Le « Grand Épuisement », ou pourquoi tout le monde en a marre de bosser (et comment y remédier)
Après la Grande Démission, corollaire de la pandémie ayant vu des hordes de travailleurs décider de changer de vie (et donc de carrière), il semblerait qu’on soit désormais à l’ère du Grand Épuisement. Lequel, comme son nom l’indique, se caractérise par une fatigue généralisée et une propension à se sentir dépassé·e en permanence, surtout au boulot.
Problème: à moins d’avoir les fonds nécessaires pour tout envoyer valser sans s’inquiéter de l’aspect financier, si vous ressentez ce Grand Épuisement, il y a de fortes chances pour que votre fatigue s’accompagne d’une forme d’angoisse existentielle. Ainsi que du sentiment désagréable au possible que bien que votre quotidien vous épuise, à l’image du hamster dans sa roue, vous n’avez d’autre choix que de continuer à turbiner. Une réalisation écrasante, qui ne fait qu’ajouter une dimension supplémentaire à cette lassitude mâtinée de fatigue psychologique, en plus du le péril posé par la généralisation de ce Grand Épuisement.
Que vous choisissiez de faire part de votre mal-être à votre collègue, votre partenaire, votre bande de potes ou tout autre proche, la réponse est en effet peu ou prou la même: soupir entendu, exclamation maussade, et litanie de plaintes faisant écho aux vôtres. Résultat: le malaise s’amplifie, tout le monde va mal, plus personne n’aime son boulot, le dégoût est total, et il ne semble plus y avoir aucune issue possible.
Mais pourquoi tant de gêne?
De la Grande Démission au Grand Épuisement
Et surtout: comment la fièvre de la Grande Démission, et son sentiment grisant que puisque le monde tel qu’on le connaissait semblait appartenir au passé alors toutes les cartes (même professionnelles) pouvaient être redistribuées, a-t-elle fait place au marasme pesant du Grand Épuisement? Fini de tout plaquer pour se réinventer: la simple perspective de ce changement intensifie l’envie de bâiller.
Et plus ça va, plus ça empire: « les gens se sentent tellement fatigués qu’ils renoncent à des activités qui contribuent positivement à leurs niveaux d’énergie, comme faire de l’exercice ou acheter des aliments sains. Ajoutez à cela l’après-pandémie, l’inflation et la situation mondiale ô combien instable et vous obtenez la recette d’un épuisement physique, mental et émotionnel total » pointe Emily Ballesteros pour TIME Magazine.
Et l’Américaine, qui a dédié sa vie à l’étude de la psychologie du travail et qui est l’auteure du livre The Cure for Burnout, de pointer trois causes possibles. Soit l’adoption généralisée de modes de vies impossibles à tenir sur la durée, l’exposition à un stress toujours plus important et hors de notre contrôle, et un sentiment croissant d’insécurité financière. Des aspects du quotidien « que nous avons fini par normaliser, sans réaliser que cette normalisation nous poussait à négliger l’impact qu’ils ont sur notre bien-être physique et mental » dénonce Emily Ballesteros.
Ras-le-bol généralisé
C’est ainsi qu’on se retrouve soudain face à un Grand Épuisement qui transcende les classes sociales et les catégories de métiers, les conséquences de l’approche néo-capitaliste d’une société devant répondre d’abord aux besoins du capital, et non à ceux des humains, ayant fini par nous rattraper.
Voilà pour le contexte théorique et une tentative d’explication de cette fatigue généralisée. Mais en pratique, à moins de tout plaquer pour aller vivre en autarcie dans un endroit où le climat le permet (ce qui devient rare aussi, cf ce fameux stress hors de contrôle dont le réchauffement climatique fait partie) l’option la plus évidente pour contrer ce ras-le-bol total, soit repartir de zéro sur des bases saines, est assez compliquée.
Alors quoi, on attend de mourir d’ennui ou de bâiller jusqu’à s’en décrocher la mâchoire?
Lire aussi: La résilience toxique, quand vouloir « bien faire » au travail vous fait du mal
Contre toute attente, et bien que cette perspective puisse sembler… tout bonnement épuisante, une piste pour sortir de cette torpeur écrasante pourrait être de faire moins, et non pas plus, de télétravail.
