Come As Your Are: la photographe Laetitia Bica s’expose au MAD Brussels

Anne-Françoise Moyson

La photographe Laetitia Bica expose le fruit de son travail de résidence au MAD Brussels dès ce 22 mai et pendant presque quatre mois. Elle y a portraituré quinze personnalités portant haut la jeune création belge. Elle titre son expo Come As Your Are, une invitation sublime et puissante.

Vous connaissez Laetitia Bica pour ses portraits qu’elle signe dans nos pages, avec cette humanité singulière qui transcende tout. Vous la connaissez aussi parce qu’en 2023, elle était notre Changemaker of the Year aux Belgian Fashion Awards, fierté. Et peut-être même avez-vous eu la chance de la croiser dans les rues de Liège où elle a grandi ou de Bruxelles où elle vit désormais. A moins que ce ne soit lors de ses résidences à la Villa Noailles à Hyères, au RAVI à Liège, à Het Huis à Utrecht, au Tamat à Tournai ou dans les festivals et biennales qui eurent la bonne idée de l’inviter, du BIP dans la Cité ardente, à FOTODOK à Utrecht ou UNSEEN à Amsterdam.

‘J’aimerais que chaque photo soit un monde en soi, un monde immersif. Que l’on ne sache pas ce qui relève de la scénographie ou de la vie.’

Pour l’heure, elle s’est installée au MAD Brussels, à tous les étages, Come As You Are. C’est une invitation et en même temps le titre de son exposition. En février dernier, durant un mois de résidence, au quatrième étage de ce centre qui promeut la mode et le design à Bruxelles, Laetitia Bica a installé un studio photo, qui ne se réduisit pas seulement à un studio photo: ce fut avant tout un lieu d’échanges et de partage et d’inventions.

Une safe place aussi où chaque personne avait le droit de se dire et se montrer devant l’objectif de la photographe, se glissant dans des vêtements de créateur.ice.s belges qui leur font comme une seconde peau. Rien n’était figé d’avance et rien ne le sera après. Car Laetitia Bica se laisse toujours la liberté d’entrer en résonance avec son modèle. Elle chérit l’art de la performance, des make-up et des effets spéciaux qui révèlent sans jamais rien camoufler. De là naît sa grande liberté, nourrie par sa curiosité, sa volonté de faire rencontre, son envie de vivre ce qui se joue là, à l’instant, comme on danse, se laissant porter par le rythme, sans plus compter les pas.

«Cette exposition est l’occasion de dire des choses qui me tiennent à cœur, d’exprimer plastiquement mes idées, ce ne sont pas des revendications, juste des intentions», confie-t-elle, heureuse et fatiguée à la fois, tant ces derniers temps furent intenses. Si elle prône la cocréation, c’est parce qu’elle est persuadée que le collectif nous sauvera. Alors elle entraîne dans son ample mouvement de résistance celles et ceux qui le désirent, Jennifer Defays au stylisme, Simon Loiseau au plateau, Maria M. Zola au make-up, Deborah Robbiano aux fleurs. Sans oublier ses modèles, venus de tous les horizons, danser.euse.s, drag, performeur.euse.s, DJ, comédien.ne.s ou make-up artists…

Elle parle à notre intelligence émotionnelle et met en lumière les corps, tous les corps, habités, qui racontent leur singularité, qui se moquent des proportions, qui les fuckent, dit-elle sans apprêt. Ils sont pour elle des paysages, portés par des êtres qui sont sujets pleins et entiers, au même titre que vous et moi. Un jour, Laetitia a décidé de se laisser traverser par la beauté, par la rencontre, par la relation avec le vivant, elle n’en est pas revenue.

Come As You Are, MAD Brussels, 10, place du Nouveau Marché aux Grains, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 6 septembre. L’accès est entièrement gratuit, du mercredi au samedi de 11 à 18 heures.

«Il y a quelque chose de perçant dans le regard de Naomi Waku, make-up artist: elle te regarde réellement mais elle ne te juge pas. Et elle utilise son visage comme un outil, avec des allers-retours constants entre l’art, la mode et la rue.»
«Catherine Mattelaer, c’est ma mannequin préférée, on se connaît depuis un moment, c’est la seule professionnelle de tout le groupe. Elle a 73 ans et elle a fait la couverture du Vogue Italie en 1973, je trouvais ça beau et fort. Elle est méga douce, elle est comme une espèce d’ange qui veille sur nous. Là, elle est en oiseau qui sort de son plumage signé Sander Bos. Elle a un geste magnifique, une expression libératrice dans un éclat de lumière, c’est très elle, c’est un être lumineux.»
«Daphne Agten est actrice, autrice, performeuse d’une intelligence et d’un raffinement incroyables. Elle cartonne. Nous avions travaillé ensemble durant le confinement — avec elle, j’ai pu me déconstruire par rapport au corps gros, elle m’y a donné accès, comme un miroir. On a construit ensemble quelque chose de précieux. Elle porte une pièce de Tom Van der Borght, elle me fait penser à une vierge iconique, une déesse aquatique, une figure mythologique.»
«Avec ce portrait de Drag Couenne en clown punk, on n’est ni dans la mode ni dans le drag, en réalité, on est un chouia entre les deux. Et cela ne bascule pas, cela joue avec le grotesque mais cela ne l’est pas. Son expression pourrait paraître triste mais j’y vois plutôt un regard lucide qui nous permet de nous interroger – qu’est-ce qu’on a fait? – mais sans jugement. Le clown utilise toujours son corps et son cœur pour être en miroir avec la société.»
«Nançy Naser Al Deen et Mbunga Kongi Milka sont danseuses et performeuses. Les chapeaux sont de Kais Masood, on dirait deux bouches géantes qui vont s’embrasser. J’y vois des personnages cartoonesques, tout est très dessiné tout en restant très brut, parce que les peaux sont là. Je trouve belle la main sur la poitrine, c’est une invitation. Tout comme la photo, qui invite elle aussi. Elle n’enferme pas car elle fait appel à nos perceptions sur le monde, les choses, les corps, l’amour. Une photo, ce n’est ni un début ni une fin, c’est un moment entre les deux qui permet une ouverture du récit. C’est pour cela que j’aime la photo.»
«Daphne Agten pose devant le miroir, avec les accessoires de Eunji Oh. On ne sait plus où commence le sac, où finit la jambe, c’est ça qui est beau. J’ai toujours prôné la jeune création, celle faite par les étudiants. Leur seul enjeu, c’est l’expression, ils sont alors tenus de développer leur sensualité, leur sensibilité vis-à-vis des matières, des formes, de l’artisanat. A l’école, on peut se permettre plus de choses, après c’est plus compliqué… J’affectionne ces collections-là, parce qu’elles sont intimes et sincères.»

Laetitia Bica en bref

Née le 15 avril 1981 à Liège.
Elle étudie les arts visuels à l’ESA Saint-Luc à Liège.
En 2005, elle signe ses premières photos de mode pour Le Vif Weekend.
Elle collabore avec des artistes (Stromae, Bouli Lanners, Jean-Paul Lespagnard…)
En 2014, elle publie sa première monographie First aux éditions du Caïd.
En 2018, elle est finaliste au Festival d’Hyères, section photographie.
En 2023, elle remporte le prix Changemaker of the Year aux Belgian Fashion Awards.
En 2025, elle est en résidence au MAD Brussels.

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