Et la tendresse, bordel!: Comment parvenir à la pratiquer malgré la pandémie

© MATHILDE RIVES
Mathieu Nguyen

A en croire la chanson, on ne peut vivre sans. Et pourtant, depuis de longs mois, nous sommes bien contraints de n’en profiter que du bout des doigts. Denrée rare, faite de précieux petits riens qui comptent tant à nos yeux, la tendresse a tout pour être d’actualité. A condition de pouvoir la pratiquer…

En mars dernier, quarante-cinq chanteurs et musiciens emmenés par l’artiste Valentin Vander, et réunis sous le nom « Symphonie confinée », reprenaient La Tendresse de Bourvil, le temps d’une vidéo « dédiée de près ou de loin aux personnes touchées par la pandémie de Covid-19 ». Plus de 4,5 millions de vues sur YouTube plus tard, une question demeure cependant: quelle place peut encore revendiquer cette fameuse tendresse, dans un monde qui a banni la plupart des formes de promiscuité?

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Déjà considérée à tort comme une faiblesse par une époque trop pressée pour en mesurer les bienfaits pourtant évidents, la plus intime des médecines douces semble un peu nous échapper, ou se voit soumise à des précautions, choix draconiens et privations, auxquels personne n’avait été préparé. Mais comment encore parvenir à s’aimer tendre, à s’aimer vrai alors? Tentative de réponse avec Véronique Aïache, autrice de best-sellers bien-être (La ronron thérapie, L’art de ralentir…) et qui vient de consacrer un ouvrage à ce beau sujet.

Pourquoi avoir choisi de vous intéresser à la tendresse, après la liberté, la quiétude, l’envie de ralentir…?

Même s’il n’y a pas de lien direct, les thèmes que j’aborde ont la douceur comme point commun. J’essaye de nous réconcilier avec les choses un peu douces de la vie. Pour la tendresse, j’en avais surtout marre que les gens se tapent constamment les uns sur les autres, j’en avais marre de cette agressivité ambiante. J’ai des enfants de 15 et 21 ans, ils s’apprêtent à entrer dans « l’arène sociale », et je me dis « Mon Dieu, mais dans quelle époque on vit? » Indépendamment de la Covid et de tout ce qui nous tombe dessus, je trouvais que les gens étaient de plus en plus agressifs les uns envers les autres. On a perdu de vue certaines valeurs, on devient parano, on agresse, on se fait agresser… Stop! Il y a des choses nettement plus jolies à vivre, je pense. J’ai pris la plume comme pour un coup de gueule, mais j’avais vraiment envie de transmettre un message, celui de baisser les armes pour voir un peu plus de lumière autour de nous.

Avant d’aborder l’actu, une simple question: pourquoi a-t-on longtemps fait la guerre à la tendresse?

« Qu’est-ce qu’on a fait de notre plus jolie part d’animalité? », c’est une des questions que je pose dans le livre. Où est-elle partie? Dans une surenchère de rendement, de pression, dans une urgence: on doit remplacer la machine, être plus vaillant que l’autre, quitte à écraser son camarade juste à côté. On vit dans un monde où l’on ignore ce qui nous arrivera demain, et ça fait déjà des décennies que c’est le cas. On ne vit pas dans un monde serein, et on n’a certainement pas attendu la crise sanitaire pour le dire. Et je pense que pour se protéger de ça, on a fermé toutes les portes qui laissaient prise à ce qu’on considère comme de la faiblesse. Quand on se laisse émouvoir, quand on se laisse toucher, on se rend vulnérable – or on se l’interdit de plus en plus, du moins c’est ainsi que je vois les choses.

La tendresse, c’est mieux qu’un antidépresseur, ça ne coûte pas cher, c’est à la portée de tout le monde.

Pourtant, la médecine a depuis longtemps démontré les bienfaits de la tendresse dans la production d’hormones, il y a un effet tangible et mesuré scientifiquement. Ça nous fait du bien mais ça reste souvent suspect, pourquoi?

Parce qu’on ne le sait que trop peu. La tendresse est un remède, elle a un impact sur la santé, les médias en parlent pendant la journée du câlin ou de la gentillesse, mais de façon sporadique. Alors elle conserve son image guimauve, mièvre et neuneu par méconnaissance de ses aspects sanitaires. Paulo Coelho a dit « Chaque fois que l’on prend quelqu’un dans ses bras avec plaisir, on se rajoute un jour de vie ». De leur côté, les études scientifiques disent que la tendresse est très importante pour atteindre un certain équilibre hormonal; le stress nous charge d’une hormone très délétère pour la santé, le cortisol, et la tendresse nous en fait produire l’antidote, l’ocytocine. Et en étant tendre, on fabrique cette ocytocine, qui est super bénéfique pour nos artères, notre systèmes cardio-vasculaire, notre tension artérielle, etc. C’est mieux qu’un antidépresseur, ça ne coûte pas cher, c’est à la portée de tout le monde.

Véronique Aïache a déjà signé de nombreux livres dédiés au bien-être.
Véronique Aïache a déjà signé de nombreux livres dédiés au bien-être.© ASTRID DI CROLLALANZA / FLAMMARION

Oui, sauf que l’un des gros problèmes actuels, c’est qu’elle se pratique par définition à plusieurs, envers quelqu’un d’autre, que c’est un sport collectif…

Je suis d’accord, mais « pas que ». Il faut être deux pour un échange, et la tendresse existe dans l’échange. Mais je tiens à signaler que l’on peut la ressentir quand on en est son témoin. Quand je voyais mon père prendre mon fils sur ses genoux pour lui raconter une histoire, je ne peux pas vous dire tout l’effet que ça me faisait, et pourtant je n’intervenais pas du tout dans la scène. Mais en y assistant, je me nourrissais de la tendresse en action devant moi. On peut aussi l’éprouver devant des vidéos de bébés animaux sur le Net: la tendresse, c’est l’émotion. Mais cela peut aussi être la spontanéité d’un enfant, le réconfort d’un ami ou la complicité des amants qui viennent de revisiter le kama sutra. Donc il y a le geste, qui est un peu limité pour l’instant, on parle plutôt de « geste barrière » d’ailleurs, mais heureusement il nous reste plein d’autres trucs.

En tant qu’autrice de livres sur le bien-être, avez-vous vécu le confinement comme l’occasion de vérifier certaines théories, ou comme une catastrophe qui allait mettre à mal tous vos enseignements?

Personnellement, j’ai mal vécu le confinement parce que j’étais enfermée avec les enfants sur les bras H24, et en tant que disciple de la liberté, c’est difficile d’en être privée pendant deux mois et demi. Donc, pour moi comme pour beaucoup de gens, cela a été une période compliquée. En revanche, justement, j’espère vraiment que les gens vont en tirer des leçons. Au début, je voyais plein de choses sur Facebook au sujet des « vraies valeurs », comme une chance de les remettre en avant, et je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose d’intéressant en train de se passer dans l’inconscient collectif. Mais j’attends de voir ce qui va en rester.

Justement, à propos de ce qu’il en restera, ces concepts de distance sociale, de bulle, cette ambiance de stress et de méfiance… On a encore du mal à en imaginer les répercussions futures.

J’ai vraiment confiance en l’humanité parce qu’elle s’est toujours adaptée à tout. Elle a toujours réussi à renaître de ses cendres. Même après les guerres, même quand c’était tabula rasa, elle est repartie de plus belle. Là, je pense que l’on traverse une époque de tabula rasa – il n’est pas question de bombes ou de bombardements, mais ça remet à plat pas mal de nos modes de fonctionnement – mais je garde confiance en la nature humaine, en sa capacité à tirer quelque chose de chouette de tout ça. Bien sûr, quand les populations seront vaccinées, ce sera plus facile de se détendre et de ne pas regarder de travers son voisin qui ne porte pas de masque ou qui ne respecte pas les distances. Mais je pense que la nature reprendra ses droits.

L'art de la tendresse, par Véronique Aïache, éditions Flammarion, sortie le 3 février.
L’art de la tendresse, par Véronique Aïache, éditions Flammarion, sortie le 3 février.© SDP

Il y a eu ceux qui ont eu peur de ne plus pouvoir embrasser leurs proches, imaginaient un futur fait de distance entre les personnes. Ça dramatise un peu la réalité mais ça montre aussi l’ampleur du trauma pour certaines personnes.

Bien sûr, ça a été traumatisant parce qu’on nous a amputés de ce qui nous faisait exister socialement: le rapport à l’autre.

On a cru qu’on pouvait exister par écrans interposés et la situation nous a assez brutalement rappelé que ce n’était pas vraiment le cas?

