Comment l’amitié diminue votre risque de dépression, de cancer et même de démence
De Montaigne à La Fontaine, l’amitié a de tous temps été un sujet fertile pour les hommes de lettres. C’est qu’elle ne manque pas de bienfaits, sur l’humeur, bien sûr, mais aussi pour la santé, ainsi que le démontre Marie-Anne Vanderhasselt, psychologue clinicienne et professeur à l’université de Gand.
Pourquoi sommes-nous amis avec certaines personnes alors que nous n’arrivons jamais à nous entendre avec d’autres ? Selon notre compatriote Marie-Anne Vanderhasselt, psychologue clinicienne et auteure d’un livre dédié à l’amitié, se faire des amis est une sorte de formule à six ingrédients. « Pour se ‘trouver’ et nourrir le lien, nous avons besoin d’intérêts communs et d’un soutien social, sous la forme d’un soutien émotionnel ainsi que d’une aide et de conseils pratiques. Mais l’intimité émotionnelle, la réciprocité, la confiance et une communication honnête sont également importantes ».
Des ingrédients qui constituent la base d’un lien fort, « mais la qualité et la facilité du dialogue entre les deux personnes peuvent aussi faire que le « déclic » se produise ou non. Il est essentiel que nous nous sentions capables d’être nous-mêmes et que nous puissions partager nos expériences positives et négatives » déclare Mme Vanderhasselt. Qui concède que l’amitié est différente pour chacun d’entre nous.
Par exemple, les femmes préfèrent en règle générale les relations individuelles plus intimes, tandis que les hommes s’épanouissent mieux dans les grands groupes. La personnalité joue également un rôle: les introvertis ont tendance à se sentir à l’aise dans des cercles restreints et des environnements calmes, tandis que les extravertis puisent leur énergie dans les nouvelles rencontres et les activités sociales intenses.
Qualité et quantité
« Notre besoin de relations proches est pourtant universel. Le stéréotype selon lequel « plus il y a d’amis, mieux c’est » est en fait une idée fausse. Une amitié étroite dans laquelle vous vous sentez vraiment heureux et plein d’énergie peut être beaucoup plus précieuse qu’un vaste réseau de contacts superficiels » (r)assure la psychologue. Qui explique que nous visualisons notre réseau à l’aide d’une « rosace d’amitié. Le noyau comprend nos amis les plus proches, qui peuvent également être des membres de la famille ou des partenaires. Plus les cercles sont grands, plus le nombre de personnes augmente, mais plus elles sont éloignées de nous. Par exemple, le cercle le plus éloigné est celui que l’on invite à son mariage, alors qu’avec le cercle principal, on partage tous ses sentiments ».
En outre, il existe une limite au nombre d’amitiés que nous pouvons effectivement entretenir. Le nombre de Dunbar suggère ainsi que notre cerveau est capable d’entretenir environ cent cinquante contacts réguliers. Au-delà de cette limite, il devient toujours plus difficile d’investir suffisamment d’attention et d’énergie dans nos relations.
Me-time contre we-time
Plus nous vieillissons, plus il semble difficile de conserver des amis. Surtout lorsque notre travail exige beaucoup de temps ou que nos amis vivent à l’autre bout du pays. En moyenne, nous ne consacrons que 34 minutes par jour à nos contacts sociaux, ce qui ne représente généralement qu’une petite partie de notre temps libre. Et ce alors même que des recherches ont montré que nous sommes plus heureux lorsque notre temps social s’élève à six à sept heures par jour. Marie-Anne Vanderhasselt précise toutefois que tout le monde n’en a pas besoin et que maintenir ce rythme n’est souvent n’est possible que le week-end, où nous avons de toute façon tendance à être plus heureux.
Dans la répartition de notre temps libre, nos amis sont également moins prioritaires que notre partenaire, notre famille ou nos besoins personnels. Mais il n’est pas toujours bon d’appliquer cet ordre de priorités: « Avoir du temps pour soi est important pour pouvoir se ressourcer et réfléchir. Cependant, des études montrent que passer trop de temps seul nous rend moins heureux, car cela peut rapidement nous amener à broyer du noir » met en garde Mme Vanderhasselt. Et d’affirmer que « partager ses pensées avec d’autres permet d’acquérir de nouvelles connaissances et de se sentir plus heureux ».
D’autant que trop de temps passé seul peut également nous faire moins ressentir le besoin de voir nos amis. « Les rencontres entre amis activent les centres de récompense de notre cerveau, ce qui nous donne envie de les revoir. Mais si nous restons trop souvent seuls chez nous, ce processus est perturbé, ce qui nous pousse inconsciemment à moins nous voir, quitte à diluer nos amitiés in fine » prévient Mme Vanderhasselt. Raison pour laquelle elle préconise plus de « temps pour nous » dans notre « temps pour moi ». « Passer du temps avec des amis nous rend plus heureux, nous donne de nouvelles idées et favorise des habitudes saines. Le temps pour nous rend le temps pour soi plus qualitatif ».