Dès 2019, avant l’essor de Zoom, Teams et al, une étude suédoise établissait ainsi déjà le lien entre une communication digitale accrue au travail et une santé physique et mentale en berne. Plus récemment, une étude menée de front par des chercheurs de l’University of California, du M.I.T et de chez Microsoft a démontré que le niveau de stress augmentait au rythme du temps passé à communiquer en ligne, que ce soit par le biais de courriers électroniques (« sauf erreur de ma part… ») ou bien de l’un ou l’autre de ces services de messagerie instantanée adoptés par les employeurs pour maintenir le dialogue avec leurs travailleurs remote.
Problèmes urgents contre problèmes importants
Si travailler de chez soi permet techniquement d’économiser le temps perdu en chemin et d’apporter une forme de détente quant à la tenue choisie et la forme prise par la pause midi, dans les faits, cette nouvelle approche du travail serait donc bien moins peinarde qu’il n’y parait. Voire même, entre la multiplication des emails, des notifications Slack et autres visioconférences, elle serait en grande partie responsable du Grand Épuisement qui nous afflige en ce moment.
Sauf que là aussi, à moins d’activer une réponse automatique permanente, de désinstaller Teams et de croiser les doigts pour que personne ne vous en tienne rigueur au travail, il n’y a pas grand chose à faire, si? Et bien si, et c’est là que le piège de la matrice d’Eisenhower, ou plutôt, comment le déjouer, entre en scène.
À l’origine, on retrouve cette citation attribuée au Général Eisenhower: « J’ai deux sortes de problèmes, ceux qui sont urgents et ceux qui sont importants. Les urgents sont rarement importants et les importants sont rarement urgents ». Soit, appliqué à l’échelle du travail, un paradigme bien utile pour se libérer du sentiment toujours plus pesant d’être le pauvre hamster susmentionné, passant sa vie à courir après un objectif qui ne se rapproche jamais.
La parade: se baser sur la réflexion du 34e Président des États-Unis pour répartir les tâches à effectuer dans un des quatre quadrants suivants: tâches importantes et urgentes, tâches importantes mais non urgentes, tâches non importantes mais urgentes et tâches non importantes et non urgentes. Ou comment (enfin) relativiser et démêler de manière sereine la pelote de notifications, invitations et autres obligations quotidiennes.
Ne pas se tromper d’objectif à atteindre
Mais ainsi que l’explique Manuel, alias Cataraxie, « influenceur sieste » autoproclamé partageant ses conseils pour moins travailler (mais mieux) à ses milliers d’abonnés, « la matrice Eisenhower ça reste un des outils les plus efficaces pour s’organiser au quotidien. Le problème c’est qu’à cause d’elle, on a vite tendance à se focaliser uniquement sur les tâches urgentes et importantes, du coup on délaisse toutes les autres ». Voici donc le fameux piège, souvent exemplifié par « la paperasse administrative qu’on repousse, qu’on repousse, qu’on repousse jusqu’à ce que ça nous chauffe aux fesses ».
La solution? Plutôt que d’effectuer en priorité absolue les tâches importantes et urgentes, « il faut s’occuper au maximum des tâches importantes mais non urgentes », ce qui permet « naturellement d’avoir très peu de tâches importantes et urgentes à régler » assure Manuel. Et de prendre en modèle un autre grand homme en citant la loi de Parkinson. Soit la conviction que le travail s’étale pour occuper tout le temps alloué à son achèvement et qu’il s’agit donc de se fixer des échéances strictes mais réalistes pour éviter de se faire déborder. Selon ce bon Parkinson, si vous vous fixez une heure pour compléter une tâche, vous la compléterez en une heure, mais si vous prévoyez un bloc de trois heures, vous le monopoliserez en entier pour la réaliser.
Autrement dit, pour sortir la tête de l’eau (et de la fatigue), on revoit sa to-do list, et on ne se contente pas d’y égrener des tâches à effectuer, mais bien, aussi, de les organiser en créneaux horaires qui leur sont alloués. Certes, dit comme ça, ça a l’air fatigant et pénible, mais promis, cela va vous aider à sortir quelque peu de votre torpeur. Reste toutefois à trouver l’énergie de répondre aux sollicitations constantes de ce collègue dont la seule tâche quotidienne semble être de vous bombarder de mails… « Cordialement ».
Lire aussi:
– Le rage applying, ou comment vous libérer de votre job pourri et gagner plus en prime
– Conseils d’experts pour réagir si un·e proche souffre de burnout
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici