Et si les jeux video étaient finalement bons pour nous

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Addictifs et souvent violents, les jeux vidéo n’ont pas bonne presse. Pourtant, bien utilisés, ils se révèlent de parfaits outils pour booster nos capacités, renforcer l’apprentissage et, même, dans certains cas, soigner.

Fin juin dernier, dans une petite rue de Hangzhou, en Chine, un garçon de 19 ans était retrouvé inconscient ou presque… Il avait passé six jours dans un cybercafé, pour assouvir sa soif de gagner en ligne, oubliant tout geste vital d’hygiène ou de nutrition. Des faits divers comme celui-là fleurissent régulièrement dans les journaux, apportant de l’eau au moulin de ceux pour qui le joystick doit se fuir comme la peste…  » Mais sur les dizaines de millions de passionnés, franchement, c’est une goutte dans l’océan « , relativise immédiatement Christophe Butstraen. L’auteur d’Internet, mes parents, mes profs et moi(*) organise des conférences sur la thématique. Ancien professeur et lui-même papa d’un mordu – le fiston est 6e mondial au cultissime FIFA, premier produit  » culturel  » vendu en France en 2015, devant tous les livres, films et albums – il a su tirer des leçons de son propre vécu et propose une approche très ouverte. Son leitmotiv : re-responsabiliser les parents.  » Il est trop facile de dire « de toute façon, je n’y connais rien ! » et de pointer Internet du doigt dès qu’un enfant déconne. C’est le rôle de l’adulte d’instaurer le cadre en termes de temps passé devant l’écran et de choix des jeux. Et ce, dès le départ car, tout comme pour la cigarette, il est plus facile de ne pas commencer que d’arrêter par la suite !  » Le spécialiste conseille de bien se renseigner avant de fixer ces limites, afin qu’elles soient cohérentes :  » Quand votre gamin veut faire du foot, vous savez que ça implique deux entraînements par semaine et un match, et vous n’acceptez que si le planning familial le permet. De même, quand un gosse choisit un jeu. Si on lui permet de l’utiliser trente minutes par jour alors qu’une partie en dure quarante-cinq, l’enfant va d’office gratter le quart d’heure. Si on accepte qu’il opte pour un produit en ligne comme MMORPG, où les attaques se font la nuit, il ne faut pas s’étonner après coup qu’il se lève à 2 heures du matin.  » Christophe Butstraen insiste également sur l’importance de l’âge conseillé sur la jaquette :  » Si un môme demande un film porno pour Noël, il ne l’aura pas… Pourtant, s’il veut Call of Duty, qui est classé dans la catégorie 18 ans et plus, il le recevra peut-être malgré tout. Ce n’est pas normal.  » Et de comparer ces pères et mères trop tolérants aux  » parents curling qui frottent la piste devant leurs enfants pour qu’ils ne rencontrent aucun obstacle « , le premier d’entre eux étant tout simplement de se voir opposer un  » non « .

MILLE ET UNE VERTUS

Et si les jeux video étaient finalement bons pour nous
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Ce préambule clair dans la tête des consommateurs, il est intéressant de se pencher sur les bienfaits réels de cette activité. Il est ainsi établi que les jeux vidéo apprennent aux gamers à résoudre des problèmes et à synthétiser leurs idées plus rapidement, tout en développant davantage leur psychomotricité fine. Une étude allemande, parue en 2014 dans Molecular Psychiatry et réalisée auprès de volontaires d’une vingtaine d’années ayant passé une demi-heure chaque jour sur Super Mario pendant deux mois, a mis en avant l’augmentation de leurs cellules grises dans les zones gérant la navigation spatiale, la mémoire et la motricité des mains…

 » Le virtuel répond par ailleurs à des règles très différentes du système éducatif traditionnel car on peut certes y être sanctionné en cas d’erreur, mais de façon momentanée, la possibilité de refaire une partie étant immédiate « , souligne Christophe Butstraen, qui pointe un autre avantage :  » La personne qui joue est appréciée pour ses compétences dans un domaine, pas pour ses habits ou le job de son papa ou de sa maman, comme dans la cour de récré. C’est une belle approche de la vie professionnelle : quand on est boulanger, on est reconnu pour son pain, pas parce qu’on est un beau mec ! Il se peut qu’un gosse boutonneux de 14 ans soit, online, à la tête d’une guilde et donne des ordres d’attaque à un ingénieur de 30 ans.  » Et d’ajouter que, même si ce divertissement est dans un premier temps individuel, il peut très vite devenir collectif, en réseau.

