Être drôle, ça s’apprend ?

Être drôle ça s'apprend? © Getty Images/Ikon Images
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Le rire est le propre de l’homme. Mais encore faut-il pouvoir le générer. Si certains sont clairement plus doués que d’autres, rien ne sert de désespérer, l’humour, ça peut aussi se travailler. Quelques Belges désopilants nous montrent la voie.

C’était début juillet dernier. L’équipe de Si tu écoutes, j’annule tout, le programme de France Inter tordant le cou à l’actu etanimé par deux de nos compatriotes, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, bouclait sa dernière émission… Deux des humoristes en studio, Pablo Mira et Thomas VDB, se fendaient pour l’occasion d’un sketch annonçant  » les grands camps d’été du rire « , soit un stage proposant atelier d’indignation, cours de trampoline afin de mieux rebondir sur l’info ou encore analyse des gimmicks de pros,  » pour apprendre aux jeunes à être chroniqueur « . Une bonne blague bien sûr mais qui soulève néanmoins une question : tout le monde peut-il un jour connaître la jubilation de susciter l’hilarité à coups de calembours bien sentis ? Ou certains sont-ils condamnés à rester de tristes sires ?  » Certes il y a des gens de nature plus joyeuse ou plus sombre, mais je pense qu’être drôle, ça se développe et s’entretient « , rassure d’entrée de jeu l’humoriste Laurence Bibot (lire par ailleurs)… Jeannine Gillessen, coach psycho-corporelle en charge, pour le centre de formation CFIP , d’un cursus intitulé  » humour et communication « , va plus loin :  » Chacun peut aller chercher cela en lui et le faire évoluer. C’est sûr qu’une personne qui, depuis toujours, est très à l’aise en public aura plus de facilités qu’un grand timide, mais l’un et l’autre avanceront sur le chemin du développement personnel à travers cette approche de l’humour. En réalité, apprendre à être drôle, c’est un travail intérieur avant d’être technique.  » Et pour y arriver quelques étapes s’imposent…

Faire de l’humour et se prendre des bides, c’est comme faire de l’équitation et faire des chutes, c’est inévitable.

Se persuader que c’est utile !

Et non, faire poiler son interlocuteur n’est pas la cerise sur le gâteau d’une conversation. Il s’agit d’un outil utile qui apporte plus qu’on ne le pense…  » C’est en réalité le couteau suisse de la communication, illustre Philippe Marion, professeur en communication à l’UCL. Tout d’abord, c’est un lubrifiant social, un raccourci relationnel, dans le sens où il va permettre des contacts sans longs préliminaires. Par ailleurs, il permet de se distancer par rapport à quelque chose de difficile ou douloureux, de se l’approprier. Enfin, le rire aide à retenir les choses, à les fixer en nous, à les rendre plus compréhensibles.  » Pour entamer ses formations, Jeannine Gillessen demande aux participants de définir ce qu’est l’humour, afin qu’ils se convainquent du bien-fondé de la session.  » Ce n’est pas juste de la grosse rigolade ou de l’ironie, insiste-t-elle. L’idée est de l’utiliser pour prendre du recul et créer un lien ; le but est de rire avec, plutôt que de rire de quelqu’un.  » A cela s’ajoute encore une fonction : faire marrer les gens permet bien souvent de les convaincre. L’expert néo-louvaniste prend l’exemple de Nicolas Canteloup qui – malgré un dérapage début 2017 sur Europe 1 où il s’est vu taxé d’homophobie – fait le buzz chaque soir sur TF1 juste après le journal télévisé avec son émission décalée C’est Canteloup.  » Les Français finissent par dire : « Et si c’est lui qui avait raison… », observe Philippe Marion. Dans notre société où l’on met en doute les propos des journalistes, le public accorde plus facilement sa confiance à ceux qui font rire, et dans tous les médias, on se doit d’avoir un comique qui apporte un regard différent sur les news. Le risque, c’est qu’on élude finalement l’actu, qu’on rigole sans même avoir posé les faits. On a tendance à trop vite glisser dans le LOL, c’est culturel, et parfois dangereux.  » Jeannine Gillessen confirme que cette arme de séduction massive peut aussi se retourner contre celui qui l’utilise :  » L’humour peut être réducteur et cassant si on n’a pas suffisamment pris en compte le contexte et la personne à qui on a affaire. Une sincère intention peut parfois être perçue comme une moquerie. C’est par l’expérimentation, le débriefing et le dialogue que les personnes vont se rendre compte de la manière dont les choses ont été comprises.  »

