Comment se remettre d’une rupture grâce à une BD (et même finir par en rire)
La rupture est un chemin long et périlleux. Avec Un si Grand Amour (Les Arènes), Pauline Aubry raconte la sienne, en BD. Oui, on peut se remettre d’un trauma. Et même finir par en rire.
Les histoires d’amour finissent mal en général. Pauline Aubry ne dira pas le contraire. Avec son très jouissif Un si Grand Amour, histoire d’une rupture, paru aux éditions Les Arènes, l’autrice de BD (Paris, 1981) planche sur sa (re)construction. Soit 2107 jours d’écriture, des milliers de dessins, de phrases, de photos décalquées, de chansons en bande-son et un deuil amoureux avec ses sept étapes, le choc, le déni, la colère, la tristesse, l’acceptation, la reconstruction et enfin la libération, belle idée de narration.
Sous les traits de La Princesse face à l’ex-mari en Prince, elle dézingue la réalité trop douloureuse, ne dissimule rien des petites et grandes lâchetés, traverse l’effondrement puis chante, beaucoup. Et rit aussi, et nous de même. «J’ai l’impression que j’ai vécu dans ce livre pendant cinq ans, sans beaucoup de distance entre ma vie et ce que j’écrivais, confie-t-elle. J’y ai passé énormément de temps : 2107 jours de traversée. J’avais l’impression que jamais cela ne deviendrait cet objet. Mais ce livre existe et ce n’est pas juste un livre mais une expérience de voyage et de comment on peut se remettre d’un trauma.» Interview.
Est-ce la création de cet «objet» qui vous a permis de prendre de la distance ?
Oui, maintenant, je suis très détachée. C’est assez amusant de voir comme on se distancie de l’événement en passant par la fiction. J’ai beaucoup lu Boris Cyrulnik sur le concept de la résilience, c’est un endroit que j’aime. Il y a eu des expériences après la première guerre mondiale : on a proposé à des soldats de passer par la fiction pour raconter ce qu’ils avaient vécu dans les tranchées. Une partie a accepté, une autre pas, six mois plus tard, pour ceux qui étaient passé par le récit, à la troisième personne, comme moi je l’ai fait en créant ce personnage de la princesse, cette distanciation leur a permis d’avoir une meilleure gestion émotionnelle de leur trauma. J’ai vécu cette expérience-là, ce livre m’a permis de mettre à distance. Et je trouve cela chouette de théâtraliser ce que j’ai vécu.
« J’ai aussi essayé des milliards de trucs, chamane, medium, voyante, psychologue… »
Vous avez aussi beaucoup chanté visiblement…
A partir du moment où il est parti, j’ai écouté de la musique non-stop, de Rihanna à Beyonce, cela me donnait de la force. Quand j’entendais une chanson, elle venait me parler. Après, je me suis mise à la chanter… Cet accident d’amour, je trouve que cela a du sens de le traverser en chansons.
C’est la meilleures des thérapies ?
C’est plus efficace que prendre du Lexomil, j’ai pris des antidépresseurs, cela ne marchait pas, cela m’enlevait toute force. Par contre, chanter et danser, cela fait vraiment du bien. La création est salvatrice. Chanter, danser, dessiner sont des outils qu’on devrait apprendre à tout le monde, même si on n’en fait pas tous notre métier. J’ai aussi essayé des milliards de trucs, chamane, medium, voyante, psychologue, psychiatre, psychanalyste, thérapie des schémas, j’ai testé à peu très tout ce qui se fait. Et j’ai lu des centaines de bouquins, bref, j’ai fait plein de choses et dès que je ne faisais rien, je tournais en boucle sur ce qui m’était arrivé. Chanter a été le meilleur outil.
