Papa pudique, maman à poil: La nudité dans les familles en 2025

nudite famille 2025
© Getty
Amélie Micoud Journaliste

Peut-on se montrer nu devant ses enfants? La question semble aussi universelle qu’intimement personnelle et, à l’ère de #metoo et des réflexions autour du consentement, peut-être plus d’actu que jamais.

Elle commence son message avec les hashtags #consentement #climatincestuel. Dans ce groupe Facebook dédié aux parents, une maman se questionne avec angoisse. Elle est tombée sur un post Instagram qui évoque l’incestuel dans les familles. Le post en question, particulièrement anxiogène, brasse un peu tout sans faire dans la dentelle: embrasser son enfant sur la bouche ou se montrer nu devant lui participeraient à ce climat incestuel. La maman panique: il lui arrive d’être nue devant ses enfants et de faire un bisou sur la bouche de ses petits. Est-ce qu’elle dysfonctionne? Qu’est-ce qui est normal? Qu’est-ce qui ne l’est pas?

La notion d’incestuel a été conceptualisée par le psychanalyste français Paul-Claude Racamier au début des années 90. C’est une «relation extrêmement étroite, indissoluble entre deux personnes que pourrait unir un inceste, et qui cependant ne l’accomplissent pas mais s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne.» Dans un épisode du podcast Faites des gosses «Peut-on se mettre nu devant son enfant?», la notion d’incestuel est également bien (trop?) vite avancée face à la nudité parentale.

Question de culture

Mais rembobinons. Car avant d’en arriver là, c’est-à-dire à une situation évidemment problématique, il y a un monde. Celui des parents «normaux» qui font en fonction de leur culture et de leur vécu. Ceux qui sortent de la salle de bains dans leur plus simple appareil pour aller s’habiller ou, au contraire, les pudiques qui ne se montrent jamais sans culotte. Tout ça est une affaire d’histoire personnelle, mais pas seulement. Car la question de la nudité est aussi éminemment culturelle.

«J’habite en Allemagne, raconte Mathilde, maman de deux enfants, et ici, il est très fréquent d’être exposé à la nudité sans aucune connotation sexuelle. C’est normal d’aller au sauna avec sa famille ou ses amis, voire ses collègues. Mon mari le fait avec sa mère et ses sœurs sans problème, ce n’est pas du tout le même rapport au corps nu que chez nous. Pour mon mari, c’est simple, on s’adaptera à ce que veulent nos enfants, notamment à l’adolescence, quand ils auront besoin de plus d’espace, puisque lui-même a eu cette phase, ado.»

Dans son livre paru en 2023, Vivre nu, Margaux Cassan raconte son expérience heureuse du naturisme qu’elle a vécu tous les étés, avec son oncle et sa tante. «Mon enfance, je l’ai passée nue, entourée de corps nus», énonce-t-elle sans détour en quatrième de couverture. Si elle fait le distinguo entre l’expérience particulière du naturisme et la nudité au sein du foyer familial, pour l’autrice, la nudité vécue en famille n’a jamais été un problème. Au contraire même, puisque, selon elle, «la nudité crée une vulnérabilité partagée entre les enfants et les adultes, qui horizontalise les rapports entre les générations, entre les figures d’autorité. Ce n’est pas pour rien qu’on a inventé l’uniforme, que les patrons ne s’habillent pas comme les ouvriers. Le costume, le parfum créent une distance et une autorité qui n’existent pas dans une situation où tout le monde est nu.»

Le vêtement comme marqueur social et la nudité comme acceptation de soi, constituaient les thèmes du livre pour enfants Tous à poil, au cœur d’une polémique peu après sa sortie, en 2011. «A poil le bébé», «A poil la maîtresse», «A poil les voisins»… Le livre déshabillait avec un humour réjouissant absolument tout le monde, figures d’autorité comme figures familiales (à poil papi), pour que tout le monde finisse tout nu tout bronzé à la plage, jeunes, vieux, Blancs, Noirs…

Ces deux ouvrages, Vivre nu et Tous à poil, prennent finalement le contre-pied d’une autre grande figure de la psychanalyse, Françoise Dolto, qui pensait que, confrontés à la nudité de leurs parents, «les enfants développent des sentiments d’infériorité ou, pire, ils ne se voient plus eux-mêmes, et ils ne se sentent plus le droit d’avoir eux-mêmes un corps. Alors, que la mère et le père soient toujours décents, chez eux, comme les adultes le sont sur les plages, pas nus.»

Un peu de pudeur?

Devant le ton péremptoire de la psychanalyste, on serait tenté de relativiser. Car ce n’est pas la même chose d’aller chercher ses affaires dans une autre pièce en tenue d’Eve que de faire la cuisine ou regarder un film au salon nu comme un ver. Une nudité heureuse, vécue comme quelque chose d’intrinsèquement politique – tous nus, tous égaux – voire éducative, n’est cependant pas si évidente à la maison, dans la sphère intime du foyer familial. Si, du côté des psys, les avis divergent – pour certains, comme Dolto, la nudité des parents est toujours traumatisante, quand pour d’autres, le corps nu ne doit pas être tabou – tous s’accordent sur un point: tout ira bien pourvu qu’on soit attentif à l’enfant, c’est-à-dire, qu’on respecte son besoin de pudeur dès qu’il l’exprime, d’une manière ou d’une autre.

« Quand la question se pose, que ça devient un peu plus délicat, c’est le moment où il faut faire attention. »

«Vers 7 ou 8 ans, certains enfants n’auront plus envie de voir leurs parents nus et d’être nus devant leurs parents non plus, explique Reine Vander Linden, psychologue clinicienne. Ce sont des moments très subtils qu’il faut pouvoir sentir au sein de la famille et qui imposent des modifications des habitudes. Ça ne veut pas dire qu’on va soudain fermer toutes les portes, mais que, plutôt que se déshabiller devant l’enfant, on se retournera, par exemple. Ce sont des petites choses qui vont lui permettre d’assimiler ce malaise qui naît en lui parce que lui-même doit s’habituer à un corps un peu changeant ou parce qu’il n’a plus envie de voir des adultes nus. Quand la question se pose, que ça devient un peu plus délicat, c’est le moment où il faut faire attention.» Et puis, en 2025, les familles sont multiples, fréquemment recomposées. «Se balader nu devant son beau-fils ou sa belle-fille, je ne sais pas si c’est vraiment agréable pour tout le monde», ajoute la psychologue avec un bon sens qui, pourtant, ne semble pas si évident au regard du nombre d’articles «Peut-on se montrer nu devant nos enfants?» publiés chaque jour. Et de conclure que «ça ne se dialogue pas, ce n’est pas quelque chose d’explicite et qui se passe toujours du jour au lendemain.»

Pour Margaux Cassan, avec ou sans nudité, la pudeur de l’enfant, si elle n’est pas dite, s’exprime de toute façon. «La pudeur, c’est la chose la plus personnelle au monde! Si votre enfant est mal à l’aise, vous le voyez, d’autant plus que c’est le vôtre. Un geste, un rictus…»

Sur les réseaux sociaux, cette question de l’effraction potentielle de l’intimité de nos enfants se pose, avec une prise de conscience de ce que peut impliquer la publication en ligne d’images de nos chères têtes blondes, parfois dans les moments de vie les plus intimes. N’en témoignent les émojis posés sur le visage ou le corps des kids 2.0.

Mais dans le même temps où les visages et les corps s’exposent, dénudés mais jamais totalement nus, sur les réseaux sociaux, et où il est facile d’avoir accès à de la nudité sur Internet, le corps, des femmes notamment, semble paradoxalement plus caché qu’il y a quelques décennies où maman bronzait topless à la plage. Et l’amalgame entre nudité et sexualité est, de nouveau, très présent, notamment chez les jeunes parents.