UN PEU DE SÉRIEUX

En marge des produits à vocation ludique, il existe également une gamme dite de  » serious games « , soit des logiciels qui allient un aspect fun et un objectif pédagogique, idéologique ou thérapeutique.  » Dans les années 90, avec les CD-Rom, on avait déjà quelque chose du genre, observe Pascal Balancier de l’Agence du numérique, la plate-forme ICT wallonne. En 2006-2007, une série d’évolutions technologiques ont démocratisé la création de programmes grâce à des outils-auteurs moins complexes. C’est à ce moment qu’est apparu le concept de serious games… qui en réalité ne faisait que mettre un nom sur le principe qui veut que l’on apprend mieux en s’amusant. Aujourd’hui, cela reste toutefois un marché de niche car les coûts sont encore élevés.  »

La société montoise Fishing Cactus a néanmoins misé sur ce business et s’y fait progressivement une place au soleil.  » Deux raisons nous ont poussés vers ce créneau, dès 2010, explique Laurent Grumiaux, directeur commercial. D’une part, nous étions convaincus que l’aspect ludique pouvait améliorer l’efficacité de l’apprentissage. D’autre part, ce domaine, qui représente 30 % de notre chiffre d’affaires environ, nous permettrait d’assurer le salaire de nos équipes en période creuse.  » Parmi les projets développés, on retiendra par exemple R.O.G.E.R. , imaginé avec l’hôpital Erasme et le Microsoft Innovation Center, pour évaluer le degré d’autonomie d’un patient cérébro-lésé.  » Celui-ci est plongé dans un univers virtuel proche de la réalité et doit réaliser des tâches quotidiennes. Son score est calculé et comparé d’un semestre à l’autre, alors que ce serait impossible à objectiver avec du papier et un crayon « , résume le Montois.

JOUER POUR SOIGNER

Sérieux ou pas, les jeux sont ainsi entrés de plain-pied dans l’univers de la médecine et de la psychologie. Précurseur en la matière, le psychanalyste français Michael Stora – qui a commencé sa carrière en tant que… cinéaste ! – travaille depuis de nombreuses années déjà avec ces outils virtuels pour aider les enfants en difficulté. Pour lui,  » le jeu vidéo est un espace de récréation mais aussi de re-création, où l’on peut s’exprimer sans culpabiliser  » (lire par ailleurs). Ces techniques sont également expérimentées avec les malades du cancer, pour entre autres les aider à suivre correctement leur traitement, ou avec les grands brûlés afin de détourner leur attention et de réduire leur anxiété lors des soins, et dès lors de baisser la dose d’antalgiques. De très bons résultats sont encore obtenus avec les personnes atteintes de Parkinson ou d’Alzheimer.

Plutôt connoté  » jeunes « , ce passe-temps est pourtant régulièrement éprouvé avec les seniors, notamment dans les maisons de repos, pour les garder en mouvement – avec la Wii de Nintendo, notamment, qui permet de réaliser réellement les gestes de son avatar devant l’écran. Une étude de l’université de l’Iowa a pu mettre en avant qu’il était possible, avec une activité ludique virtuelle, de ralentir le déclin mental lié au vieillissement naturel. 681 individus de plus de 50 ans ont été invités, pour les uns, à faire des mots croisés sur ordinateur, pour les autres, à jouer régulièrement à Road Tour, un programme où il est question d’identifier des autos le plus rapidement possible. Il en est ressorti une amélioration des facultés mentales allant de 1,5 à 7 ans pour ceux qui s’étaient amusés avec les voitures.

UN SANS-FAUTE ?

Ce tableau idyllique doit néanmoins être nuancé. Plusieurs drames marquants ont rappelé que ces jeux peuvent générer une certaine violence, banalisant l’acte de tuer. Pour l’auteur Christophe Butstraen,  » les adolescents qui jouent sont en effet plus énervés et, pour certains, se blindent par rapport à des images d’horreur comme celles des décapitations « . Mais pour lui, il s’agit surtout d’une question d’âge.  » Un jeune adulte est conscient que ces morts ne sont que des pixels et il relativise. Le phénomène est plus préoccupant pour les mineurs.  » Le psychothérapeute français Michael Stora, de son côté, consent que des drames comme la tuerie du lycée de Columbine ou celle qui a eu lieu dans un centre commercial de Munich, le 22 juillet dernier, ont été perpétrés par des ados accros aux tirs en 3D. Mais il souligne que ces fous ont ensuite retourné l’arme contre eux, prouvant qu’ils étaient, bien plus que des geeks ayant mal tourné, des personnes atteintes de psychopathologies lourdes dès le départ.  » Accuser une technologie de tous les maux, comme la télévision à une époque, conclut-il, c’est faire l’économie de remettre en cause le contexte socio-économique dans lequel on vit.  »