OBSERVER LE QUOTIDIEN

Laurence Bibot
Laurence Bibot© GUILLAUME KAYACAN
 » Etre drôle, c’est poser un certain regard sur la vie… Et on apprend cela de façon instinctive, en voyant ce que renvoient les autres lorsqu’on leur raconte quelque chose. Ils sont notre meilleur miroir. Ensuite, on peut travailler ce potentiel. Personnellement, j’ai constaté assez jeune que je parvenais à amuser mes copains d’école. Je savais, en terminant mes humanités, que je ne ferais pas d’études supérieures, que j’avais envie de jouer, et j’ai affiné mes prédispositions avec l’impro. Aujourd’hui, ce qui m’inspire, c’est la condition humaine. Je suis fan du quotidien. J’aime regarder les gens et voir quand ça dérape. Mes sujets ne sont pas hautement intellectuels, je n’ai pas besoin de plonger dans l’actu dure, d’ailleurs je suis incapable de me marrer avec certains thèmes comme la pédophilie ou la violence. Pour moi, l’humour est avant tout une affaire de partage avec d’autres ; c’est jubilatoire de rire à plusieurs. Par contre, je ne pense pas que ce soit un vecteur de communication. D’ailleurs, au quotidien, je suis plutôt réservée et pas extrêmement communicante. Et il existe des gens très drôles et complètement autistes ! « 

Laurence Bibot jouera, ce 23 septembre, pour l’ASBL Peluche, qui accompagne les enfants placés (www.peluche.org), et au Kings of Comedy Club, à Bruxelles, en octobre prochain (www.kocc.be).

Oser se prendre des bides

L’humour n’est dès lors pas si anodin et il doit être utilisé avec tact… Mais l’apprentissage nécessite un préalable : il faut accepter de se planter !  » Au début, j’avais très peur du bide, avoue notre chroniqueuse Florence Mendez (lire par ailleurs). La première fois que cela m’est arrivé, j’étais mal et j’en ai discuté avec des confrères… Je me suis rendu compte que faire de l’humour et se prendre des bides, c’est comme faire de l’équitation et faire des chutes, c’est inévitable. Il faut apprendre de ses erreurs, même si sur le moment c’est blessant.  » Et à Guillermo Guiz de le confirmer :  » Au départ, la carrière en est jalonnée mais peu à peu, on sait mieux ce qui fera mouche, même si ça reste toujours une loterie. Pour moi, ça signifie juste qu’il faut se remettre au travail !  »

Faire rire, c’est donc avant tout accepter de s’exposer au regard des autres, ce que souligne la coach du CFIP :  » L’idée est d’aller chercher sa propre vulnérabilité et l’utiliser, sans pour autant tout dévoiler et se laisser toucher. Il faut puiser dans l’innocence et la sensibilité qu’on a en soi et pouvoir en sourire et l’exprimer.  » Retrouver son âme d’enfant, en d’autres mots.

SE DÉFENDRE OU ATTAQUER

Pierre Kroll
Pierre Kroll© ALEX DOSSOGNE
 » J’étais un enfant sensible et susceptible et j’avais deux soeurs qui me charriaient beaucoup. Avec elles, j’ai vite compris que l’humour était une manière de se sortir des situations désagréables, de se défendre et même de contre-attaquer. Je suis également convaincu que cela favorise la communication. Je conseille parfois des amis qui doivent présenter des colloques, sur l’intérêt de souligner les éléments importants d’un discours par un trait d’esprit… Il est sûr alors que le public retiendra ce passage. Personnellement, je peux être violent à travers mes dessins mais il y a toujours un sens, et au fond, je ne veux jamais humilier. C’est là ma limite… Depuis peu, je monte également sur scène. C’est intéressant d’être confronté au public, de le voir réagir. Mais franchement, je ne compte pas changer de métier ! C’est un bonheur de voir les gens rire avec moi, mais quand on se marre d’un de mes dessins, c’est différent, c’est comme si on applaudissait un de mes enfants à la remise des prix de fin d’année. « 

Pierre Kroll sort en octobre prochain son recueil de dessins d’actu de fin d’année, ainsi qu’un livre dédié à la France. Il sera également sur scène dès la rentrée (dates sur www.kroll.be).

Affiner son intuition comique

Une fois convaincu de vouloir apprendre à faire le pitre, reste à se mettre au boulot ! Françoise Akis a réalisé plusieurs one-woman-show avant de s’orienter vers l’enseignement de son art.  » Certes il y a des personnes qui ont un véritable don, mais elles sont rares ; pour la plupart, c’est avant tout une histoire de persévérance ! « , dit-elle. Aujourd’hui, elle donne des cours d’impro et d’humour à Saint-Gilles (1). Son objectif : rechercher  » la singularité comique  » de chacun des participants, pas forcément pour en faire des bêtes de scène mais avant tout pour qu’ils se sentent plus à l’aise avec le genre, sur les planches ou dans leur vie en général. Et d’expliquer :  » Il ne faut pas copier bêtement ce que font les pros mais trouver quelque chose qui nous va en bouche.  » Il existe en effet plusieurs styles parmi les humoristes comme le relève Philippe Marion : ceux qui jouent avec les mots, à l’instar de Bruno Coppens ou Raymond Devos ; ceux qui sont de grands raconteurs et ont l’art de maintenir le suspense tels que Coluche ou Fernand Raynaud ; et enfin d’autres qui pratiquent davantage le mime façon Frères Taloche… L’important est donc de connaître sa force (et ses faiblesses).

