Décès de Sabine Weiss, dernière photographe « humaniste »

La photographe Sabine Weiss, dernière représentante de l'école humaniste
Aurélie Wehrlin Journaliste

Sabine Weiss aimait capturer les « morveux », les « mendiants » et les « petits narquois » croisés dans la rue: cette photographe, espiègle et rigoureuse, connue également pour ses photos de mode parues dans Vogue était la dernière disciple de l’école française humaniste.

Comme Doisneau, Boubat, Willy Ronis ou encore Izis, Sabine Weiss, décédée mardi à 97 ans, a immortalisé la vie simple des gens, sans toutefois revendiquer une quelconque influence.

« Je n’ai jamais pensé faire de la photo humaniste. Une bonne photo doit toucher, être bien composée et dépouillée. La sensibilité des personnes doit sauter aux yeux », affirmait-elle dans La Croix.

Lauréate du Prix Women in Motion in 2020 de la photographie, Sabine Weiss a fait l’objet de quelque 160 expositions à travers le monde.

Pionnière de la photo d’après-guerre, cette technicienne hors pair, au parcours éclectique, en couleur comme en noir et blanc, était née en Suisse avant d’être naturalisée française en 1995.

Personnalité discrète et moins connue du grand public que d’autres photographes de son époque, cette femme pétillante d’1m 55 qui niait avoir souffert d’une quelconque « ségrégation » comme femme, voulait établir « un dialogue constant » avec son sujet, considérant la photographie comme « une amitié ».

« Les gens qui me connaissent sont ceux qui aiment mon regard », disait-elle sur France Inter. Je suis compatissante ».

« J’attends jamais »

Le Paris de l’après-guerre a lancé sa carrière. Là, autour des années 50, elle arpente, souvent de nuit, la capitale avec son mari, le peintre américain Hugh Weiss (le couple adoptera une fille) pour figer des instants fugaces: ouvriers en action, baisers furtifs, allées et venues dans les bouches de métro. « La capitale, à l’époque, baignait la nuit, dans de beaux brouillards ».

Sur ces clichés, les enfants sont très présents, comme cette rayonnante petite Égyptienne immortalisée au débotté. « C’est un défi, il faut aller vite et moi j’attends jamais! ».

Dans ce qu’elle nommait « mes images de morveux », elle accroche les sourires, les jeux ou les singeries de bouilles crasseuses aux vêtements déchirés. « C’est amusant de jouer avec les enfants de la rue », disait-elle, avec le désir d’avoir été le témoin de son époque et de dénoncer les injustices.

« Il faut dire aux gens: photographiez, photographiez les gens, les choses autour de vous. Dites-le ! »

Née Weber le 23 juillet 1924 à Saint-Gingolph au bord du lac Léman, Sabine Weiss acquiert à 12 ans son premier appareil avec son argent de poche. Pas scolaire, elle apprend à 16 ans le métier dans un célèbre studio genevois.

Arrivée à Paris en 1946, elle travaille pour le photographe de mode Willy Maywald. L’année de son mariage, en 1950, elle ouvre son studio dans le 16e arrondissement tandis que Doisneau l’introduit à Vogue et au sein de l’agence Rapho (devenue Gamma-Rapho).

Elle fréquente les milieux artistiques, fait des portraits de Stravinski, Britten, Dubuffet, Léger ou Giacometti. Elle va travailler, et réussir, dans plusieurs registres : reportage (elle voyage beaucoup), publicité, mode, spectacle, architecture.

« J’ai fait de tout dans la photo », confiait-elle à l’AFP en 2020. « Je suis allée dans des morgues, dans des usines, j’ai photographié des gens riches, j’ai fait des photos de mode… Mais ce qui reste, ce sont uniquement des photos que j’ai prises pour moi, à la sauvette ».

« Photographiez ! »

Préférant en toutes choses la sobriété aux « choses très éclatantes », elle répond aux commandes des grands magazines (Newsweek, Time, Life, Esquire, Paris-Match etc).

Prolifique et généreuse, Sabine Weiss lègue en 2017 200.000 négatifs et 7.000 planches-contacts au Musée de l’Élysée à Lausanne. « Je ne sais pas combien j’ai fait de photos, disait-elle à l’AFP en 2014, de toute façon, ça ne veut pas dire grand chose ».

Au cours de cette même interview, elle s’émerveillait – sans nostalgie – de la révolution numérique : « c’est formidable, ça fait de la netteté, le temps de pose, les objectifs sont merveilleux ».

Actuellement, « les gens ne photographient pas tellement autour d’eux, mais plutôt eux-mêmes », constatait-elle auprès de l’AFP en 2020, en allusion aux selfies.

Pour elle, ce sont toutes les traces de vie qu’il faudrait conserver au fil du temps. « Il faut dire aux gens: photographiez, photographiez les gens, les choses autour de vous. Dites-le ! »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content