La pet parentalité est en vogue, mais peut-on vraiment être le parent d’un animal de compagnie?

La pet parentalité, kézako? Getty Images
La pet parentalité, kézako? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Hier encore phénomène marginal sujet aux moqueries, la pet parentalité, soit le choix de former une famille avec un animal de compagnie que l’on considère comme un enfant, fait toujours plus d’adeptes. Avec ses bons et ses mauvais côtés.

S’il y a autant d’approches du rôle de parent qu’il y a de cellules familiales, ces sentiments, eux, sont universels. La joie exubérante quand, après avoir gazouillé «tu fais un câlin à maman», on voit l’objet de son affection venir se blottir dans ses bras. L’angoisse, aussi, au moment de l’agrandissement de la famille, et de la réalisation que désormais, on est responsable du maintien d’une petite créature fragile en vie. Le stress causé par la nécessité d’adapter sa gestion du temps (de travail) aux soins que demande l’arrivée de ce bébé, la fatigue des premières nuits ensemble, et puis surtout, l’amour, plus fort que tout. Du genre à faire oublier tous les aspects plus difficiles à chaque fois qu’on plonge les yeux dans le regard de celui ou celle dont on a parfois attendu si longtemps la venue.

Ce qui distingue ces saynètes de la vie quotidienne de celles qui se jouent dans tant d’autres foyers? Les enfants en question appartiennent à une autre espèce, qu’il s’agisse de chiens, de chats, de lapins ou encore de lézards. C’est que de nos jours, la pet parentification n’est plus l’apanage de celles que l’on qualifie injurieusement de «folles à chats», mais bien un phénomène toujours plus répandu et accepté.

Signe des temps: à de nombreuses reprises ces derniers mois, le pape François a fustigé les familles qui préfèrent «accueillir un chien ou un chat plutôt qu’un enfant», un refrain qui a aussi été récurrent dans le camp républicain lors de la dernière campagne présidentielle américaine. Or si un sujet est épinglé par des mâles blancs d’un certain âge, a priori tout sauf hype, c’est qu’il a décidément quitté les franges de la société pour devenir une forme de norme – qu’elle soit acceptée ou non. Car s’ils sont toujours plus nombreux, ces «parents d’animaux de compagnie» divisent l’opinion, en ce compris au sein de ceux qui se revendiquent pourtant comme des amis de la cause animale.

C’est qu’un animal, aussi adorable et adoré soit-il, n’est pas un enfant. Et il ne s’agit pas là d’un jugement de valeur mais bien d’un constat biologique, avec tout ce que cela implique.

Des bébés pas comme les autres

Originaire de Californie, la bioéthicienne et autrice américaine Jessica Pierce habite depuis plus de vingt ans dans le Colorado, où elle mène ses recherches sur les liens entre les écosystèmes et la santé, mais aussi sur le lien qui unit l’humain aux animaux. Une thématique à laquelle elle a commencé à s’intéresser il y a douze ans quand son chien, Ody, a montré les premiers signes de vieillesse. «Son corps a commencé progressivement à le lâcher, et alors que j’avais passé toute ma carrière à étudier la bio-éthique, j’ai été forcée de réaliser que ces questions se posaient aussi dans la sphère privée, et pas seulement pour les animaux de laboratoire ou bien ceux qu’on élève pour les manger», partage celle pour qui «on se dit qu’on gâte nos animaux de compagnie, et qu’on prend bien soin d’eux, alors que plus on s’y intéresse, plus on réalise qu’ils souffrent plus que tous leurs autres congénères».

Une affirmation clivante, surtout au regard de l’image qu’on a des conditions de vie des animaux d’élevage ou de laboratoire. Et pourtant, pointe l’Américaine, «les conditions de vie de ces derniers sont soumises à des règles strictes, que ce soit la quantité de nourriture qu’ils reçoivent chaque jour ou bien les dimensions de leur cage. Ce sont des standards très bas, et ça n’empêche pas l’humain de causer des souffrances indicibles à ces bêtes, mais le fait est qu’il existe un cadre légal, et que les personnes qui les entourent sont tenues de suivre une formation spécifique».

