Décryptage| La décadence du slow, rituel érotique et machine à produire des souvenirs (+ playlist)

La boum, indémodable romance qui parle encore aux adolescents d'aujourd'hui. © isopix

Rituel de fin de bal jusqu’aux nineties, le slow canalise des émotions physiques et psychiques très fortes, en plus de symboliser le passage de l’enfance vers l’âge mûr. Il est aujourd’hui théorisé par Christophe Apprill dans un livre valsant de son apogée… à son déclin.

« Le slow, ce sont les enjeux de la rencontre. C’est le désir de s’enlacer, de se toucher. C’est surtout à un moment éprouver l’expérience d’un plaisir au résultat incertain. C’est l’érotisation des corps », nous explique Christophe Apprill. Effectivement, le slow reste, pour ceux qui s’en souviennent – spéciale dédicace aux quadras et plus – un moment d’ivresse, de grenadine autant que d’endorphines, de poésie de corps plus que de mots, de désir en tout sens et de sentiments d’extrême. Entre les années 60 et 90, c’était surtout la rencontre des corps en mutation. Le sien et celui de l’autre. Une rencontre rythmée par trois piliers: physicalité, apparence vestimentaire et sensualité.

Une manne à souvenirs

« Si je me suis intéressé au slow, c’est simplement parce que j’ai eu des expériences absolument ratées en tant qu’ado. Aujourd’hui, j’ai pris ma revanche… avec le tango. » Pour l’auteur, la découverte de cette danse est liée à une question de vie et de mort, justement. Très jeune, il a perdu son père, et il a eu besoin, pour se mettre en mouvement dans une famille où l’on parlait peu, de la rencontre avec d’autres corps que le sien. « Pour ne pas sombrer dans le désespoir », dit-il. Toutefois, si le tango est une danse très codifiée, le slow se pratique sans technique. Du moins dans sa version populaire. Car dans les salles de bal, on respecte l’approche, la bonne mesure, le bon mot ou même le placement stratégique après les danses emportées.

Les pratiques corporelles ont changé, mais pas l’intimité des corps.

Le slow, toujours selon Christophe Apprill, c’est la frustration des sexes séparés, dans une pièce où se mêlent leur pudeur, leur intimité subite, leur désir. Comme cette première fois, au camp scout, quand le dernier soir on allume les néons de la fête, on met les plus beaux morceaux et on autorise les gamins à se dandiner sous l’oeil – il ne faut quand même pas rêver – des chefs, du prêtre ou des parents. Une sensation évoquée par la jeune Chloé dans l’ouvrage. On est alors en 2015, et elle a 13 ans: « Le garçon avec qui j’étais, et moi, on a beaucoup pleuré pendant le slow en fait! Parce que justement c’était la fin de la colo, on savait qu’on n’allait plus se voir. C’était Let It Be, ce n’est pas une chanson cul-cul, c’est une belle chanson, et on était tous là. C’était un joli dernier moment. C’était beau de savoir que cela allait se terminer comme ça. Et puis à la fin du slow, tout le monde vient se faire un grand câlin. Toute la colo se rassemble. La fin du slow et de la boum arrive, et mon père vient me demander qui est ce jeune homme… »

Whitney Houston et Kevin Costner, dans Bodyguard, l'histoire d'amour qui a fait vibrer une génération avec I Will Always Love You. xxxxxxxxx
Whitney Houston et Kevin Costner, dans Bodyguard, l’histoire d’amour qui a fait vibrer une génération avec I Will Always Love You. xxxxxxxxx© isopix

Le coeur fait (la) boum

Le slow est ambivalent. A priori, c’est le ralentissement du rythme. Un moment suspendu où le coeur est censé se calmer, après l’exaltation des précédents morceaux. Une chanson cool, au rythme chaloupé et adouci. En réalité, quand vient le temps du slow, tout s’accélère dans le corps. Le rythme cardiaque s’emballe, les sensations sont décuplées, tout est différent. Un changement de mouvement parfaitement illustré dans la fameuse scène de slow de Vic et Mathieu du film La boum. Après une série de rocks endiablés, Vic va se servir, en nage, une grenadine. Les autres continuent à se déhancher en arrière-plan, sur la piste. Mathieu s’approche d’elle, lui pose le walkman sur les oreilles, et c’est là que commence un autre mouvement, celui des sens. Avec ce morceau Reality qui se transforme instantanément en référence absolue du genre.

On ne s’en rend pas forcément compte, mais la technique musicale est primordiale, comme on peut l’apprendre dans le documentaire radiophonique Mission Slow, de Thomas Guillaud-Bataille . L’auteur nous résume l’approche de Vladimir Cosma pour créer ce magique Reality. « Il a fait une vraie étude de marché pour le composer. Un travail scientifique. Il a analysé les vingt slows les plus marquants des derniers temps et décortiqué chaque orchestration. » En fin de compte, bizarrement, on est assez loin des standards de l’époque. La musique a clairement des accents british, mais on est beaucoup plus proche d’un morceau classique que d’un titre pop.

