Femmes et chauves: vivre la tête haute (témoignages)
Une chevelure abondante symbolise dans l’imaginaire collectif la bonne santé, la séduction et la féminité. A l’inverse, les femmes chauves ou rasées suscitent la curiosité, le malaise, voire la peur. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à assumer le regard des autres et s’affirmer. Rencontres.
Vanessa Chintinne (39 ans): ‘Il ne faut laisser personne vous marcher sur les pieds’
Elle avait 13 ans et encore toute son innocence de pré-adolescente. Vanessa, aujourd’hui 39 ans, se remémore avec douleur combien elle a souffert du regard des autres, à cet âge-là, à cause de sa maladie. Une maladie qui lui fait perdre tous ses cheveux, à une étape de la vie, où on se cherche sans parvenir à se trouver. « Pour cacher mon crâne chauve, je portais bien sûr une perruque. Alors que j’étais dans les autos-tamponneuses de la ducasse de mon village, des jeunes se sont mis à me tamponner avec force. A cause du choc, ma perruque est tombée devant tout le monde. Instantanément, tous les parents et leurs enfants qui étaient présents se sont mis à rire. Je l’ai ramassée et je me suis enfuie sans me retourner. » Elle rentre chez elle en pleurs et s’effondre devant sa maman, désemparée, qui se met elle aussi à pleurer à chaudes larmes. « Après ça, je ne suis plus jamais allée aux kermesses de mon village. »
Vanessa résume son enfance en deux mots : un enfer. « Dans le bus qui m’amenait à l’école, des jeunes venaient derrière moi et arrachaient ma perruque. Ils se la lançaient et en rigolaient. Je leur criais de me la rendre, c’était horrible. A un moment, je ne voulais plus aller à l’école, je pleurais tout le temps. Mais un jour, le chauffeur du bus a fait sortir tous ces jeunes en hurlant que c’était honteux de me faire ça. »
« Il m’a dit être tombé amoureux de moi quand, pour la première fois, j’ai enlevé ma perruque devant lui.
La jeune fille a un jour un déclic. Elle décide d’accepter cette maladie génétique qui a commencé à la ronger de l’intérieur alors qu’elle n’avait que 6 ans. Peu à peu, les moqueries se raréfient, elle se fait des amies qui prennent même sa défense. Devenue adulte, elle rencontrera celui qui va devenir son époux, le père de ses deux enfants et celui qui lui redonnera définitivement confiance. « Il m’a dit être tombé amoureux de moi quand, pour la première fois, j’ai enlevé ma perruque devant lui. Il m’a répété que j’avais un beau visage et que ça m’allait à merveille. »
Après une période où elle a laissé son crâne à nu, Vanessa remet aujourd’hui une perruque. Cela changera peut-être dans quelques années, mais pour l’instant, elle ressent le besoin de protéger ses deux jeunes enfants du regard des autres. Si elle a un conseil à donner à celles qui vivent la même chose, c’est de faire de leur différence une force en se créant un look à elles: « Vous avez cette maladie, mais vous êtes jolies, vous pouvez avoir une vie et des amis. C’est très dur, mais ça finira par passer. Il ne faut laisser personne vous marcher sur les pieds. »
Catia Pompilii (46 ans): ‘Ma fille m’a dit que j’étais belle comme ça’
C’était le 31 août dernier. Catia, 46 ans, est entourée de sa fille Celina, de deux amies proches et de sa cousine. Elle prend une grande respiration avant de donner le feu vert à sa coiffeuse. Celle-ci se saisit alors de la tondeuse et en quelques instants, des mèches de cheveux châtains s’amassent sur le sol. A mesure que le crâne de Catia se dégarnit, des larmes, à la fois de joie et de tristesse, coulent de ses yeux. « C’est un jour que je n’oublierai jamais, raconte Catia Pompilii, des sanglots dans la voix. Une semaine avant, je commençais ma première chimiothérapie. Dès que l’oncologue m’a expliqué que j’allais perdre mes cheveux au bout de trois semaines, je savais que j’allais me raser la tête. Pour moi et pour ma fille. » Quand Catia apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein en mars 2021, son adolescente de 16 ans est sous le choc. « Elle me disait qu’elle n’allait pas supporter de me voir perdre mes cheveux. »
Se réapproprier son corps, ne plus subir la maladie et dédramatiser, c’est ce que Catia veut faire. « On a fait un shooting photo ce jour-là. C’est moi qui décide, pas le cancer. Sur un des clichés, je lui fais un « fuck ». C’était important pour moi d’immortaliser l’instant. J’ai un message à faire passer: il est possible de s’assumer sans devoir se cacher avec des bonnets ou des perruques. »
