Karel Fonteyne: »L’introverti que je suis a trouvé un exutoire dans la photographie »
Aujourd’hui âgé de 70 ans, il a conquis le monde de la mode belge et internationale au début des années 80 avant de revenir à ses racines de photographe d’art, en 1996. Il célèbre son anniversaire en beauté par la publication d’un ouvrage, Spell, une rétro au centre d’art Hangar à Bruxelles et une participation à l’expo Iconobelge, à la Handelsbeurs, à Anvers.
Je ne suis pas un vrai photographe. Il y a des personnes qui se baladent avec leur appareil et capturent ce qu’elles voient. Moi, j’essaie de montrer comment mon esprit traduit la réalité. L’expérience intérieure m’intéresse plus que le monde qui nous entoure. Un peintre donne vie à ses idées avec ses pinceaux, moi avec mon appareil. Je commence par faire un croquis de ce que j’ai en tête, puis je me mets à la recherche des éléments dont j’ai besoin pour créer cette image.
Je dois ma vocation à la littérature et au cinéma, à des écrivains comme Jorge Luis Borges, Gabriel García Márquez et Tarjei Vesaas et à des cinéastes comme Ingmar Bergman ou Federico Fellini. Je reconnais dans leur oeuvre les sentiments de confusion et d’aliénation que je ressentais enfant, et j’admire leur capacité à invoquer un état d’être ou à exciter l’imagination en si peu de mots et de dialogues. L’introverti que je suis a trouvé un exutoire dans la photographie, mais le support en tant que tel n’a jamais été ma préoccupation première.
Les fondements n’ont pas changé. Ces deux dernières années, j’ai fouillé dans mes archives et redécouvert une foule d’images que j’avais oubliées depuis longtemps – des travaux pour l’école, des campagnes de mode, des catalogues et des publications pour Vogue et tant d’autres, mais aussi des poèmes écrits dans ma jeunesse et même une contribution au magazine français Zoom. J’ai été heureux de voir que, même si mes images et moi avons évolué, le contenu et les fondements sous-jacents n’ont pas changé.
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Ne pas avoir de modèles a ses avantages. Ne pas se focaliser sur des aspects extérieurs aide à développer plus facilement son style. C’est aussi pour cette raison que je n’ai jamais été assistant et que je ne m’intéresse à l’oeuvre des autres qu’avec modération. Un livre éveille l’imagination du lecteur, qui y apportera toujours sa contribution propre. Une image est ce qu’elle est.
J’aime de temps en temps être seul. Petit dernier de la famille, j’ai passé une bonne partie de mon enfance seul dans les bois et dans la nature. Aujourd’hui encore, je prends parfois plaisir à me retirer du monde, parce que cela alimente mon travail et nourrit ma personne en tant qu’être humain. Notre addiction à la consommation et aux technologies de la communication représente un immense appauvrissement spirituel. Tout est tellement plus simple quand on sait qui on est et ce qui compte vraiment… et pour cela, il faut commencer par faire le silence et accepter la confrontation avec soi-même.
Dans les années 70, la photo d’art ne nourrissait pas son homme. J’ai réalisé mes premières photos de mode en 1977. Quelques années plus tard, je me suis lié d’amitié avec Martin Margiela et nous avons collaboré ensemble à la revue-culte anversoise Winners ; ont suivi une série de projets avec ses contemporains et avec des labels et magazines belges et étrangers. C’était une tout autre époque… Mais bien des choses restent possibles aujourd’hui, car tous les niveaux de l’industrie de la mode commencent tout doucement à comprendre que le système doit et va changer.
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Les vêtements ne m’ont jamais beaucoup intéressé. En tant que photographe de mode, je voulais avant tout raconter une histoire, et nous cherchions ensuite des tenues qui y correspondaient. Chez Vogue France, nous procédions de cette manière. J’ai eu des discussions enflammées avec des commanditaires du secteur de la publicité ou de la mode. Certains stylistes étaient offensés lorsque je présentais leurs créations de haute couture dans une banlieue abandonnée de Paris en maculant les mannequins de gadoue. Cela dit, cela m’a aussi ouvert des portes, justement parce que je ne faisais pas de clichés classiques. J’y mettais une part de moi-même, ce qui leur conférait une certaine dimension, un certain rayonnement.
Etre célébré, être oublié, c’est sans importance. Il y a plus qu’assez d’illustres inconnus qui font des choses formidables. J’ai toujours apprécié d’être reconnu – pour ce que mon oeuvre signifiait pour les autres, pas pour l’argent – , mais ma fierté n’est pas d’avoir travaillé pour Vogue ou pour le secteur de la mode. C’est d’avoir su rester moi-même, sans guère de concessions. Je me méfie des formations créatives qui encouragent leurs élèves à réfléchir en fonction du marché. Détachez-vous de cette idée, suivez votre instinct et les choses se mettront en place.
Iconobelge, à 2000 Anvers, handelsbeursantwerpen.be, jusqu’au 27 septembre.
The Circle, à 1050 Bruxelles, thehangar.be, du 5 septembre au 24 octobre. Spell, éditions Stockmans. karelfonteyne.com
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