On l’a cru, oui. Et comme on a pu le constater, on se trompait. Tout le monde a besoin du contact, du charnel, de l’image, du son et de la texture. En à peine quelques années, les gens se sont massivement engouffrés dans les réseaux sociaux. Et maintenant qu’ils sont obligés de communiquer via ces réseaux sociaux, ils s’en plaignent. Il faut donc trouver le juste équilibre entre les deux, et je pense que même avant la pandémie, nombreux sont ceux qui avaient déjà compris que les réseaux sociaux ne cochaient pas toutes les cases. Regardez ce qui s’est passé après le premier déconfinement: les gens se sont précipités les uns sur les autres. D’où la deuxième vague. Alors qu’en l’absence de cette privation pendant deux mois et demi, il n’y aurait jamais eu un tel élan festif, social, amical, familial… On ne souffre jamais de ce que l’on ignore, et en même temps, on ne se rend pas compte de ce que l’on a, au moment où on l’a: il faut le perdre pour vraiment réaliser. Et après, on se dit « Mais en fait, c’était vachement bien ». L’être humain est malheureusement fabriqué comme ça.

C’est peut-être ça qui peut changer, à l’avenir? Après avoir vécu une épreuve pareille, on ne peut plus rien considérer comme acquis, donc chérissons ce que l’on a?

Absolument, c’est précieux. Parce qu’on a eu peur de perdre certaines choses, au moment de les récupérer, il faut avoir conscience de la valeur qu’elles ont.

Après un tel manque, on va revaloriser le contact physique?

Oui! Parce que, très honnêtement, les avancées médicales en cours, et dont on verra bientôt les effets, vont commencer à rassurer les gens. A nouveau, on va pouvoir se faire la bise pour se dire bonjour, se prendre dans les bras, etc. Et d’ici quatre ou cinq ans, on aura oublié cette période où l’on ne pouvait pas s’embrasser. Je nous le souhaite à tous. J’ai bon espoir parce que l’être humain oublie. Il oublie les traumatismes et guérit de ses blessures. Là, d’accord, il s’agit d’une blessure à l’échelle mondiale, mais dès que la situation reviendra à la normale, on reviendra à ces choses-là, et donc à l’échange.

Mais il faudra encore du boulot avant de reconnaître la tendresse à sa juste valeur. L’une de vos pistes pour y arriver, c’est évidemment les enfants – mais comment leur inculquer que c’est une force et non une faiblesse?

Les enfants ont une capacité merveilleuse, ils progressent par imitation. Chaque parent peut observer que les premiers mots sont en fait répétés, que les premiers sourires répondent à d’autres sourires. Alors si vous leur montrez comment faire un câlin, comment encourager un progrès avec un sourire plein de fierté, si vous semez ces graines-là, elles vont grandir en eux, ça va s’inscrire dans leur mémoire. Si vous leur criez dessus, ils crieront. C’est aux parents de donner les codes à leurs enfants, et au tout premier rang, il y a leur propre comportement.

En attendant, cette crise va encore faire des dégâts, notamment dans les catégories de gens qu’elle a un peu mis en lumière, ceux qui souffrent de l’isolement, de la solitude. Que peut-on dire à ceux qui sont d’accord avec tout ce que l’on vient de dire sur la tendresse, mais qui en sont privés parce qu’ils sont seuls?

Il y a deux mots pour décrire le fait d’être seul: l’isolement, que l’on subit malgré soi, parce que l’on ne connaît personne, parce que la vie en a ainsi décidé; et puis il y a la solitude, que l’on peut choisir et qui est intéressante à la seule condition de pouvoir faire des allers-retours entre son monde de solitude et l’extérieur. Les gens qui ont besoin de tendresse aujourd’hui et qui subissent l’isolement, en étant temporairement coupés des leurs, peuvent utiliser cet isolement forcé pour se réconcilier avec eux-mêmes; optimiser le temps qu’ils ont pour faire des choses qu’ils n’avaient jamais imaginé ou osé faire. Comme écrire, se mettre à la peinture, et les mille choses que l’on peut faire seul; la solitude rend créatif. Si l’on sait que pendant un ou plusieurs mois, on sera privé de parole, de contact, ou des autres, on n’est jamais privé de soi-même. Et il existe à l’intérieur de soi un milliard de choses qui existent et qu’on ne soupçonne pas forcément, donc il peut être intéressant de partir à la rencontre de soi-même. Je dirais donc à tous ceux qui sont seuls: en attendant de retrouver les autres, allez faire un petit tour du côté de vous-mêmes!

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