Le consentement

«Il y a peut-être plus de complexité aujourd’hui, explique Reine Vander Linden. Avant, c’était lié à ce qui se passait au sein de la famille elle-même. Il y avait des foyers où on se montrait nus facilement, d’autres moins. La question s’est ouverte en 68 avec presque une obligation de se sentir libre et d’avoir une aisance dans la nudité. Et après ça, la question s’est complexifiée avec les photos sur les réseaux sociaux, mais également une réflexion un peu plus intelligente et ouverte sur le consentement, y compris celui de l’enfant, même s’il reste dépendant de l’adulte. On ne se posait probablement pas autant de questions autrefois.»

Est-ce donc plus dur pour les parents d’aujourd’hui, traumatisés par les affaires de mœurs tristement célèbres, très conscients des questions autour du respect de l’intégrité corporelle, qu’il s’agisse du tout-petit, du bambin grandissant ou de l’ado, à tel point que parfois, changer une simple couche ou donner le bain devient compliqué?

«Mon fils adore venir épier quand je me douche ou m’habille, nous confie Sophie, en couple, avec un petit garçon de 4 ans. Je lui rappelle que c’est mes parties intimes, et qu’il faut demander avant d’entrer dans la pièce. Il voit plus souvent son père nu que moi. Et si ça ne me dérange pas qu’il me voie nue, j’ai envie de lui inculquer la pudeur, les limites et surtout le consentement, pour lui-même et pour autrui.»

En 2025, les parents proposent des livres sur ces thèmes à leurs enfants, sont soucieux de nommer les parties intimes par leurs «vrais» noms – pénis, vulve – et apprennent à leurs tout-petits la notion de consentement donc, parfois très tôt.

«C’est évidemment très bien d’inculquer la pudeur et le respect du corps à son enfant mais parfois, je me demande si ça ne va pas un peu trop loin, nous confie Lucie, maman de deux garçons. J’ai écouté cet épisode du podcast Faites des gosses. Il y a ce papa qui explique combien il fait attention de dire à ses neveux et nièces, un peu plus grands que ses fils, qu’ils peuvent aller mettre leur pyjama dans la salle de bains, comme ça leurs cousins ne les voient pas. C’est typiquement le genre de situation où je me demande si ça ne risque pas d’envoyer le signal à l’enfant qu’il doit aller cacher son corps, puisque son corps nu peut poser problème, visiblement.»

« L’enfant ne devrait pas avoir conscience des névroses des adultes. »

« L’enfer serait donc pavé de bonnes intentions? «La Belgique a été traumatisée, confie encore Reine Vander Linden. J’ai des parents qui étaient enfants à l’époque de l’affaire Dutroux et disent combien ils ont peur. Certains jeux d’enfants ont été interprétés comme des choses gravissimes, avec une adultification de l’acte. Ce n’est pas parce qu’un enfant montre son zizi qu’il est pervers ou abuseur!» Ce glissement du «normal» – le plaisir exhibitionniste des enfants de 3 ou 4 ans – au pathologique peut être d’autant plus prégnant pour les parents qui ont un vécu traumatique. Reine Vander Linden donne ainsi l’exemple d’une de ses patientes qui avouait se mettre dans un état de furie quand sa petite fille soulevait sa jupe. «Je ne veux pas qu’on fasse des choses à ma fille comme on m’a fait à moi», avait-elle répondu à la thérapeute qui l’interrogeait sur ce qui se jouait alors pour elle quand sa fille montrait sa culotte.

«L’enfant ne devrait pas avoir conscience des névroses des adultes», s’exclame de son côté Margaux Cassan, faisant le triste constat du déclin du naturisme. «Aujourd’hui, on a de plus en plus peur pour nos enfants. Mes frères et sœurs ont des enfants en bas âge et ils n’iraient pas dans un camp naturiste.» S’il n’est évidemment pas question de remettre en cause le bien-fondé de l’enseignement du consentement à notre descendance, on notera ces mots de notre psychologue, habituée à rencontrer de tout jeunes parents: «On a rendu les choses beaucoup plus compliquées qu’elles ne le sont en réalité.» Peut-être que la meilleure chose à retenir, quand on est parent c’est que, comme disait Horace, il faut de la mesure en toutes choses.

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