Conseillère communale à Dour, Catia décide de se montrer sans fard ni artifice. « J’avais un conseil le soir même et j’y suis allée le crâne rasé. Le fait que ma fille surmonte ça et me dise que j’étais belle comme ça m’a donné du courage. Pour moi, le reste ne comptait plus. De toute façon, le regard des gens, avec ou sans cheveux, on doit y faire face. Quand je suis sortie de chez la coiffeuse, je n’osais pas me regarder dans le reflet des vitres. Il a fallu que je m’approprie mon nouveau visage. Et à l’avenir, quoi qu’il arrive, je garderai les cheveux courts. Parce que je ne suis plus la même femme. Je me suis promis de ressortir grandie de cette expérience. »
Lama Rinchen Palmo (72 ans): ‘Ça a été une renaissance’
Quand elle se fait raser la tête pour la première fois, Lama Rinchen Palmo a 40 ans. On est en 1989 et elle entre en retraite complète, en Ecosse. « J’ai eu une vie de nonne retraitante. Dans le bouddhisme tibétain, il y a les laïques, les novices, les nonnes et les moines, et enfin les yogis et les yoginis. Pendant de nombreuses années, j’ai été considérée comme une yogini car je n’avais pas tout l’apparat des nonnes, mais j’avais les mêmes voeux. »
Et parmi les voeux de nonne, il y a le fait de se faire raser la tête. « Historiquement, il s’agit d’un des premiers gestes que le Bouddha a posé quand il a entrepris son cheminement vers l’Eveil. Il a quitté son palais alors qu’il était destiné à devenir le roi de son clan. Mais il a renoncé à cette vie-là et, s’arrêtant devant un sanctuaire, il s’est coupé les cheveux. Cela peut paraître austère, mais à l’origine, un voeu est une manière d’éviter de perdre le fil de ses valeurs. Car après tout, nous sommes humains et imparfaits, même quand on est nonne! », laisse échapper Lama Rinchen Palmo, dans un rire sonore.
Quand elle évoque le jour où ses cheveux ont été rasés, elle affiche un sourire serein de contentement. « Ça a été une renaissance, une libération. Mais il est vrai que j’avais de longs et jolis cheveux bouclés. » C’est son maître en personne qui lui a rasé la tête. « Il a été très gentil et a fait cela avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Je l’ai vécu comme une bénédiction. Et puis, c’était un choix conscient, personne ne m’a rien imposé. Dans le bouddhisme, cela revient à dire que l’on renonce à une vie mondaine qui n’a plus de sens, et que l’on ne fait plus de son apparence une priorité. Lorsque je travaillais à la Sorbonne, il fallait que je fasse attention à ma coiffure, à mon maquillage, à mes vêtements. C’est un soulagement de ne plus avoir à se soucier du regard de l’autre. J’étais heureuse de changer de cap, j’avais l’impression d’être un nouveau-né. »
Maëlle Kaddah, 25 ans: « Nos cheveux ne devraient pas définir qui nous sommes. »
Maëlle Kaddah a 25 ans et vit à Colmar, en Alsace. Entrepreneure et naturopathe, elle a toujours aimé changer de coupe de cheveux. C’est donc d’abord pour cette raison qu’elle a décidé de se raser la tête pour la première fois, en 2017. « Je suis tombée sur une chaîne YouTube d’une Américaine qui l’avait fait et qui racontait comment les gens la regardaient, ce que cela lui apportait. J’ai eu envie de faire la même chose et de raconter ça en ligne. »
Et c’est avec son compagnon qu’elle saute le pas. « Il m’a rasée la tête et j’ai fait pareil pour lui. Je trouve que cela procure une énorme sensation de liberté et on se rend enfin compte de la forme de son crâne. »
A la liberté s’ajoutent le sentiment de puissance et la confiance en soi, estime Maëlle.
« Nos cheveux ne devraient pas définir qui nous sommes. Aujourd’hui, j’ai plus confiance en moi car je sais que je peux me libérer des injonctions de la société. »
Quant à la réaction de son entourage, la jeune femme s’en amuse. « C’était drôle de voir la réaction de mes proches car ils ne s’y attendaient pas. Certains se sont sentis obligés de justifier leur réaction. »
A mesure que le temps passe, Maëlle se rend compte que se raser la tête, pour une femme, est tout sauf un geste banal. Sous certains aspects, il est même politique. « Tout le monde me demande pourquoi. Si je dis que c’est pour donner mes cheveux à une association, c’est plus acceptable que de dire que c’est par pure envie. Mais ce n’est pas parce qu’on est « bizarre » ou qu’il y a un problème. Il faut déconstruire cette image de la femme et montrer qu’on a changé d’époque. »
Les personnes âgées qui ont vécu l’après-guerre ne comprennent pas toujours le choix de Maëlle. Dans certaines mémoires, le souvenir des femmes tondues, punies et humiliées est encore vif. S’assumer sur les réseaux sociaux a permis à Maëlle de se rendre compte qu’il y avait en réalité beaucoup de femmes qui partageaient sa vision des choses. « Des gens m’ont écrit pour me dire que je leur donnais la motivation de franchir le pas, j’ai vraiment été très étonnée de découvrir ça. Aujourd’hui, je ne me rase pas uniquement pour moi : je le fais aussi pour toutes celles qui en ont envie mais qui n’osent pas encore. »
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