jalousie amicale
La jalousie amicale, fléau des amitiés féminines? Getty Images

Pourquoi la jalousie empoisonne les amitiés féminines (et comment s’en libérer)

Si elle est bien connue pour être la carie des relations s(d)entimentales, la jalousie ne s’immisce pas que dans les couples. Cette émotion est également très présente en amitié, et notamment chez les femmes. Mais quelle est l’origine de cette « concurrence amicale » ? Et peut-on demeurer complice avec une personne qui a tendance à nous jalouser ?

« La jalousie est un vilain défaut », peut-être, mais selon Christophe Leys, docteur en psychologie et psychothérapeute, elle est surtout un sentiment relationnel naturel, que tous et toutes ressentons à des intensités différentes. Dans la conscience collective, lorsqu’on entend « jalousie », on pense à une personne ruminant à propos de la relation que son ou sa partenaire entretient avec un tiers individu. Autre cliché : la jalousie reste dans la cour d’école, et fait bien moins irruption dans nos vies par après. Il s’avère en réalité que cette émotion dépasse souvent ces cas commun, et s’applique à bien des situations et schémas différents.

Il existe deux grands types de jalousie : celle dite « horizontale » désigne une jalousie directe entre deux personnes. Il s’agit d’un désir mimétique : je veux ce que l’autre a, fait ou est. Elle est celle qui explique la jalousie fraternelle, du type « Mamaaan, il a eu plus de jus de pomme que moiii », ou encore la fameuse rivalité de cour d’école.

La jalousie verticale, elle, implique un tiers, une personne « rivale ». Elle s’immisce, le plus souvent, au sein d’une relation amoureuse, mais peut également s’installer dans une relation amicale. C’est ce que connait Laura, 23 ans, avec sa meilleure amie. De nature possessive et jalouse, cette dernière a tendance à jalouser le petit ami de Laura, lui reprochant de passer trop de temps avec lui. Laura s’explique cette situation de deux manières : son amie se sent la plupart du temps assez seule et n’a pas beaucoup d’autres fréquentations ; et puis, dans une jalousie davantage verticale : elle aimerait, elle aussi, trouver l’amour, et vivre une relation stable telle celle que connait Laura.

Une émotion anti-féministe ?

« Soigner nos amitiés féminines est un réel enjeu féministe », c’est ce que déclare Alice Raybaud dans son essai. Nos puissantes amitiés, paru en janvier 2024 à La Découverte, délivre une analyse sociale des relations, qu’elles soient queer ou hétéro, entre hommes, entre femmes ou mixtes, avec pour interrogation de départ « Pourquoi le couple romantique représenterait-il l’unique façon de cheminer avec d’autres dans l’existence ? ».

Dans son chapitre « Toutes rivales », elle développe la manière dont la concurrence entre copines est devenue un passage quasi obligé de l’adolescence. L’une se met alors à envier son amie considérée comme jolie, désirable, « conforme », en bref, répondant aux critères nécessaires pour attirer la tant espérée attention masculine. Car oui, selon Alice Raybaud, le problème vient de là : les filles, dès le plus jeune âge, entendent dire que la validation suprême provient de la gent masculine, et que, par conséquent, le sexe féminin est catalogué comme « ennemi ». Ce mécanisme, dit Alice Raybaud, freine, de manière non-consciente, toute émancipation féminine collective. « On nous persuade que sauver sa peau, ou sa position sociale, doit passer par le fait d’écraser les autres femmes – sans comprendre qu’en faisant cela, nous creusons notre propre aliénation. » Et de poursuivre quelques lignes plus loin : « Par cette rivalité inculquée, nous apprenons en effet bien vite à développer à la fois une détestation de soi et une haine des autres femmes. Ce qui n’est rien d’autre que l’apprentissage d’une misogynie intériorisée. »

