Hypnose: communiquer avec les défunts pour « ressusciter les vivants »

© PASCAL DEKONINCK

Le deuil est un processus semblable à celui de la cicatrisation d’une blessure. Cela prend du temps. Comment donc réparer les vivants dans une société trop pressée qui invisibilise la mort? En créant un espace dans lequel le défunt est invité à venir. Grâce à l’hypnose.

Comme il est délicat de parler de la mort. Le tabou est partout, malgré la longue litanie chiffrée que l’on nous a servie ad nauseam ces derniers mois. Et son escamotage de notre quotidien et de nos espaces par notre société ultrapressée n’aide en rien. Comment dès lors réparer les vivants quand ils souffrent de la perte d’un être cher? Comment les accompagner dans un processus de deuil intimement singulier? « Comme l’empreinte digitale, le travail de deuil comporte des caractéristiques universelles, mais il est unique à chacun », prévient Evelyne Josse, chargée de cours à l’Université de Lorraine, psychologue, psychothérapeute et cofondatrice de l’Ecole belge d’hypnose et de thérapies brèves. Et elle le compare à une marée montante, avec progression lente ou rapide, faite d’avancées et de reculs successifs. Parfois, plus douloureux que nature, il se complique. Pour débloquer les processus de deuil bloqués, elle pratique une thérapie par hypnose. « Re-susciter les défunts pour ressusciter les vivants », dit-elle. Rencontre.

Depuis le XXe siècle, la mort et le deuil sont escamotés de la vie quotidienne et de l’espace public. Cette invisibilisation n’a-t-elle pas des effets pervers pour les endeuillés?

On ne peut nier qu’elle a des répercussions sur le processus de deuil. Notamment parce que les endeuillés sont nettement moins entourés socialement qu’ils ne l’étaient auparavant, même en période hors Covid – ils ont donc moins d’occasions d’être régulés émotionnellement par leur entourage – et parce qu’on leur demande d’être rapidement performants. Dans notre société individualiste, portée sur le profit et le rendement, les endeuillés sont acculés à « aller bien » rapidement sans que ne soit prise en compte la temporalité du processus de deuil. Une de mes patientes, dont la fille de 8 ans s’est tuée accidentellement en tombant de cheval, me disait que ses collègues s’étaient plaintes auprès de leur patron parce qu’elle n’était plus aussi performante professionnellement qu’elle ne l’était avant le deuil survenu seulement un mois auparavant! Il n’est pas rare que les endeuillés soient poussés par leur entourage à prendre des antidépresseurs quand ils ne vont pas bien quelques semaines, tout au plus quelques mois, après le décès. Il y a, en effet, peu de place pour les grands deuils dans notre société…

‘Il n’est pas rare que les endeuillés soient poussés par leur entourage à prendre des antidépresseurs quand ils ne vont pas bien quelques semaines après le décès .’

L’injonction « faire son travail de deuil » n’est-elle pas violente? Et ne camoufle-t-elle pas le fait que ce n’est pas un travail mais un processus non linéaire?

C’est vrai qu’après quelques mois, les endeuillés s’entendent souvent dire qu’il leur faut tourner la page, passer à autre chose, penser à ceux qui restent et vivre pour eux, qu’il est temps qu’ils se ressaisissent… mais la temporalité de ceux qui prônent ce genre de bon conseil n’est absolument pas celle de ceux qui souffrent. Quelqu’un qui n’est pas touché par le décès peut trouver que six mois, c’est une longue période, alors que pour l’endeuillé, même si le décès est survenu six mois plus tôt, c’est parfois comme s’il s’était produit hier. Faire son deuil, c’est sortir du temps figé par le drame du décès, s’extraire de l’atemporalité de la perte, accepter que le temps s’écoule à nouveau, admettre que le passé fut et autoriser que l’avenir soit, c’est accueillir à nouveau le changement dans son existence. Choisir la vie plutôt que la mort psychique nécessite de réapprendre à vivre, pour soi et pour les proches, pour ceux qui restent.

Et quand on n’y arrive pas tout seul, comment faire?

