La psychanalyse, discipline de plus en plus tournée vers le grand public

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En France, longtemps pays chéri de la psychanalyse, deux médias remettent au goût du jour cette discipline toujours controversée dans une version interactive.

Certes, les psychanalystes n’ont plus en France l’omniprésence intellectuelle et médiatique qu’ils avaient acquis dans les années 1960 ou 1970, quand de grandes figures comme Jacques Lacan ou François Dolto renouvelaient les thèses héritées de Sigmund Freud.

Mais leur place est toujours conséquente. En témoigne, dans la foulée de l’énorme succès de la série télévisée En Thérapie, sur la chaîne de télévision franco-allemande Arte, l’écho accordé cette rentrée à deux psychanalystes –Claude Halmos et Juan-David Nasio– par deux grands médias, le quotidien Le Monde et la radio France Inter.

« Dans la tête d’un ado« , « la mélancolie » ou « le secret de Dolto » comptent parmi les thèmes abordés par « L’inconscient », nouvelle émission dominicale de France Inter consacrée à la psychanalyse.

L’émission d’une heure est portée par le psychiatre et psychanalyste franco-argentin Juan-David Nasio, 80 ans, ancien élève de Françoise Dolto et de Jacques Lacan.

Son originalité? Le format « podcast interactif » consistant à mettre en ligne, quelques semaines avant leur diffusion, les thématiques des prochaines émissions sous forme de podcasts, pour que les auditeurs réagissent ou questionnent les cas présentés par le médecin. 

« En parlant de sentiments humains » au travers de cas d’anciens patients anonymisés, Juan-David Nasio explique à l’AFP vouloir « inciter l’auditeur à réfléchir et surtout à penser à lui-même ».

Mais les formats dédiés à la psychanalyse dans les médias font aussi grincer des dents. Pour le psychiatre et psychothérapeute Bernard Granger, « on est dans une forme de racolage et surtout de simplification ».

Ce programme « répond à une demande », répliquait récemment sa créatrice, la philosophe Adèle Van Reeth, nouvelle directrice de France Inter, sur son antenne.

Le « succès incroyable » en France de la série En Thérapie« a vraiment montré qu’après le confinement », dans une société en situation de « fragilité difficilement nommable, il y avait une envie et un besoin d’interroger les recoins plus intimes de l’âme », exposait-elle.

Une certaine détresse

« La science n’est pas un critère d’évaluation de la qualité d’un propos quand celui-ci n’est pas à proprement parler scientifique », a argué Adèle Van Reeth, interrogée par la médiatrice de Radio France, rappelant le caractère « transgressif depuis sa naissance » de la psychanalyse.

Côté presse, Le Monde a lancé une chronique bimensuelle, « Le divan du monde« , dans laquelle la psychanalyste Claude Halmos, qui a officié pendant 20 ans sur franceinfo, répond aux questionnements des lecteurs « pour décrypter comment l’état du monde percute nos vies intimes » et « propose des pistes pour mieux vivre ».

« On voulait faire parler une voix à l’écoute, sans dogmatisme et qui surtout n’est pas « solutionniste » », c’est-à-dire « un problème, une solution », déclare à l’AFP Clara Georges, responsable du supplément hebdomadaire « L’Epoque ».

Pour sa première, la chronique a reçu un nombre « très important de réponses » – près de 300 – disant « pour la plupart, de manière extrêmement aiguë, une certaine détresse ».

Difficile de trouver un autre pays où les théories psychanalytiques rencontrent un tel écho, à une exception notable: l’Argentine, qui compte toujours de nombreux psychanalystes.

En France, « il y a eu un très grand moment, entre 1950 et 1980 », résume à l’AFP l’historienne Annick Ohayon. Ces grandes années françaises ont été marquées par un double rôle: la psychanalyse a tenu une place centrale dans la formation des psychiatres et servi aussi de référence au monde intellectuel.

« Une spécificité française, c’est à quel point les intellectuels français, y compris pour la critiquer, ont pris la psychanalyse au sérieux », note Annick Ohayon, citant Jean-Paul Sartre ou Michel Foucault.

La France n’était pourtant pas partie pour devenir un grand pays de psychanalyse. Née à Vienne des travaux de Sigmund Freud, elle s’était d’abord implantée à Berlin, puis dans le monde anglo-saxon.

Or, à la sortie de la Seconde guerre mondiale puis dans les années 1950, son influence a pâli dans ces pays, notamment aux Etats-Unis.  Le centre de gravité s’est déplacé vers la France où la discipline a connu une influence sans égale, avec l’émergence de deux grandes figures qui ont été ses chefs de file: Jacques Lacan et Françoise Dolto.

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