Françoise Akis incite également ses élèves à s’inspirer de leur vie, pour ensuite construire un récit amusant qui s’en éloigne.  » Le plus difficile, c’est de se détacher de la réalité, raconte-t-elle. Il faut oser l’agrandir, la distordre. Le but est de changer le regard. Souvent, je leur dis : « Essayez de ne pas être vous, sinon, vous allez vous limiter ! Libérez-vous, coupez la caméra qui est en vous. »  »

UNE VERTU THÉRAPEUTIQUE

Florence Mendez
Florence Mendez© LETIZIA CAMBONI
 » J’utilise tout le temps l’humour, que ce soit avec des proches, un huissier de justice, en rue, chez le médecin… C’est insupportable, je pense que mes amis n’en peuvent plus ! Cependant, je n’avais jamais imaginé que je puisse en faire un métier jusqu’à ce que Dan Gagnon me contacte pour remplacer l’un de ses auteurs du Late Show (NDLR :une émission de la RTBF de 2014 à 2016)… De fil en aiguille, je suis arrivée sur scène et en radio. Sans Dan, je pense que je serais encore prof de néerlandais ! Pour être drôle, il faut certes une affinité de départ… Mais ensuite, ça se travaille, et plus on écrit, plus ça devient facile. Pour mon spectacle, je m’inspire des choses un peu dingues qui peuvent m’arriver, ça permet de se débarrasser d’une certaine honte aussi. Dans ce cas, l’humour a une vertu thérapeutique… mais il peut également miner. J’ai fait une chronique sur les migrants dans la jungle de Calais et en la rédigeant, je me suis dit que c’était atroce. On sert parfois de levier pour dire aux gens : « C’est horrible ce qu’il se passe ». « 

Outre sa présence sur les ondes de la RTBF, Florence Mendez vous propose désormais une rubrique, chaque semaine, dans nos pages.

Améliorer sa technique

Vient seulement alors l’étape technique qui consiste à trouver des trucs et astuces, à peaufiner son genre, à devenir expert ès blagues… Et pour cela, tout comme l’apprentissage d’une langue étrangère est facilité en écoutant la radio, il est conseillé d’observer les champions de la discipline pour tenter de déceler leur botte secrète.  » Tout a déjà été fait, relève Florence Mendez. On peut donc écouter des comiques ou regarder des séries où les personnages sont réputés pour leurs réparties cinglantes et essayer de trouver des mécanismes intéressants derrière ces dialogues, afin d’ensuite les réutiliser.  »

Reste à trouver le  » kairos « , l’instant T en grec, selon Philippe Marion :  » Il faut une certaine finesse relationnelle qui permet de savoir quand c’est le bon moment pour faire une blague, celui où elle fera un flop ou vous transformera en roi de la soirée. Et ça c’est difficile à apprendre, cela relève de l’intelligence contextuelle et c’est avant tout lié à l’éducation.  »

Enfin, la gestuelle et la posture nécessiteront aussi une analyse.  » C’est dans le non-verbal que l’interlocuteur en face va comprendre, au-delà des mots, si c’est ou non de la moquerie « , avertit Jeannine Gillessen. Pour Françoise Akis, cet apprentissage ne peut toutefois être que bénéfique :  » Cette réflexion sur le corps et la voix peut être mise en pratique dans la vie de tous les jours. Une copine m’a dit que mon boulot était de rendre les gens beaux… Et je crois qu’il y a quelque chose de cela. Même si cela n’a rien à voir avec l’esthétique.  » Joli challenge !

(1)Les cours se tiennent le lundi de 20 h 30 à 22 heures au 75, rue Saint-Bernard, à 1060 Bruxelles. www.cours-de-theatre.com

UN PASSEPORT SOCIAL

Être drôle, ça s'apprend ?
© PHILIPPE MAZZONI / OLYMPIA PRODUCTION
 » Je pense que l’éducation fait beaucoup, si on a des parents qui inculquent une manière de regarder les choses avec un peu de recul par exemple. Mon père faisait des blagues et cela a suscité chez moi, assez naturellement, un sens de l’humour dont je me suis toujours servi pour appréhender le monde mais aussi comme un passeport social. Je suis plutôt timide et lorsque je vois que je parviens à être drôle dans un groupe, je me sens mieux… Mais je ne dirais pas que je suis boute-en-train, il m’arrive d’être le gars qui reste dans un coin à écouter les autres. Côté pro, j’avais fait des chroniques dans Focus/Vif qui avaient reçu de bons retours ; je voyais aussi les réactions par rapport à mes statuts Facebook… Quand il a été question de me réinventer professionnellement, je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Après, on perfectionne sa technique sur le tas, en voyant ce qui marche ou pas et on découvre les ficelles du métier, même si ce terme est un peu péjoratif. On va par exemple constater qu’en rajoutant un silence après telle blague, le public rigole plus. On améliore son rythme, on écrit plus vite… « 

Guillermo Guiz sera les 13 et 14 septembre au Centre Culturel d’Uccle. www.ccu.be

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