On peut s’adresser à un psychologue… Le recours à des soins de santé mentale de qualité et la poursuite d’un traitement psychologique peut grandement contribuer à la restauration psychique après l’ébranlement provoqué par le décès d’un proche. Le thérapeute a un rôle: aider l’endeuillé à desceller son destin de celui du disparu tout en lui permettant d’élaborer un nouveau lien avec lui. Par exemple, une thérapie par hypnose permet de faire ce que l’on n’a pas pu faire dans la réalité. On peut alors imaginer être aux côtés d’un proche qui se meurt et être présent au moment de son dernier souffle, on peut lui exprimer son amour ou sa tendresse, on peut le serrer dans les bras et l’embrasser, on peut lui dire ce qu’on n’a jamais osé lui dire… Je dis à mes patients: « Il y a une partie très saine de vous qui aurait voulu être présente et les circonstances l’en ont empêchée. Qu’à cela ne tienne! Vous allez le faire en hypnose! Une partie de vous saura que vous ne l’aurez pas fait dans la réalité, mais une autre l’ignorera. Si je vous demande d’imaginer que vous avez un morceau de citron en bouche, vous allez saliver. Une partie de vous sait qu’il n’y a pas de citron, mais une autre réagit comme s’il y en avait un. » Bien sûr, expliqué comme cela, on peut douter de l’efficacité d’un tel procédé. Pour comprendre pourquoi il est thérapeutique, je dois vous dire quelques mots des recherches menées par les neuroscientifiques. Les chercheurs en neurosciences cognitives ont constaté que les souvenirs sont susceptibles d’être modifiés lorsqu’ils sont rappelés et qu’il est notamment possible d’atténuer les émotions qui leur sont attachées. Cette découverte nous permet de comprendre pourquoi ces scénarios imaginaires sont réparateurs. En les vivant en hypnose, l’endeuillé se décharge des émotions négatives. Le souvenir est ensuite remis dans la mémoire à long terme, mais sans les émotions négatives initiales. Cette technique est très utile pour soulager la souffrance psychologique générée par un souvenir porteur d’une émotion négative intense, tel que les deuils et les traumatismes psychiques.

Hypnose: communiquer avec les défunts pour
© UNSPLASH / MAJID RANGRAZ

Vous pratiquez ainsi « la communication induite avec les défunts en hypnose ». De quoi s’agit-il?

Avant de répondre, je voudrais rappeler que l’impression qu’éprouvent de nombreux endeuillés d’avoir un contact spontané avec leur défunt est une expérience commune. On parle aujourd’hui de VSCD, vécu subjectif de contact avec un défunt. Ce phénomène est universel, indépendant de la culture, de la religion, du sexe, de l’âge et de l’éducation. Selon les études, entre 25 et 42% des Américains pensent avoir été contactés par un proche décédé. Ce pourcentage atteint entre 50 et 67% pour les personnes veuves et grimpe à 75% pour les parents d’enfants décédés. Les endeuillés, totalement critiques quant à la réalité de la perception expérimentée, savent que ce type de témoignage soulève souvent l’incrédulité dans notre société rationnelle, scientifique et matérialiste. Ils ne s’en ouvrent donc pas à n’importe qui. Ceci pour vous dire que ce que j’induis en hypnose est en fait une expérience que de nombreux endeuillés expérimentent spontanément.

Comment se déroule une séance?

La communication induite avec les morts consiste à établir un contact entre endeuillé et défunt en hypnose. Grâce à l’hypnose, je crée un contexte propice à cette rencontre. Ce type de séance débute par une induction, une technique dont le but est d’aider la personne à entrer dans un état de focalisation intérieure et de créer un état d’ouverture. A la manière d’un arbre qui plante ses racines dans les entrailles de la terre, j’aide le patient à s’enraciner dans le monde physique, puis à créer un espace dans lequel le défunt est invité à venir. Mon rôle consiste ensuite tout simplement à soutenir le processus qui se produit.

Et quels en sont les effets?

