Etienne Tordoir, photographe de défilés et de concerts: « Travailler dans les médias est une leçon de discipline et de modestie »

© Heleen Rodiers
Lut Clincke Journaliste

Depuis des décennies, Etienne Tordoir (60 ans) immortalise les Fashion Weeks, mais aussi des concerts. Il traduit sa passion pour la mode et la musique par des clichés, et parfois par des mots.

La plus petite étincelle peut devenir un beau feu, mais il faut s’en rendre compte. La clé est de développer nos talents. Rien ne se gagne sans effort. Cette attitude concerne tous les aspects de nos vies, tant sur le plan privé que professionnel. Je suis un fataliste-optimiste. D’un côté, je suis convaincu que notre vie est en quelque sorte déjà écrite et que nous ne pouvons pas faire grand-chose pour changer son cours. D’un autre côté, je pense que nous pouvons tout de même contrôler un pan de notre destin en saisissant les opportunités lorsqu’elles se présentent.

J’aime aller voir sous la surface. A l’école, je n’ai jamais été fasciné par les matières prêtes-à-étudier, j’aimais découvrir par moi-même. Pendant mes études secondaires, à 16 ans, j’ai commencé à travailler comme reporter musical free-lance pour le journal socialiste local. J’étais chargé de la section jeunesse avec un autre free-lance de mon âge. J’utilisais mes propres photos. Je n’ai jamais suivi de cours de photographie, mais j’ai appris les bases avec mon premier amour, qui faisait des études dans le domaine. Je ne voulais pas choisir entre la photographie et le journalisme. Après mes secondaires, j’ai étudié la communication sociale à Louvain-la-Neuve, qui était alors une toute nouvelle discipline et qui correspondait le mieux à mes centres d’intérêt.

Je m’intéresse moins aux vêtements qu’aux personnes qui se cachent derrière les créations: qui sont-elles, qu’est-ce qui les anime, quelles sont leurs influences?

Seul, on n’arrive jamais à rien et il y a toujours quelqu’un qui vous ouvre une porte. L’un de ces personnages-clés de ma vie professionnelle est Christine Laurent, qui a été rédactrice en chef du Vif Weekend, entre autres, pendant plusieurs années. A l’époque, elle m’avait demandé de réaliser un portrait des finalistes du dernier concours de la Canette d’Or. C’est ainsi que je suis entré dans l’univers de la mode. Je m’intéresse moins aux vêtements qu’aux personnes qui se cachent derrière les créations: qui sont-elles, qu’est-ce qui les anime, quelles sont leurs influences? Il en va de même pour la musique. Le monde de la mode et celui de la musique sont d’ailleurs étroitement liés.

Mon intérêt pour l’aspect humain me vient probablement de ma mère. C’était une caractéristique essentielle de son métier d’infirmière à domicile. Elle était à l’écoute de ses patients et faisait preuve d’énormément d’empathie. Après son décès, les nombreuses réactions et histoires de ses patients et de leurs familles nous ont permis de prendre conscience de ce qu’elle représentait pour eux. Maintenant que je suis moi-même papa, je me demande comment elle a réussi à combiner son travail avec une famille de trois enfants. A mes débuts en tant que journaliste musical, je prenais le dernier train pour rentrer chez moi après un concert et elle venait toujours me chercher à la gare. Nous bavardions un peu et je garde un excellent souvenir de ces conversations.

Un défilé de mode dure environ 10 minutes et le rôle du photographe est de donner le meilleur de lui-même pour capturer ce moment de la manière la plus vivante possible. En général, je préfère le premier défilé d’un jeune créateur inconnu à l’énième d’une grande maison de couture. J’apprécie cette fraîcheur et cette énergie.

L’évolution numérique a bouleversé notre métier. A l’époque de l’analogique, nous choisissions nos bobines de film en fonction de la luminosité. Nous savions dans quelles conditions les créateurs avaient organisé leur défilé. Nous prenions également des photos très ciblées et bien pensées, car nous devions être économes avec nos bobines. Je faisais alors des photos sur mesure pour mes clients. Avec l’arrivée du numérique, cet aspect de notre métier a disparu. Maintenant, tout le monde doit avoir tout, et tout de suite de préférence.

Travailler dans les médias est une leçon de discipline et de modestie. Vous n’êtes qu’un maillon de la chaîne, mais votre façon de voir les choses peut toucher les gens. Je suis ravi quand certaines personnes me disent qu’elles ont appris à connaître des artistes grâce à mes critiques musicales de l’époque. Je n’ai jamais ressenti le besoin d’écrire pour ruiner la carrière d’un artiste. Le stylo peut être une arme dangereuse, il doit être manié avec soin. Le respect et la nuance sont essentiels, leur absence se fait sentir sur les réseaux sociaux.

Nous vivons une époque incertaine. Quand je regarde en arrière, je me demande si je ferais les mêmes choix. Je suis toutefois satisfait de mon parcours. Grâce à mon travail, j’ai voyagé dans le monde entier et rencontré des personnes formidables. J’ai pu réaliser tout ce dont je rêvais. Je me considère chanceux.

catwalkpictures.com

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