Ce qui n’est pas (encore?) le cas pour les personnes qui adoptent un animal de compagnie, même si, depuis l’été 2022, leur acquisition est conditionnée à l’obtention d’un permis de détention. Une mesure qui implique de présenter un extrait du fichier central de la délinquance environnementale au moment de l’achat, afin de prouver que l’on n’est ni sous le coup d’une interdiction de détention ni déchu de son permis pour cause de maltraitance animale, mais qui ne concerne, à l’heure d’écrire ces lignes, que la Wallonie. En outre, elle ne s’attache qu’aux formes de maltraitance punies par la loi, et non à celles d’autant plus pernicieuses qu’elles sont inconscientes et partent véritablement d’un bon sentiment: l’amour que vouent certaines personnes à leur boule de poils (ou de plumes, ou d’écailles).

Sans réaliser que celle-ci a des besoins bien différents de ceux d’un bébé humain.

Amour ou dépendance?

Car c’est bien là qu’est le problème, mais aussi, paradoxalement, la cause de celui-ci. «La dépendance émotionnelle que nous avons à l’égard de nos animaux de compagnie leur fait subir énormément de stress, dénonce Jessica Pierce. Nous les acquérons pour combler un vide que nous ressentons sur le plan émotionnel, et nous mettons beaucoup de pression sur eux pour qu’ils comblent nos besoins, sans forcément penser aux leurs… Nous aimons les chiens parce qu’ils semblent sentir quand nous nous sentons mal, parce qu’ils nous réconfortent et qu’ils font preuve d’empathie, mais il ne s’agirait pas d’oublier qu’ils ont leurs propres besoins émotionnels».

Et si elle voit dans ce phénomène de pet parentification quelque chose de «généralement sain et bénéfique», la psychologue liégeoise Jennifer Moers rejoint toutefois la bioéthicienne, en rappelant qu’il est crucial de «trouver un équilibre pour éviter que cela ne devienne une forme de dépendance affective ou une source de contraintes, tant pour le propriétaire que pour l’animal lui-même». Lequel serait donc la source de cet amour inconditionnel au cœur de tant de contes de fées, celui-là même que certaines personnes passent toute leur vie à chercher… Quitte à le trouver en prenant soin d’un chien ou un chat plutôt qu’au sein d’une relation de couple ».

Problème, «bien que cela puisse être une source de réconfort légitime, il est important de ne pas utiliser cette relation comme un moyen d’éviter des liens humains essentiels», met en garde la psychologue. Qui observe que l’attachement sans jugement qu’offrent les animaux «peut se substituer à des relations humaines plus complexes».

Serait-ce donc là la seule explication de la popularisation de ces familles dont la progéniture marche à quatre pattes et reste non verbale, sans que cela n’inquiète personne puisque c’est le propre même de l’animal?

Raison garder

«Choisir d’avoir un animal plutôt qu’un enfant reflète des priorités personnelles ou des contextes spécifiques (choix écologique, carrière, préférence de style de vie) qui méritent d’être mieux compris et respectés», martèle la Liégeoise. Ce n’est pas le Dr Nelly Mols qui va lui donner tort. En trente ans de carrière, elle a été aux premières loges pour assister à l’évolution de notre relation avec nos animaux.

«Aujourd’hui, ce sont des membres de la famille à part entière et c’est très positif», se réjouit celle qui a choisi de se spécialiser dans l’oncologie vétérinaire, et donne aujourd’hui des formations lors de congrès internationaux quand elle ne consulte pas dans son cabinet de Turnhout. Pour elle, un autre élément d’explication est le fait que «notre société est devenue beaucoup plus individualiste. Les gens accordent plus d’importance à leur temps libre, et il est beaucoup plus accepté de dépenser de l’argent pour se faire plaisir, par exemple, en prenant soin d’un animal».

Autre facteur? La pandémie de Covid. «Beaucoup de gens ont adopté des animaux durant les confinements, et il y a eu plein de belles histoires de personnes qui se sont épanouies grâce à leur relation avec leur animal.»

Mais attention, bien que la vétérinaire qualifie ce phénomène de «majoritairement positif», «il ne faut pas aller trop loin. Un chien doit pouvoir être un chien, et cela vaut aussi pour un chat ou un lapin: on peut créer un lien très fort avec eux, mais cela reste des animaux, et il faut respecter ce que cela implique».

Entre réconfort et apaisement

Dans son livre Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant), paru en 2023 aux éditions Albin Michel, la vétérinaire et chroniqueuse animalière française Hélène Gateau le rappelle, «un chiot n’est pas un bébé». Et être «un bon pet parent, c’est donner la possibilité à son chien d’exprimer les comportements propres à son espèce, tout en évitant l’humanisation, même si ce n’est pas toujours facile».

