La solitude positive, pour mieux se ressourcer
Certains la redoutent ou la fuient. Pourtant, lorsqu’elle n’est pas synonyme d’isolement, la solitude est une véritable alliée sur le plan psychologique. Elle serait même un formidable outil d’émancipation. Explication.
« Je ne suis jamais moins seul que dans la solitude. » Reste à savoir si Scipion l’Africain, homme d’Etat romain vers 200 avant J.-C., aurait réussi à s’isoler à notre époque.
A l’heure où la communication est presque une seconde nature pour beaucoup d’entre nous, être seul en deviendrait bientôt un concept à part entière, érigeant la quarantaine en situation en voie de disparition. Et pourtant, elle aurait de réelles fonctions. « A condition qu’elle soit voulue, évidemment. Il ne faut pas la confondre avec l’isolement, que vivent notamment beaucoup de personnes âgées et qui est une réelle souffrance (NDLR: plus d’une personne sur trois a peur de la déréliction et une personne sur dix craint qu’on ne s’occupe pas d’elle en cas de besoin (1)), un état de fait subi et destructeur. La solitude, lorsqu’elle est revendiquée, choisie et délibérée, est réellement salutaire », explique Patrick Traube (2), psychologue. L’homme rappelle d’ailleurs qu’elle est un besoin, à l’instar du sommeil ou du silence, autant de dispositions réparatrices nécessaires à la régénération de soi, tant sur le plan mental que physique.
Être seul de temps en temps permet de ne pas perdre le contact avec soi.
Même son de cloche chez Hervé Magnin, psychothérapeute et auteur de La positive solitude (3), qui distingue rejet et abandon de la volonté d’être seul, à certains moments de la journée, voire de son existence.
Il insiste sur l’importance d’aménager des temps où l’on est face à soi-même. « Pour le plaisir, pour prendre soin de sa personne, respecter ses besoins individuels. » Et les experts sont unanimes: utilisée à bon escient, la solitude serait positive à plusieurs niveaux.
Laurence Goraj, psychologue spécialisée dans la prise en charge du burn-out (lire l’encadré ci-dessous), explique à quel point elle est d’ailleurs réparatrice. « Je le constate parmi mes patients en burn-out, mais pas uniquement, c’est le cas chez tout le monde, vous comme moi. S’isoler oblige à se poser les vraies bonnes questions, cela amène à une introspection bienfaisante et constructrice, indispensable pour se reconnecter à soi-même, d’autant plus à une époque où l’hyperconnectivité empêche un lâcher-prise total et impose d’être en lien de façon permanente, même virtuellement. »
Avoir du temps pour soi serait donc nécessaire à un bon équilibre, sur le plan personnel. Ce serait même carrément la clé du bien-être. Hervé Magnin insiste: quand on est constamment avec les autres, on se perd dans toutes ces relations, on subit en permanence leur influence. Notre interlocuteur va jusqu’à évoquer une émancipation de soi bloquée, chez ceux qui ne s’autorisent pas une trêve de temps à autre. Selon lui, se séparer des autres est une source d’épanouissement, car on met de la distance par rapport à ce qu’il se passe dans le monde, dans sa vie.
« Se retrouver seul, c’est également développer la connaissance de ses émotions propres. On apprend à d’autant mieux se connaître, à être à l’écoute de nos pensées, mais également des signaux que nous envoie notre corps, comme la fatigue, l’anxiété, le stress, ou au contraire le soulagement, l’apaisement, la satisfaction… C’est un formidable outil d’apprivoisement de soi, il permet aussi de mieux appréhender les événements à venir, de les accueillir comme ils viennent. Cela favorise donc l’ouverture d’esprit et aux autres », précise Patrick Traube.
Une introspection bienfaisante
Pour une solitude sereine, il faut être en paix avec soi-même.
Et c’est toute la vie en communauté qui en serait modifiée positivement. « S’autoriser à vivre des tranches de vie sans personne permet notamment de ne pas toujours vouloir exister à travers les autres, ou avec eux. On apprend également à être acteur de l’instant présent, à le savourer, à prendre le temps. Cela améliore dès lors d’autant plus la qualité des moments passés avec autrui, étant soi-même plus en phase. Paradoxalement, la solitude choisie rapproche. Elle impacte le corps, le cerveau et rend plus disponible, une fois que l’on est en groupe », ajoute le psychologue.
Anne Ducrocq, journaliste et auteure de Faire des pauses pour se (re)trouver(4) parle carrément de « dedans » et « dehors » et explique que nous nous occupons bien trop peu de notre esprit. A tort.
En clair, nous passerions tous la majorité de notre vie en dehors de nous-mêmes, préoccupés par les autres et surtout par ce qu’ils pensent de nous, négligeant ainsi notre vie « dedans ». Or, la spécialiste l’affirme, atteindre son esprit demande un effort.
