L’un va chez le psy, l’autre pas… Comment faire pour ne pas s’éloigner?
Entamer un suivi s’inscrit le plus souvent dans une démarche d’amélioration personnelle. Problème: quand on s’attèle à aller de l’avant et que les proches donnent l’impression de faire du surplace, une distance s’installe. Mais l’écart thérapeutique ne doit pas forcément se transformer en fossé.
Peut-être allez-vous consulter pour surmonter un événement traumatique, ou pour vous libérer de mécanismes rouillés. Peut-être un peu des deux, ou bien tout simplement parce qu’à l’ère du wellness, « aller chez le psy » fait figure de forme ultime de self-care. Car il s’agit bien toujours de prendre soin de soi, et de solliciter une forme d’accompagnement dans un cheminement personnel. Problème: quand on « va de l’avant », pour reprendre la formule consacrée, on a tôt fait de considérer que les proches sont au mieux coincées sur place, au pire, aux prises avec des réflexes franchement rétrogrades. C’est là qu’une distance pas toujours bien comprise (et complexe pour toutes les personnes impliquées) s’installe: l’écart thérapeutique.
Mais ce dernier est-il incompressible? Et le fossé doit-il forcément se transformer en gouffre, voire plus périlleux encore, en précipice duquel basculent des relations sacrifiées sur l’autel du suivi?
La réponse est évidemment « non », sans hésitation. Par contre, de la théorie à la pratique, le chemin est malheureusement moins évident.
Je t’aime moi non psy?
Pour comprendre le mécanisme de l’écart thérapeutique, on peut utiliser une métaphore visuelle: disons qu’on ne voit rien à redire avec les écrans de télévision des autres jusqu’à ce qu’on investisse dans un nouveau modèle, plus grand et à la définition améliorée, et soudain, les autres écrans semblent un peu flous et décidément en manque d’update. Sachant que cette analogie gentillette n’est d’application que dans les cas où toutes les personnes impliquées sont à peu près saines, et que quand des comportements pathologiques sont en jeu, l’écart thérapeutique peut se creuser à la vitesse spectaculaire d’un glissement de terrain.
« Ce qui est compliqué, quand on commence un suivi, c’est qu’on se met à identifier plein de choses dans le comportement qu’on a vis-à-vis de ses proches, et vice versa » pointe le Dr Nicolas Wuyard, psychiatre en région liégeoise. Qui souligne la difficulté inhérente à la réalisation que « les comportements des autres ont des répercussions sur soi, et que ces autres pourraient eux-mêmes y travailler pour améliorer leur rapport à leur entourage ».
Et de distinguer trois configurations possibles où l’écart thérapeutique se creuse.
- « Une personne au fonctionnement globalement sain, qui va en consultation, identifie chez elle des mécanismes problématiques et fait un lien éventuel avec le fonctionnement de certains proches »
- « Une personne en démarche de victimisation, qui consulte parce que ‘ses proches sont le problème' »
- « Une personne qui est poussée à consulter par son entourage, qui l’accuse de tous les maux »
Et de préciser que dans ce troisième cas de figure, la situation est extrêmement complexe (et l’écart thérapeutique, multiple) car le patient ne va pas mieux pour autant, et la famille s’emporte contre le ou la thérapeute qui « fait du mauvais travail », tout en refusant de prendre ses responsabilités éventuelles.
L’écart thérapeutique, une distance (pas forcément) insurmontable
Et si chaque suivi est, par définition, unique, le Dr Wuyard confie que la question de l’écart thérapeutique revient quasi systématiquement dans son cabinet, que celui-ci soit acté par ses patients ou s’exprime sous la forme d’un malaise difficile à nommer.
L’une va ressentir le besoin de mettre la distance avec des parents dont elle identifie des comportements problématiques qui entretiennent son mal-être, tandis que l’autre va choisir une approche plus frontale et confronter un entourage, parfois stupéfait, au sujet des manquements qui contribuent selon lui à son besoin de consulter. Parfois, les deux approches sont même concomitantes, comme dans le cas d’Elias, 40 ans, qui a d’abord entamé un suivi pour se défaire d’un mal-être profond qu’il attribuait à son environnement de travail, avant que ses rendez-vous hebdomadaires avec sa thérapeute ne finissent par exhumer des blessures profondes jamais cicatrisées. « N’ayant, par définition, pas connu d’autres formes de parentalité, j’étais toujours parti du principe que l’éducation reçue de mes parents, bien que parfois très stricte, était normale et aimante. Jusqu’à ce que ma psy m’aide à conscientiser que non, ce n’était pas normal d’insulter ses enfants, et encore moins d’avoir recours à la violence physique « quand la situation le nécessitait ». J’ai réalisé que ma famille contribuait à ma piteuse image de moi, mais aussi à mon sentiment de malaise permanent, et j’ai essayé de leur en parler, mais malheureusement, chaque tentative n’a réussi qu’à un peu plus les braquer. J’ai donc décidé de couper les ponts de manière soft avec eux, sans grande déclaration de guerre, mais plutôt en banquant sur le fait que si je refusais de rentrer dans leur jeu, ils allaient une fois de plus se draper dans leur ego et décider que c’était à moi de faire le premier pas. C’était il y a des mois, je n’ai plus aucun contact avec eux depuis, et à chaque jour qui passe, je respire mieux et je me tiens plus droit ».