D’ailleurs, confie-t-elle, si elle s’est permis d’écrire un ouvrage dans lequel elle affirme que la place que prend dans sa vie Colonel, son border terrier, se rapproche à de nombreux égards de celle qu’aurait pu prendre un enfant, «c’est parce que je n’ai jamais perdu de vue une notion fondamentale: l’importance que je lui donne ne le rend pas pour autant humain».

Et n’est-ce pas au fond la leçon principale de la parentalité? On donne la vie à ses enfants, on s’attèle ensuite à tout leur donner, mais vient inexorablement le moment où ils grandissent et s’éloignent, et où il s’agit d’accepter que malgré tout l’amour que l’on ressent pour eux, ils ont leurs propres vies, leurs envies, et il s’agit de les respecter.

«S’occuper d’un enfant mobilise des ressources affectives, cognitives et sociales beaucoup plus vastes que celles nécessaires pour s’occuper d’un animal. Les interactions avec un enfant sont fondamentalement différentes, et les enfants ont cette capacité, de par leur simple manière d’être, à provoquer des remises en question profondes chez leurs parents. Bien que des moments de réflexion ou de transformation puissent également survenir dans le lien avec un animal, ces deux dynamiques restent difficilement comparables», avance encore Jennifer Moers.

Qui poursuit: «Ce que j’ai pu entendre en consultation auprès de patients ayant des animaux, c’est qu’ils décrivent souvent cette relation comme plus «sincère» et dénuée de jugement. Ils apprécient le fait que leurs animaux semblent les aimer pour ce qu’ils sont, sans attentes ou critiques, et perçoivent en eux une forme d’innocence qui leur apporte beaucoup de réconfort. Ainsi, je dirais qu’il s’agit de deux types de relations très différentes: le lien avec un enfant touche à la transmission, à la projection dans l’avenir et à un investissement éducatif, tandis que le lien avec un animal est souvent une source de réconfort immédiat, de présence apaisante et d’attachement inconditionnel».

La pet parentalité, clé d’un amour (vraiment) inconditionnel?

Ce qui ne veut pas dire, contrairement à ce qu’avancent certains critiques, que la pet parentalité est une sorte de choix de facilité. «Il est vrai que les relations avec les animaux sont souvent perçues comme plus accessibles, car elles ne comportent pas les mêmes défis émotionnels, concède Jennifer Moers, mais dire que c’est «choisir la facilité» est simpliste. Il me semble que de vieilles croyances opèrent en toile de fond dans ce type de reproches. Comme si le fait de «mériter» la légitimité dans les expériences et les relations impliquait de devoir souffrir ou relever des défis particulièrement difficiles. D’autant qu’élever un animal demande également des responsabilités, un engagement financier et un investissement émotionnel».

«Les animaux sont loyaux et fidèles, ce qui crée un lien très particulier, mais c’est injuste de dire qu’accueillir un animal est une manière d’acheter de l’amour», renchérit le Dr Mols. Qui pointe le fait que la théorie de la dominance a été infirmée, et que si un animal pourra obéir parce qu’il ressent un lien de subordination envers son maître, «ce qui compte vraiment, c’est de parvenir à créer une relation de respect mutuel».

Dans sa préface de l’ouvrage d’Hélène Gateau, titrée non sans esprit «tenir son fils en laisse», l’essayiste Sylvain Tesson remet en question la pertinence d’une distinction entre les types de parentalité en fonction de l’espèce de la créature dont on prend soin.

Après tout, liste-t-il, les bouleversements sont identiques: «don de soi, amour d’un autre, acceptation des sacrifices, irradiation des heures, bonheur des jours, raccourcissement des nuits»… Mais surtout, si on part du principe que l’amour est un don de soi, et que pour l’humain, l’animal est le comble de l’altérité, «par conséquent, vouer un amour maternel à un chien qui ne vient ni de son ventre, ni de sa lignée, est la preuve de l’inconditionnalité de l’amour».

Cela vaut évidemment aussi pour les chats, les rongeurs et les reptiles, et surtout, cela mérite d’être rappelé à celles et ceux qui voudraient réduire ces nouvelles formes de parentalité à des sous-genres moins méritants.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content