Edgar Kosma

Poutine et web-dépendance

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Au royaume des réseaux sociaux, les jours passent et ne se ressemblent pas. Entre les buzz et les likes, le vrai et le fake, Edgar Kosma scrolle le fil d’actu d’un siècle décidément étrange. Hashtag sans filtre.

Onzième chronique dans les pages lifestylées de votre magazine vivifiant et voici venu le moment de la première interro surprise. Vous souvenez-vous de la fois où je vous suggérais de regarder «non pas la face visible et éthérée d’Internet mais sa face cachée, souterraine, celle qui ne plane pas comme un doux nuage au-dessus de nos têtes mais celle qui a le goût du sel sur les câbles marins» et blablabla…? Rassurez-vous, je ne suis pas du genre à me répéter et ne pensais d’ailleurs pas me replonger de sitôt au fin fond des océans. Mais la triste actualité a fait ressurgir à la surface de mon esprit l’existence de ces 400 câbles sous-marins à travers lesquels transitent 99% de l’Internet mondial.

C’est l’économie du monde entier qui serait mise à mal.

En matière de coups tordus, Vladimir Poutine est rarement le dernier, on ne peut pas lui enlever ça. Pour preuve, certains experts émettent aujourd’hui l’hypothèse qu’il pourrait, en réaction aux sanctions et représailles internationales, détruire ces fameux câbles. Pour cela, il lui suffirait «juste» d’envoyer des sous-marins ou des missiles subaquatiques pour mettre hors d’état de transmettre ceux qui passent non loin des frontières russes, c’est-à-dire presque partout sur Terre tant son territoire est étendu. Non content d’avoir coupé les Russes de la plupart des réseaux sociaux et sites d’info, afin de les protéger de la «propagande» occidentale, le maître du Kremlin pourrait cette fois éteindre le routeur de la planète. Circulez, ennemis du Mal, y’a plus rien à cliquer!

Nous qui, de ce côté du Mur, avons grandi en considérant le progrès technologique comme une avancée irréversible et le réseau comme un droit acquis, fermons les yeux un instant pour imaginer une planète totalement déconnectée du jour au lendemain. Serait-ce un simple retour au monde que nous connaissions jusque dans les années 90? J’ai bien peur que plus rien ne fonctionnerait après ce nouveau départ, tant notre électro-dépendance et notre web- accoutumance sont devenues immenses. Et pour rétablir la connexion, il ne s’agira pas d’éteindre et de rallumer le routeur, mais d’aller réparer ou remplacer ces câbles au fond des mers russes, ce que le Tsar de Moscou ne permettrait jamais, du moins pas dans l’immédiat.

En réalité, ce monde ressemblerait plutôt à ce que nous vivions au début du XIXe siècle, avant la Révolution industrielle, lorsque nous nous déplacions à cheval et nous éclairions à la bougie. Sauf qu’ici, nous serions entourés d’objets connectés déconnectés, de data centers sans plus rien à analyser, de réseaux sociaux vides comme des églises, de voitures autonomes sans auto-guidage et de tablettes qui nous serviraient littéralement de tablettes.

Au cœur de ce scénario-catastrophe, le secteur des banques et de la finance (dont les transactions sont estimées à 10 000 milliards par jour) serait certainement le plus touché. Et par ricochet, l’ex-agent du KGB l’a bien compris, c’est l’économie du monde entier qui serait mise à mal: marchés financiers à l’arrêt, plus aucun accès aux services bancaires (retrait d’argent, paiement, emprunt, investissement…). La totalité de l’activité humaine en stand-by? Certes, un prof pourrait toujours enseigner, mais la gestion administrative des écoles n’est-elle pas tributaire du Web? Certes, un chauffeur de bus pourrait encore conduire, mais la supervision du réseau n’est-elle pas gérée en ligne? Certes, un ouvrier de la construction pourrait creuser ses fondations, mais les commandes de matériaux arriveraient-elles sur le chantier? Puis, comment tous ces travailleurs seraient-ils payés en fin du monde, euh, du mois?

A ce stade, la bonne nouvelle, c’est que les requins qui nagent juste au-dessus de ces 400 câbles sous-marins n’en ont pas encore compris l’importance stratégique, sinon, vu la manière dont on traite leur écosystème, ils auraient là un beau plat de résistance à se mettre sous les dents. La mauvaise, c’est que Poutine est bien plus nuisible qu’une armée de requins.

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