Signe des temps, et de la prolifération de cet écart qui se creuse toujours plus profondément, sur les réseaux, un meme populaire tourne en boucle, affichant le ressenti noir sur blanc: « Je vois un psy parce que mes proches refusent de le faire ». Et si la formule est percutante, reste que selon notre psychioatre, la règle d’or est de tenter, tant que faire se peut, de s’affranchir des jugements de valeur type « moi je consulte donc je sais mieux ».
« Par définition, on ne peut pas plus choisir ce qu’on pense que ce qu’on ressent.Mais le rapport ‘j’ai raison, l’autre à tort’ n’est pas conclusif. D’autant que plus on va essayer de confronter l’entourage, plus il risque de se braquer » met en garde le Dr Wuyard, qui rappelle que « le jugement de valeur est délétère dans les relations sociales » et que « chaque personne a une manière propre de gérer ses émotions ». Ce qui ne veut pas dire qu’il faille forcément accepter d’autres manières que la sienne si elles sont source de souffrance. Ainsi Suzanne, la petite trentaine, a-t-elle décidé de mettre des distances avec ses parents et sa soeur afin de se protéger de ce qu’elle décrit comme « un nuage de toxicité ». « Dans ma famille, on ne dit pas les choses en face, mais plutôt dans le dos, en déformant la situation selon la personne à qui on en parle… J’ai longtemps tenté de nous amener à dialoguer, si pas de manière plus saine, du moins, d’une manière moins traitre, qui serait moins douloureuse pour la grande sensible que je suis, mais sans succès. Au bout de plusieurs années de souffrance, j’ai réalisé que je n’avais aucun contrôle sur leur manière de fonctionner, mais que vu qu’elle était en clash totale avec la mienne, je pouvais choisir de limiter mes interactions avec eux le plus possible ».
Tiens, d’ailleurs, si on est de l’autre côté du fossé, et qu’on remarque qu’un·e proche se comporte différemment avec nous depuis le début de son suivi, comment surmonter l’écart thérapeutique?
« Il est toujours important de nommer les choses, et si le ressenti devient inconfortable, d’en parler ». Mais attention, pas n’importe comment. « Le but n’est pas de commencer à faire sa propre thérapie par le biais de l’autre, ni d’être trop contrôlant. Il y a des choses qu’il faut pouvoir entendre, et l’objectif n’est pas d’aller au clash en disant que le psy de la personne raconte n’importe quoi et qu’on n’est pas d’accord. Il ne faut pas annuler le ressenti de l’autre, mais c’est important de pouvoir lui demander ce qu’il se passe » rassure Nicolas Wuyard. Pour qui l’écart thérapeutique est un passage inéluctable sur le chemin du suivi, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il constitue un obstacle insurmontable.
« Il faut garder à l’esprit que le début de tout processus thérapeutique sera marqué par un moment où les choses iront moins bien », pointe encore le psychiatre liégeois. Qui invite à « essayer d’imaginer une étendue d’eau dont la surface a l’air transparente et le fond, un peu boueux. La thérapie va aller remuer la vase, l’eau va devenir trouble et sale, et même si cela va retomber après, la personne qui entame un suivi doit s’y préparer ».
Quant à l’écart thérapeutique, « si quelqu’un entame un suivi et son entourage, pas, il y aura toujours un écart, mais pour le dépasser, c’est important de ne pas se focaliser sur un jugement de valeur. On ne se lance pas dans un suivi pour ses proches, on le fait pour soi, et c’est sur ça qu’il faut se concentrer ». Tout en se rappelant qu’il est « impossible de changer les autres. La seule chose qu’on contrôle, c’est la manière dont on réagit aux comportement de la personne qu’on a en fasse de soi ». Qu’il s’agisse de réduire l’écart – ou au contraire, si nécessaire, de le creuser un peu plus.
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