Valentine, 23 ans, en a fait l’expérience avec une amie proche, son « binôme » de l’époque: « À partir d’un moment, j’ai eu le droit à de plus en plus de petites piques, ça allait crescendo. Jusqu’au jour où c’est devenu limite rabaissant, et que je l’ai confrontée. Je lui ai demandé pourquoi elle faisait ça. Là elle était super énervée, et elle me lâche que je ne me rends pas compte de ce que c’est que d’être mon amie, que dès qu’on arrive quelque part tout le monde me regarde, que je suis souriante, solaire, gentille. Enfin toute sorte de reproches qui sont des qualités à la base. À partir de là on s’est évidemment éloignées, parce que je n’allais pas m’écraser, ne plus parler, ne plus sourire juste pour qu’elle se sente mieux. Le point de non-retour, ça a été quand je me suis séparée avec mon copain. À ce moment-là, elle n’a même plus fait preuve de compassion, et elle m’a répondu qu’en fait je n’avais pas à être triste comme ça, parce que moi au moins j’avais eu la chance d’avoir une longue relation, et qu’elle, elle n’avait jamais eu droit à tout ça. Donc en fait c’était « toi t’as eu ça et moi pas, donc t’arrêtes de pleurer et tu te relèves, quoi. »

Les raisons de la rancœur 

Au-delà de cette rivalité féminine pour les beaux yeux des garçons, maintes autres raisons peuvent se cacher derrière la jalousie d’une amie, à commencer par l’épanouissement personnel et/ou familial.

Dans Nos Puissantes Amitiés, Alice Raybaud cite la sociologue Claire Bidard, qui n’a peur d’affirmer que la mise en ménage est « la principale cause de déclin des amitiés ». Soit, cela s’explique par le fait que le couple se « referme » sur lui-même : les deux individus se coupent petit à petit de leurs amis et du monde extérieur, partant du principe qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Soit, comme ce fut le cas d’Ysaline, 24 ans, le bonheur émanant de la situation est insupportable pour l’amie (supposée) qui, prise de jalousie, décide d’envoyer balader toute personne plus heureuse qu’elle ne l’est. « Donc moi, mon rêve depuis toute petite était d’avoir un bébé. Dernièrement j’ai eu ma petite fille, et j’ai perdu plein d’amies, sous prétexte qu’il y en a une qui rêve d’être maman et qui n’y arrive pas, une autre amie a dû avorter il y a quelques mois, et m’a dit clairement qu’elle n’avait pas à être contente pour moi et ma grossesse. Ça, pour moi, ce ne sont pas de vraies amies, parce qu’une véritable amie, même si c’est dur pour elle, elle sera contente pour toi. » 

Autre raison tristement fréquente : une peur de l’abandon, née de souvenirs et traumatismes passés, pousse à cette jalousie, voire même à un besoin d’exclusivité. Avoir vu son père quitter le foyer fut le point de départ pour Aurore, alors âgée de 2 ans, d’une peur constante du rejet et de l’abandon, qu’elle transfère aujourd’hui sur sa meilleure amie. « Pour faire court, je n’ai pas confiance en moi, et j’ai toujours peur que ma meilleure amie préfère d’autres personnes, qu’elle s’amuse mieux avec elles qu’avec moi et que, du coup, elle me lâche. Quand je lui en parle, elle ne comprend pas trop, elle ne se rend pas compte. Et elle me dit souvent que même si elle a d’autres potes, ce n’est pas comparable, et qu’on n’est pas mise en compétition. Ça, je le comprends très bien, mais je ne sais pas… Il y a quand même un truc qui me gêne dans le fait que ma meilleure amie voie d’autres personnes et ait moins de temps pour moi. »

Loin des enfantill-âges

S’il est tentant de croire que la jalousie est réservée aux ados, aux jeunes encore en quête de maturité, Christophe Leys garantit pourtant que l’« on ne soupçonne pas le peu de différences cognitives qu’il y a entre les adultes et les ados. C’est exactement pareil en réalité. Donc bien sûr qu’il peut y avoir de la jalousie à l’âge adulte ».

Virginie, 53 ans, a fait les frais d’une crise de jalousie il y a de ça quelques mois, et fut la première étonnée qu’elle puisse être victime de ce genre d’agissement à cette période de sa vie. Le scénario est le suivant : « On parle ici d’une amie de longue date, que je connais depuis 20 ans et avec qui j’ai partagé plein de moments de rire, des soirées, et même un petit city-trip à Vienne dernièrement. Et un jour, sans que je ne voie rien arriver, je me prends une ribambelle de reproches au visage. Elle a piqué une crise durant laquelle elle m’a lâché que j’avais toujours besoin de me mettre en avant, que je prenais toute la place, et même que je l’écrasais. Et j’étais complètement choquée, je n’en revenais pas. C’est en en parlant avec d’autres copines, que j’ai compris que c’était de la jalousie. Et ce qui a déclenché ça je pense, c’est que je devienne à mon tour célibataire. Elle, ça fait des années qu’elle espère rencontrer quelqu’un, et je pense que tant que j’étais mariée, ça lui allait très bien. Puis une fois que je me suis retrouvée célibataire moi aussi, elle s’est sans doute dit que je devenais une menace. Ce qui est idiot, vraiment, parce que jamais je n’ai pensé ou voulu lui faire de l’ombre de quelque manière que ce soit. Donc après un peu de réflexion, je me suis dit que j’allais prendre sur moi, et refaire un pas vers elle. Mais là, au lieu d’excuses, j’ai eu droit à une deuxième tournée de reproches. Alors à ce moment-là tu te dis « tant pis ». Si j’étais plutôt fâchée dans un premier temps, aujourd’hui c’est surtout de la tristesse que je ressens. Parce que c’est vraiment idiot. 20 ans de bons moments qui prennent fin pour une crise de jalousie. »

De la même manière, Mélanie, 36 ans, a vécu à deux reprises la jalousie d’amies, chez qui elle avait décelé quelques comportements toxiques auparavant, mais « rien d’alarmant ». « Aujourd’hui, il y a eu comme un tri naturel dans mes amitiés. Les choses que je cautionnais avant, désormais c’est terminé. J’arrive à un âge où j’ai plus du tout envie de me prendre la tête avec des gamineries. Donc si la relation n’est pas fluide et sincère, alors je n’en ai pas besoin. »

Jaloose, moi? Jamais

Si pour certaines, la jalousie, en amour, reste envisageable, entre amies, il est insensé d’en ressentir la moindre once, comme l’affirme Louise, 20 ans : « Une amitié, selon moi, c’est que du bonheur, que du positif. Ce n’est pas comme les liens familiaux par exemple, où il faut forcément faire avec, et où il y a parfois du négatif. Une amitié, pour moi, ça doit être léger. Et si c’est pas léger, alors ça doit être du soutien, un pilier sur lequel tu peux compter, te reposer. »

Une philosophie légèrement différente pour Éloïse, 21 ans, mais qui adhère également à l’idée que la jalousie n’a rien à faire en amitié. Cette dernière ne conçoit pas qu’on puisse être jalouse maladive avec des potes « puisqu’au final, on est encore moins lié qu’en couple. »

Cet aspect, Alice Raybaud le contredit dans son livre. Son mantra est le suivant : il est temps de revaloriser la place des amitiés, qui ne doivent pas être perçues comme des « relations secondaires ». Elle affirme que « mettre le couple romantique au-dessus de tout, comme nous l’exhorte la société, nous appauvrit socialement ». Et si un jour, la relation amoureuse prend fin, c’est à ce moment qu’on est contente d’avoir toujours une épaule sur laquelle se reposer (ou pleurer, qu’on se le dise), et une oreille pour nous écouter. Chérir ses amitiés représente une nécessité ; et communication et sincérité sont essentielles à leurs bons fonctionnements. Au lieu de cette rivalité inculquée, de cette possessivité exaltée, Alice Raybaud entend qu’il faut pouvoir, au sein de ces relations, « exprimer ses besoins, ses déceptions, comme les sources de joies communes, déclarer son amour amical tel qu’on peut déclarer sa flamme romantique, cheminer finalement côte à côté ». Et en bref, en anglais, et en moins joli, ça donne : « Communication is the key. »

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