L’autre dérive potentielle, c’est l’addiction, un risque bien présent :  » On vit dans une société, très dure, de la performance à tout prix, confirme le psy. Je peux imaginer que certains n’aient plus la force d’affronter le réel.  » Comment identifier qu’on bascule ?  » Si la nécessité de gagner l’emporte sur le plaisir de jouer, tout simplement « , répond-il. Nous voilà prévenus.

(*) Internet, mes parents, mes profs et moi, par Christophe Butstraen, De Boeck, 200 pages.

ON TESTE

Nowatera. Un serious game lancé par Natagora, il sensibilise aux notions de biodiversité, à destination des élèves du secondaire. www.nowatera.be

Algo-Bot. Un jeu du Centre de compétence Techno.bel pour s’initier, l’air de rien, aux logiques de la programmation, en compagnie d’un petit robot. http://www.algobot.be/

Master F.I.N.D. Une initiative de Child Focus pour s’amuser à débusquer les pièges des réseaux sociaux et comprendre comment mieux protéger sa vie privée. www.childfocus.be/clicksafe/masterfind

ON S’INFORME

www.jeuxvideoinfoparents.fr

Infos techniques mais aussi conseils du psy, pour se renseigner avant d’acquérir le jeu vidéo dont rêvent vos enfants et fixer un cadre d’utilisation adéquat.

www.pegi.info

Pour tout savoir sur le Pan European Game Information, la classification par logo qui renseigne les classes d’âge sur les jaquettes.

www.facebook.com/christophebutstraenconferences/

Pour suivre l’agenda des conférences de l’auteur Christophe Butstraen sur le sujet. L’homme anime également, avec une trentaine d’autres personnes, la page Facebook « Je surfe responsable » qui donne des tips, pointe les arnaques en cours, etc.

3 QUESTIONS À MICHAEL STORA, psychothérapeute travaillant avec les jeux vidéo comme outil thérapeutique

Comment vous êtes-vous rendu compte de l’utilité de cette activité ?

En 1995, j’ai découvert Deus Ex, un des premiers jeux où on a l’impression de marcher dans l’image. Un jour, j’ai vu mon avatar se regarder dans un miroir, dans le décor, et voir son reflet, qui était finalement le mien. Cette mise en abyme m’a fait comprendre la puissance immersive du jeu qui est devenu mon espace d’auto-thérapie. Lorsque je me suis retrouvé face à des enfants borderline, j’ai tenté le coup et ça a marché.

Que leur apporte le jeu vidéo ?

Dans ce type de pathologie, le premier ennemi du patient est lui-même. Il faut trouver un moyen de médiation pour aborder ses fantasmes, ses craintes. Ça peut être un conte, des marionnettes… ou le jeu vidéo. Lorsqu’un gosse a subi un traumatisme, il est passif par rapport à cette situation et la console lui permet de redevenir acteur. Toute psychothérapie est un combat contre un ennemi en nous et, à l’écran, cette bagarre peut se matérialiser contre un monstre virtuel et métaphorique.

Vous avez un exemple ?

Une fillette de 9 ans jouait aux Sims, dont le but est de créer un lieu de vie puis d’interagir avec des personnages. Elle a imaginé une belle maison, avec piscine… et a retiré l’échelle pour y noyer ses parents. C’est un jeu génial car il propose un espace correct pour exprimer des choses politiquement incorrectes. J’ai aussi passé six mois avec un gamin atteint d’un dramatique eczéma sur un jeu de voitures violent où l’on doit provoquer des accidents. Il a exprimé ses pulsions vers l’extérieur en se frottant littéralement aux carlingues des autres véhicules… Sa maladie psychosomatique a été guérie.

 » IL EST TROP FACILE DE POINTER INTERNET DU DOIGT DÈS QU’UN ENFANT DÉCONNE.  »

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