Après, j’ai encore espoir. Je me dis que si c’est le métier de certaines personnes de se préoccuper de ça, c’est que c’est encore possible. Mais il faut faire vite!»

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