S’accorder une pause quotidienne, un jour off, voire décider de s’octroyer une vraie retraite, c’est plonger en soi pour faire corps avec son mental. « Dans notre monde bousculé où tout va toujours plus vite, prendre le temps de se poser est devenu essentiel pour éviter de se réveiller un jour en ayant l’impression d’être « passé à côté ». Pour être à la hauteur du quotidien, pour garder la tête hors de l’eau, continuer de sourire, d’aimer et d’élargir son coeur, il faut respirer un bon coup, s’asseoir et se mettre en retrait, ne serait-ce que quinze minutes… »
Pour continuer de sourire, d’aimer et d’élargir son coeur, il faut s’asseoir et se mettre en retrait, ne serait-ce que quinze minutes…
Pourtant, oser dire que l’on a envie d’être seul ne va pas nécessairement de soi. Et Patrick Traube de rappeler à quel point ce désir est encore mal perçu par l’entourage, qu’il soit professionnel ou privé. « C’est souvent assimilé à de l’égoïsme. Tout le monde ne comprend pas bien ce besoin de se désencombrer. Pourtant, la faculté à prendre de la distance est une réelle qualité, encore plus à une époque où l’injonction à l’hypercommunication s’apparente à une tyrannie. Prendre des moments seul, c’est garder la main sur sa propre existence, c’est rassurant. Même si le besoin des autres est évident, il faut revendiquer cette nécessité d’être égocentré, pour mieux se connaître, mieux s’aimer… et donc aimer son entourage. »
Certains, pourtant, sont incapables d’être séparés de ce dernier. Pour beaucoup, cela rime avec sanction. « Petit, quand on fait une bêtise, la punition passe par la solitude: être obligé de rester dans sa chambre, être privé de voir ses copains… A l’âge adulte, l’isolement contraint reste synonyme de peine, inconsciemment ou non. C’est une association cognitive que beaucoup d’entre nous font à leur insu. D’où la difficulté de se familiariser avec ces pauses en solo, même au nom du lâcher-prise et du bien-être. Rendez-vous intimes avec soi-même, tremplin vers la connaissance de soi, outil de contact avec notre richesse intérieure, être seul de temps en temps permet pourtant de ne pas perdre le contact avec soi », rappelle Patrick Traube.
Reste à apprivoiser ces moments d’isolement avec douceur, afin de prendre le temps d’être bien avec sa propre personne. « Les plus extravertis seront sans doute les plus déstabilisés. Hypersociables et sociaux, se retrouver seuls n’est pas nécessairement simple et évident. Pour d’autres, être constamment occupés ou entourés permet de ne pas être confrontés à eux-mêmes, par peur de ne pas s’aimer… on est souvent très peu bienveillant et indulgent envers soi, ces face-à-face en solo peuvent dérouter ou stresser. Pour une solitude sereine, il faut être en paix avec soi-même et être prêt à l’introspection », conclut le psychologue. Comme le chantait Gilbert Bécaud, « Chez moi, il n’y a plus que moi, et pourtant, ça ne me fait pas peur ». A bon entendeur…
(1) Enquête Hellper décembre 2018.
(3) La positive solitude, par Hervé Magnin, éditions Jouvence, 2013.
(4) Faire des pauses pour se (re)trouver, par Anne Ducrocq, Leduc.s Editions, 2018.
Quelle est la fonction précise de la solitude, sur le plan psychologique?
Elle permet une connaissance plus profonde de soi-même, et de ne pas négliger ses propres besoins. Certains la détestent ou la fuient et sont en recherche permanente de sollicitations, quitte à ce que ce soit via Internet. Or, faire une vraie coupure et être en solo participe à la construction de soi, même si cela demande d’oser se regarder en face. Comme psychologue, je la valorise et rappelle qu’il s’agit d’un outil, d’une alliée pour (re)prendre le contrôle de sa vie et ne pas simplement en être le spectateur.
Face à l’incompréhension de l’entourage, on culpabilise parfois quand on ressent le besoin d’une pause…
Oui, c’est un cercle vicieux. La communication est essentielle pour exprimer ce besoin primordial à l’autre, qu’il s’agisse d’un mari, d’un enfant, d’un parent. S’octroyer un sas est indispensable, pour faire le vide, évacuer une émotion, être au calme et se ressourcer. Etre disponible à soi-même, c’est le gage d’une qualité de présence et d’écoute d’autant plus grande à l’autre que l’on en est régénéré, apaisé. Sans ces ruptures, on est d’autant moins apte à être dans l’instant présent.
Au risque de se perdre soi-même?
Oui, car à force de se sur-adapter à ce que l’on attend de nous, on en vient à s’oublier, à perdre parfois sa propre identité. Au point d’être incapable de « réussir » à prendre un moment seul et de se le reprocher: certains n’arrivent pas à se poser, tant l’injonction à être en lien de façon constante est grande. Dès lors, lâcher prise devient une réelle épreuve, pour certains. En cela, la solitude peut également effrayer. Pourtant, il est essentiel de se l’autoriser, même quelques minutes par jour. Cela s’apprivoise. Il faut oser franchir le cap, bêtement en fermant la porte un court instant, le temps de se retirer dans sa chambre ou dans le jardin…
La fameuse chambre à soi, de Virginia Woolf?
Exactement! C’est l’image qui convient. Etre seul avec soi, dans sa voiture, sa baignoire ou dans un parc… Etre dans la pleine conscience de ce que l’on ressent et vit, oser ne pas être dans le « faire », mais privilégier l' »être », ce sont des moments nécessaires au bien-être et à l’équilibre individuel. D’où mon scepticisme face aux open spaces sur le lieu de travail, par exemple. Etre sans cesse avec d’autres, être confronté au bruit et à un taux d’interruption constants encombre l’esprit. S’isoler est nécessaire à la concentration. Mais gare à ne pas tomber dans le diktat: s’obliger à être seul ne va pas de soi. Idem dans les entreprises où l’on programme des séances de yoga et où l’on met un local à sieste à disposition. La solitude ne doit pas être une contrainte, mais une envie de se (re)trouver quand on le souhaite.
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