Souvent étonnants, quand un contact se produit. Certains patients témoignent de l’apaisement qu’ils éprouvent par rapport au défunt: un papa dont les deux enfants ont été assassinés était soulagé de les voir heureux, comme ils l’étaient de leur vivant. Les endeuillés se disent également souvent rassurés par rapport au fait que le défunt reste présent. Une maman dont la fille s’est suicidée m’a dit: « Je ne m’occupe plus de moi, mais maintenant, je sais qu’elle est là et elle, elle s’occupe de moi, elle veille sur moi. » D’autres voient leur chagrin, leur culpabilité ou leur colère s’atténuer, voire souvent complètement disparaître. Ainsi une dame, dont la fille était décédée de maladie 32 ans auparavant, m’a confié: « Pendant 32 ans, j’ai vécu une descente aux enfers. Ma fille était perdue, elle n’était nulle part. Et pendant cette séance, je l’ai retrouvée, elle était là, et maintenant elle est là. Quand je pense à elle aujourd’hui, c’est une joie en moi. » Une jeune femme a pu s’autoriser à lâcher le ressentiment qu’elle éprouvait contre son père après qu’il lui ait demandé pardon pour les abus sexuels dont il s’était rendu coupable de son vivant. Lorsque le décès intervient dans des conditions dramatiques, la séance a pour effet de faire disparaître les souvenirs traumatiques du défunt. Par exemple, un père dont le fils s’était suicidé par balle a cessé d’être perturbé par la vision horrifiante de la tête explosée de son enfant pour ne garder de lui que l’image souriante qui lui était apparue en séance. Pour d’autres, la rencontre permet de les raccrocher à la vie et de les réorienter vers le présent et le futur. Une mère qui pensait au suicide s’est sentie plus forte lorsque son fils décédé à la naissance lui a demandé de garder espoir et l’a exhortée à avoir d’autres enfants. Une autre a renoncé à mettre fin à ses jours lorsque sa fille lui a dit qu’elle ne la rejoindrait pas si elle se suicidait. Si je dois résumer, je dirais que ces séances débloquent les processus de deuils bloqués. Elles permettent fréquemment de clore le processus et de parvenir, parfois en quelques minutes, à la guérison émotionnelle totale. Dans le cas de deuils récents, elles n’effacent généralement pas complètement le chagrin. La douleur la plus aiguë s’estompe, mais le chagrin et le manque peuvent persister.

‘Selon les études, entre 25 et 42% des Américains pensent avoir été contactés par un proche décédé.’

S’agit-il d’une réelle communication avec l’esprit du mort ou est-ce une simple représentation du défunt, activée par l’imagination?

Je ne sais pas. Et finalement, peu importe. Chacun a ses convictions. Ce que je peux vous dire, c’est que ces contacts induits avec les défunts sont vécus par les patients comme des expériences réelles et inoubliables. Une patiente me l’a raconté en ces termes: « Ah, j’ai vécu quelque chose de réel! C’était mental, mon esprit s’est décuplé, mais c’était physique aussi! Je suis venue avec ce problème de plexus solaire, j’avais mal dans la poitrine quand on parlait de ça. Et puis, la présence de ma fille… C’était l’apothéose! Il faut le vivre pour comprendre. » Ou cet autre témoignage: « C’est vraiment extraordinaire. Je les ai vus comme je vous vois, vraiment à une distance très courte. Ça a l’air tellement vrai que j’ai parfois du mal à réaliser. On se demande: C’est un rêve? C’est le subconscient qui travaille? Mais je les ai serrés dans mes bras… » » Bien entendu, de nombreuses personnes ne croient pas à la survivance après la mort de quelque chose qu’on pourrait nommer l’esprit ou l’âme. J’ai moi-même été réfractaire à cette idée durant de très nombreuses années. C’est l’accumulation d’expériences particulières qui m’a fait revoir ma copie. Quand j’étais jeune, je savais tout. Je suis beaucoup plus humble aujourd’hui! Je suis donc bien placée pour comprendre l’attitude sceptique de certaines personnes par rapport à ce genre de conception. Le scepticisme est sain mais il ne doit pas entraver la découverte d’une thérapie efficace.

Les défunts in fine sont de véritables alliés thérapeutiques…

Oui, dans les séances de rencontre en hypnose, les défunts sont de véritables alliés thérapeutiques parce qu’ils aident les endeuillés mieux que ne pourrait le faire n’importe quel thérapeute.

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