Le mythique slow entre Demi Moore et Patrick Swayze dans Ghost, avec Unchained Melody en BO. .
Le mythique slow entre Demi Moore et Patrick Swayze dans Ghost, avec Unchained Melody en BO. .© isopix

Pas si mort que ça

Mais au vu de son utilité, pourquoi donc affirme-t-on aujourd’hui que le slow est mort et enterré? Thomas Guillaud-Bataille, qui a décliné son podcast Mission Slow en spectacle baptisé L’âge du slow, entame l’explication: « Les jeunes que j’ai rencontrés pour ce projet m’ont dit que les pratiques d’aujourd’hui, en boîte, c’était plutôt des danses en grappes ou en solo. » Ce à quoi répond Sarah Sepulchre, professeure du master de genre à l’UCLouvain: « Oui mais il s’agit malgré tout de moments où l’on se frotte, même s’il n’y a plus la même gestuelle qu’autrefois. On a passé un siècle. Nos slows n’étaient pas si différents des danses de nos parents, et de leurs parents avant eux. Ici, les pratiques corporelles ont changé, mais pas nécessairement l’intimité des corps. La mort du slow, c’est peut-être juste la dernière danse de salon qui tombe. »

Thomas Guillaud-Bataille poursuit la réflexion: « Inviter l’autre à danser un slow, c’est une manière de lui avouer un certain intérêt. Et donc, prendre le risque d’un râteau. Or, aujourd’hui, il existe d’autres façons moins publiques et vexantes d’exprimer son attirance pour quelqu’un, sur les réseaux sociaux notamment. » Et Sarah Sepulchre d’ajouter: « Ce qui est étonnant, c’est que le slow est toujours en bonne place dans les séries et films de nos enfants et ados. Prenez Sex Education, par exemple, ou 13 Reasons Why: il y a là-dedans des scènes cultes de slow. Pourtant ce sont des fictions hyper actuelles, destinées aux jeunes d’aujourd’hui. Signalons d’ailleurs que La boum est disponible sur Amazon Prime et revient quasi tous les ans à la télé. « Même s’ils ne le dansent plus, certains ados que j’ai rencontrés connaissent par coeur les répliques du film », observe Thomas Guillaud-Bataille.

Dans la série 13 Reasons Why, pourtant destinée aux ados de maintenant, le slow occupe une place de choix.
Dans la série 13 Reasons Why, pourtant destinée aux ados de maintenant, le slow occupe une place de choix.© isopix

L’incertitude des corps

Et si tout n’était qu’une question de temporalité? Et si ce qu’on appelle slow, lent ou lenteur, était à contre-courant d’une société du toujours plus vite? Peut-être. « Le slow, selon Christophe Apprill, c’est l’incertitude de la réaction des corps. Le désir se matérialise par les corps incertains, ce qui est précieux et fragile. On est dans un désir qui transporte ailleurs. C’est plus une ligne de fuite. Il y a une circulation du désir, oui, mais pas nécessairement orientée vers la sexualité. Désormais, les jeunes disent « on a baisé », puis…. plus rien. Avec le slow, il n’y avait pas nécessairement de projet d’aboutissement. On ne savait pas ce qui allait se passer. Le néolibéralisme est passé par là. On va d’un endroit A en sachant qu’on va à l’endroit B. »

Et la question de genre, dans le fond? Est-ce que notre société dans laquelle les notions de genres et de couples sont profondément modifiées n’accepterait plus cette danse codifiée, cette rencontre fille-garçon souvent impulsée par l’homme? « Ce qui est intéressant et interpellant, c’est que certaines pratiques ont suivi cette évolution, comme la demande en mariage, de plus en plus faite par les filles, sur les réseaux sociaux, pondère à ce sujet Sarah Sepulchre. Pour le slow, on n’observe pas ce genre de revirement. Et le fait de danser seul, mais collé-serré, n’empêche pas des comportements dérangeants, style mains aux fesses… » Thomas Guillaud-Bataille, lui, évoque une possible évolution dans la manière dont nos corps se comportent les uns par rapport aux autres. « Au départ, je pensais qu’il y avait moins de slows parce qu’il n’y avait plus de chansons pour s’y rattacher. C’est faux. Des chanteurs comme Adele ou Ed Sheeran sont largement pourvoyeurs de hits à slows! »

Slow must go on

Rien que pour le plaisir, on vous a concocté une playlist avec nos 50 slows préférés de tous les temps sur Spotify.

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Et pourtant, pourtant…

On l’a dit: le slow continue à vivre sur nos écrans. Et toutes les générations s’y collent. Vladimir Cosma l’a confié à Mission Slow: souvent, à ses concerts, trois générations de femmes, grand-mère, mère, fille, viennent, émues, le remercier. Parmi les trois, au moins une n’a pas assisté à la sortie de La boum en 1983. Etrangement, le slow est pourtant considéré comme un art mineur. Un sujet d’amusement non scientifique. Quand Thomas Guillaud-Bataille a commencé ses recherches, il pensait trouver une bibliographie étoffée sur le sujet. Il n’en fut rien. Il a donc créé une pseudo-théorie, transportée sur scène et à travers son podcast « afin d’expliquer que le slow est en perte de vitesse, notamment parce qu’il est en total contraste avec l’époque de vitesse que nous vivons. L’époque de dématérialisation, mais aussi le règne des réseaux sociaux ». Elle est d’ailleurs peut-être là, la vraie raison du déclin du slow. Les choses vont vite, mais on en oublie parfois l’essentiel: se toucher, même maladroitement, ne fût-ce que pour un moment. « En v’là du slow, en v’là. Et ça commence toujours comme ça. On s’tient à deux tellement serrés, où on pourrait plus s’arrêter là », chantait Michel Jonasz en concluant ainsi: « Alors ça continue, des fois… »

Slow - Désir et désillusion, par Christophe Apprill, éditions L'Harmattan, 120 pages.
Slow – Désir et désillusion, par Christophe Apprill, éditions L’Harmattan, 120 pages.

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