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Les lieux sont le décor de nos émotions, et en cas de rupture, ils deviennent eux aussi douloureux. Et vous, très organiquement, vous les théâtralisez en puisant dans la pop culture…
Ce que je vivais, c’était comme un feuilleton et dans un feuilleton, il y a les mêmes décors très identifiés. J’avais l’idée que le décor soit représentatif de l’émotion du personnage. Quand c’est le chaos, je mets des images de guerre du clip de Sia, de Mylène Farmer ou du 11 septembre. J’ai décalqué ces images qui sont devenues des décors, comme du papier peint. Derrière chaque décor, il y a donc une référence visuelle. J’ai eu envie de le préciser à la fin du livre, car du coup, elles sont aussi partie prenante du récit, pas juste à titre illustratif mais pour faire ressentir l’ambiance. Parce que ce qui est assez fou dans une rupture, c’est que le lieu où l’on vit, la ville, tout est notre théâtre amoureux. Ce quartier, cet appartement, tout cela devenait insupportable. C’est incroyable comme c’est difficile d’être dans ces endroits qu’on a aimés.
« J’ai inventé un monde pour pouvoir raconter ce qui m’arrivait »
La scène de rupture, vous la transformez magistralement…
J’ai transformé tout ce que j’ai vécu, je ne pouvais pas le raconter à la première personne, je n’en étais pas capable, il fallait préserver mon anonymat par rapport à mon ex-mari et mes enfants. L’enjeu était de créer un subterfuge où on n’est pas relié à la réalité. La scène de rupture s’est vraiment passée dans la salle de bain, mais je l’ai dessiné dans celle de Marie Antoinette, dans le film de Coppola. Et le jeu relationnel, le mouvement ou comment l’histoire d’amour devient une lutte, un combat est inspirée du clip de Sia, Elastic Heart. Cette scène est dingue, ils sont dans une cage, la chorégraphie est incroyable, je l’ai regardée plein de fois. Ces éléments ont été des outils de résilience, regarder ces images m’a fait du bien, cela m’a nourrie. J’ai inventé un monde pour pouvoir raconter ce qui m’arrivait, à travers des références populaires.
En cas de rupture, on se réfugie où l’on peut ?
Je me suis réfugiée dans mon enfance et comme je me suis beaucoup construite devant la télé, dans ce moment de grande crise de vie, je me suis raccrochée à tous ces éléments qui me faisaient marrer, toutes ces choses visuelles que j’aime, ces musiques, ces films, La folie des grandeurs de Gérard Oury vue de milliards de fois. Il fallait réussir à rire, la relation était tellement infernale, pendant deux ans… On oublie de dire à quel point c’est compliqué de maintenir un lien. Et puisque j’ai la flemme de devoir fréquenter cette personne toute ma vie, il faut essayer de prendre de la distance pour ne pas avoir la tête dans le guidon. Ce qu’on vit dans le réel, le divorce, la garde partagée, bref, les backstages, c’est quand même assez fou.
Vous l’ignoriez ?
Avant de le vivre, je le sous-estimais. Il faut continuer à le voir, le fréquenter, avoir un lien… c’est d’une complexité, on ne parle pas de ça, je trouve que c’est encore plus compliqué que d’être en couple. Je n’en percevais pas du tout la difficulté avant. Maintenant je sais que c’est l’enfer et que même si ce n’est pas l’enfer, si on se sépare de manière choisie, c’est hyper dur quand même. Et je trouve que c’est un sujet tabou. Il n’y a pas beaucoup de livres qui parlent de ça, de comment on fait pour s’entendre bien avec la personne avec qui on a tout construit et avec qui on n’est plus capable de boire un café sans avoir envie de s’étriper. Je trouve ça incroyable : comment cela peut basculer ainsi ? J’étais dans une vie qui allait plutôt bien, je trouvais, même s’il y avait déjà des petits signes de dérapage… On rentrait de vacances, on avait fait les ferias de Séville et puis le mec s’est barré, je n’ai pas eu le temps de me dire que cela n’allait pas entre nous. Et du jour au lendemain, il devient un monstre, c’est inimaginable, est-ce bien la même personne que j’ai en face de moi ?
« On soigne la rupture, on met les petits pansements mais qu’est-ce qu’on fait après? »
Ne devrait-on pas enterrer d’avance toutes les Princesses qui sommeillent dans les fillettes qui rêvent du Prince Charmant ?
En vrai, je n’en avais rien à foutre d’être une princesse, j’ai grandi dans une famille où on m’a dit : «tu ne te maries pas». Et j’ai épousé un grand bourgeois catho à l’église, je voulais un petit mariage, on était 450 dans leur château, je suis plutôt roots, mes potes me disaient «mais qu’est-ce que tu fous là dans cette robe». Je l’ai épousé parce que je pensais que j’allais me marrer avec lui. Ce n’était pas un rêve de princesse, je me suis dit: «génial, je ne serai plus jamais seule». J’ai une peur profonde – «ne me laissez pas toute seule, je vous en supplie, ne m’abandonnez pas», c’est pour ça que je n’ai pas idéalisé le prince charmant, je ne me retrouve pas forcément dans ce mythe-là même si j’ai choisi ce personnage. Aujourd’hui je me demande seulement ce qui est important pour moi. Comme la princesse de mon livre, je me détache: plus elle avance dans le voyage moins le prince est concerné. Et je me suis interrogée: pourquoi ai-je peur d’être seule et pourquoi ai-je accepté des choses qui ne sont pas acceptables ? Quelle est la racine de tout ça ? OK, on soigne la rupture, on met les petits pansements mais qu’est-ce qu’on fait après? Je suis toujours attirée par des mecs narcissiques, qu’il faut soigner, parce que c’est mon schéma, c’est celui de plein de femmes ou d’hommes, qui ont été construits comme ça. Cela repose sur les liens que l’on a eu dans la famille, sur la manière dont on a été sécurisé.
Vous faites preuve de pédagogie, votre BD pourrait être un bel outil salvateur…
J’aime quand c’est pédagogique. J’ai lu des centaines de bouquins, dont 800 pages sur la théorie des schémas. Je voulais comprendre comment je suis en lien avec l’autre et pourquoi je me remets à chaque fois dans la situation de me faire abandonner alors que c’est ma peur la plus profonde. Je fais la démonstration sur mon cas, cela montre la mécanique et à vous d’identifier votre schéma. Pour avoir testé la psychologie classique, je trouve que cette théorie des schémas m’a aidée à prendre conscience à quel moment j’ai une réaction émotionnelle qui se déclenche, pourquoi je vais la chercher, comment m’en distancer, m’observer pour dire non, sortir de la situation ou si cela risque de me faire souffrir, ne pas y aller. Je m’utilise comme un cobaye, pour me soigner et du coup, c’est cool si d’autres gens essayent de transformer cette expérience de vie.
Votre expérience intime, vous la partagez aussi in real life dans des ateliers et des workshops…
J’ai travaillé en l’hôpital psychiatrique avec une copine qui est poète et psychanalyste, on a bossé avec des ados. L’idée est de développer leur univers graphique et personnel, sur le même modèle que ce que j’ai fait moi. La BD est un super outil de médiation pour écrire le réel, écrire son réel. J’aime transmettre cela. Je l’ai aussi fait en prison, à la prison d’arrêt de la maison des femmes à la Santé, avec le Samu social aussi et des migrants, des personnes à la rue, et aussi dans des ateliers de BD, grâce au festival d’Angoulême… C’était génial parce que tout à coup on mettait sur la table nos histoires de vie, on les racontait, les mettait en BD, on essayait d’en rire. On peut créer des moments de vie hyper drôles à travers la BD.
L’ex a lu votre Si Grand Amour ?
En vrai, il est très en colère de cet objet. J’ai eu du mal à le finir, il me mettait une grosse pression, il me disait qu’il allait me faire un procès. Et moi je me demandais pourquoi je fais ça, à quoi ça sert, pour qui, pourquoi?
Avez-vous trouvé la réponse ?
Au début, c’était une vengeance, du genre « Je peux me venger, gros connard, tu vas voir ce que tu vas prendre dans ta gueule ». Et puis que je me suis dit que c’était pour toutes les autres.
Pauline Aubry en bref
– Pauline Aubry naît à Paris en 1981, sans s’imaginer devenir un jour «autrice de BD»
– En 2016, elle publie aux Arènes un premier roman autobiographique, Les Mutants, un peuple d’incompris (Prix Jeunes Talents s’exposent au Festival d’Angoulême 2016)
– Elle poursuit sur sa lancée avec Les descendants ou l’appel de la Pampa, aux Arènes BD en 2018
– En 2024, elle clôt sa trilogie sur la construction de soi avec Un si Grand Amour, histoire d’une rupture.
Un si Grand Amour, histoire d’une rupture, Pauline Aubry, Les Arènes.
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