« Il faut se frotter aux gens joyeux »: Rencontre avec Perla Servan-Schreiber, fondatrice de Psychologies magazine et autrice
Pour ses 77 ans, celle qui lança le magazine Psychologie avec son mari, Jean-Louis Servan-Schreiber, nous livre ses Secrets de vie dans un ouvrage qui se picore et donne une nouvelle saveur à nos quêtes. Dans la lignée de son existence qui « passe de la vinaigrette au chagrin et à la joie », elle transmet à la fois l’astuce qui fera croustiller la peau du poulet et ses conseils pour affronter la grande ambition d’être soi.
Ecrire et manger sont par définition des lieux de transmission. Et ce sont les deux choses que je sais faire ou que, du moins, j’aime faire. Mais il y a une évolution que je ressens grâce à mes petits-enfants, qui ont entre 30 et 13 ans. Le fait que je n’ai pas eu d’enfants moi-même, par choix personnel, fait que je découvre cette transmission dans les deux sens avec eux. Ils m’aident, eux aussi, en quelques clics de leur pouce… alors que moi j’utilise encore mon index sur le smartphone – ce qui est d’ailleurs le meilleur moyen d’être datée de la vieille génération.
Les jeunes sont devenus tellement pressés, y compris dans la rencontre amoureuse, ou le manque de rencontres qu’ils expriment. J’ai la naïveté de croire que je peux peut-être leur faire gagner du temps car j’ai le sentiment d’avoir compris quelques petites choses qui, lorsqu’on les applique au quotidien, nous dispensent de la mauvaise humeur et nous évitent des conflits inutiles. Des choses qui nous permettent de vivre mieux, plus agréablement, plus légèrement.
Associer le mot travail au mot amour choque totalement. Mais pour moi, l’amour est un travail. Ça veut dire que ça se pense chaque matin, que ça se construit chaque journée, que ça se tisse et ça se conclut à la fin d’une journée… Et on recommence le lendemain, de manière assez neuve. Ma relation avec Jean-Louis ( NDLR: son mari Jean-Louis Servan-Schreiber, journaliste, patron de presse et essayiste, décédé il y a tout juste un an), sa rapidité, sa puissance, sa durée, sa constance, toute cette qualité relationnelle qui est dans l’humour et l’amour, c’est grâce au fait que je l’ai rencontré à 43 ans. Et qu’il en avait lui-même 49.
Il y a cette loi qui pousse à continuer à vivre. Et ce, même si la vie devient à la fois la même et à la fois tellement différente. Suite au décès de Jean-Louis, il y a cette absence-présence qui est très particulière et que je n’ai jamais imaginée avant d’avoir à la vivre. Mais maintenant qu’elle est là, il me reste à apprendre à l’envisager le moins mal possible. Et si je parle peu du deuil dans mon livre, c’est parce que la souffrance est de l’ordre de l’intime. La tristesse se manifeste avec pudeur, de peur de peser sur les autres. Alors qu’avec la joie, il y a une urgence à éclabousser les autres. Je l’ai écrit et je le ressens: la joie est contagieuse, il faut se frotter aux gens qui sont joyeux.
‘La joie est contagieuse, il faut se frotter aux gens qui sont joyeux.’
La longévité a changé mais je crois qu’il faudra encore une génération pour qu’on arrête d’appeler les vieux les seniors. Et là on aura gagné. A l’âge de 75 ans, j’ai repensé à ma mère et ma grand-mère à 75 ans. Ma grand-mère, je l’ai toujours connue comme une très vieille dame, même quand elle avait moins de 40 ans. Moi, je m’habille comme ma petite-fille sans avoir l’air ridicule. Je travaille, je suis sur Instagram, je peux marcher 12 à 15 km par jour sans être sportive…
Il y a un imaginaire de la vieillesse qui met du temps à évoluer. Et cela s’explique, selon moi, par le fait que l’imaginaire fonctionne à un rythme extrêmement lent, tandis que les faits, eux, bousculent totalement la réalité. Je suis née en 1943, j’appartiens à cette génération des baby-boomers qui a eu la chance de découvrir la pilule, de commencer à travailler, à gagner sa vie… Je ne saurai jamais dire assez merci à mon destin de m’avoir fait naître à ce moment-là et d’avoir pu découvrir, bénéficier de ces outils de liberté. Il n’y a pas dans l’histoire de l’humanité une seule et même génération qui a vécu autant de bouleversements, valables pour chacun et chacune, mais qui sont aussi des changements de civilisation.
Nous sommes des animaux. Je crois profondément que nous, humains, sauf pathologie, nous savons ce qui nous fait du bien et nous savons le reproduire une fois qu’on a attrapé cette sensation. Plus j’avance en âge et plus je crois que ressentir est plus important que comprendre. Une fois que l’on a ressenti quelque chose, ça reste à vie. Et les mots peuvent aider. Je crois en la force de la lecture ; on se reconnaît dans certaines paroles à un moment de sa vie. On ne sait pas forcément pourquoi mais, à ce moment-là, on s’approprie cette parole, et on la transmet.
Mes 77 secrets de vie, par Perla Servan-Schreiber, éditions de La Martinière.
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