L’amitié, rempart contre la démence, le cancer et une mort précoce?
Surtout que selon le Pr Vanderhasselt, il est important de continuer à entretenir nos relations: « L’amitié est essentielle pour se sentir heureux à chaque étape de la vie, tant chez les hommes que chez les femmes ». Car non seulement elle contribue à notre bien-être, mais elle a également des effets positifs sur notre santé physique. « La connectivité sociale – le sentiment d’appartenance à un réseau – est un facteur prédictif d’une vie longue, saine et heureuse. Les amitiés étroites et les interactions quotidiennes avec vos collègues, vos voisins ou votre boulanger sont tout aussi importantes pour une vie saine que les légumes dans votre assiette ou votre abonnement à une salle de sport ».
Après tout, l’amitié ne permet-elle pas de faire des choix plus sains? « Commencer une habitude saine est plus agréable si vous le faites avec un ami. Arrêter de fumer ensemble augmente les chances de réussite et commencer à faire du jogging est un peu plus facile si vous n’avez pas à le faire seul » pointe notre compatriote. Qui partage aussi que l’amitié peut augmenter l’espérance de vie: « un réseau social solide réduit le risque de décès prématuré de 45 %. C’est plus que le sport ou une alimentation saine ». Ainsi, les personnes qui entretiennent des liens d’amitié étroits sont moins susceptibles de souffrir de maladies cardiaques, de diabète, de démence, d’asthme, de cancer ou encore d’arthrite. Les personnes âgées de plus de 80 ans qui sont toujours aussi en forme que d’autres plus jeunes ont ainsi souvent un solide cercle d’amis proches autour d’elles. Selon Mme Vanderhasselt, ce sentiment d’appartenance contribue à ralentir leur déclin cognitif.
L’influence du stress
Et si nos amitiés influencent notre santé mentale, l’inverse est également vrai. « Dans les enquêtes sur le sujet, les personnes très stressées déclarent avoir moins de relations étroites. Lorsque des personnes sont constamment agitées, elles sont irritables, ont du mal à s’endormir et sont très inquiètes. Elles créent ainsi une distance entre elles et leurs amis. Même avec un emploi du temps social chargé, il y aura peu de liens réels » explique encore Marie-Anne Vanderhasselt. Pour qui, dans les périodes stressantes ou plus difficiles, il est important de continuer à s’entourer de ceux qu’on aime : « c’est souvent avec les amis que l’on trouve un sentiment de paix et de calme. Nous vivons alors dans l’instant présent, au lieu de broyer du noir et de s’inquiéter du futur ».
Oser créer du lien
Notre estime de soi influe également sur la manière dont nous interagissons avec nos amis. « Les relations sociales renforcent l’estime de soi. Et vice versa : si vous vous sentez bien dans votre peau, vous êtes plus enclin à établir des liens avec les autres. Plus nos relations amicales sont bonnes, plus nous sommes satisfaits de notre vie » affirme la psychologue. Qui affirme que les personnes qui ont une faible estime d’elles-mêmes sont plus susceptibles de manquer d’assurance dans leurs relations amicales parce qu’elles craignent d’être rejetées. « Elles sont plus susceptibles de penser que l’autre personne ne les aime pas ou ne veut pas passer du temps avec elles. Ces sentiments les poussent à garder leurs distances ».
Et cette peur du rejet se manifeste souvent de deux manières. Par exemple, les personnes qui font plaisir aux autres ont l’impression que les gens ne les apprécient et ne les acceptent qu’en raison des efforts qu’ils déploient pour autrui. Leurs propres désirs ou besoins passent souvent au second plan, ce qui peut conduire à un épuisement physique et émotionnel.
Un deuxième type, au lieu de tendre la main, commence à rejeter l’autre lui-même comme une sorte de réaction de lutte ou de fuite. « Ils ignorent les messages et n’acceptent pas les invitations. Pour se protéger, ils créent une distance. Mais cela peut en fait amener l’ami à prendre ses distances, faisant du rejet craint une réalité » avertit notre spécialiste de l’amitié. Pour qui la clé de relations plus profondes et plus significatives réside dans notre vulnérabilité: « il faut oser être vulnérable, car c’est là que se trouve la connexion. Pour créer un lien fort avec les autres, il faut s’ouvrir, être prêt à permettre aux autres de se rapprocher émotionnellement de nous et de partager des détails sur ses expériences, ses émotions et ses opinions ».
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