L’absurdité des tests de personnalité décryptée: « Autant se fier à l’astrologie ! »
MBTI, Insight, ennéagramme… Les tests de personnalité à la disposition des entreprises ne manquent pas. Pourtant, scientifiquement parlant, ils ne sont pas vraiment fiables.
ISFP. Voici le résultat que j’ai obtenu la première fois au Myers Briggs Type Indicator (MBTI), un test recommandé dans le cadre d’un entretien d’embauche. Ces lettres correspondent à quatre facettes de ma personnalité : I pour Introversion, S pour Sensation, F pour Feeling et P pour Perception. Ce résumé très succinct de qui je suis était accompagné d’une description un peu plus précise : je suis aussi réservée, gentille, solitaire, modeste, docile et je garde souvent mon enthousiasme pour moi. Au moins, j’ai bien ri ! Je suis surtout bruyante, presque insolente, spontanée, tout sauf discrète ou docile, et mon enthousiasme n’a d’égal que celui de Tigrou, l’ami de Winnie. Selon mon conseiller en orientation professionnelle, je n’ai pas bien compris, il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre. Depuis, j’ai refait ce test quelques fois. La constante ? Le I d’introvertie.
« J’ai été confronté plusieurs fois au même questionnaire lors d’entretien d’embauche. A la fin, j’avais appris à orienter mes réponses pour plaire aux employeurs. »
Une solution présumée idéale
« Les tests de personnalité rapportent des milliards. Des P.M.E. aux multinationales, des start-ups aux hautes-écoles, on n’y échappe plus », explique Koen Dewettinck, professeur en Management des Ressources humaines. « Un des domaines où ils entrent beaucoup en jeu est la sélection de nouvelles recrues. Les entreprises veulent pouvoir prédire comment leurs futurs employés se comporteront et s’ils seront efficaces. Elles établissent alors des profils. Elles ne s’arrêtent plus au diplôme, aux connaissances et à l’expérience des candidats, elles analysent également leur personnalité et leur attitude pour voir si celles-ci correspondent à la culture de leur boite. Ces tests sont aussi utilisés par les managers : quelle direction un employé peut-il et veut-il prendre ? Quels sont ses atouts ? Quelles personnes choisir pour former une équipe rentable ? Quelle approche utiliser pour gérer un groupe et communiquer avec ses membres ? » Selon la coach Ivie Cardinaels (BlauwKonijn), le monde de l’entreprise a drastiquement changé ces dernières décennies. « Avant, les équipes étaient constituées des personnes ayant le même style et la même expertise, aujourd’hui, bien d’autres critères entrent en jeu. On parle souvent d’équipes multidisciplinaires et autogérées. Pour organiser cela au mieux, les sociétés cherchent de l’aide, et c’est exactement ce que ces outils proposent. Par ailleurs, embaucher et former de nouvelles recrues coûte cher. Si les employés, principalement les millennials, ne se sentent pas bien, ils s’en vont. Pour éviter cela, un leadership efficace est nécessaire et beaucoup d’entreprises cherchent à s’améliorer. Les tests de personnalités et équivalents sont la solution « idéale ». »
La place qu’occupent les chiffres et les données dans le monde des affaires a également une influence selon Koen Dewettinck. « Analytics, evidence-based practice… ces termes sont omniprésents dans tous les domaines, et surtout pour les ressources humaines. La psychologie, c’est beau, mais ça ne se mesure pas ! » Les tests cognitifs qui jaugent l’intelligence restent pratiques, car ils prédisent les comportements futurs, tout comme les examens et les jeux de rôles peuvent montrer si une personne a un esprit stratégique et sait résoudre des problèmes facilement. Question personnalité, le MBTI reste le favori des employeurs, suivi par les variantes d’Insight et le DISC, qui associent les participants à des couleurs en fonction de leurs résultats. L’ennéagramme, lui, propose neuf types de profils. Comme son nom l’indique, Strengthfinder vous aide à cibler vos forces, tout comme Core Talent. C’est généralement l’employeur qui décide de quel test est le plus adapté à ses besoins, explique Ivie Cardinaels. « Les clients optent souvent pour ce qu’ils connaissent, c’est plus simple. C’est pour cela que je travaille surtout avec le MBTI et les différents Insight. »
Leader ? Protagoniste ? Médiateur ?
Pourtant, si vous demandez l’avis de la communauté scientifique, ne vous attendez pas à des éloges, au contraire. « Pour juger de la qualité d’un test, nous nous basons sur deux critères, la fiabilité et la validité », explique le Tim Vantilborgh, professeur de Méthodologie de Recherche à la VUB, « Un questionnaire est fiable si ses résultats ne varient pas d’une fois à l’autre. Ce qui n’est pas le cas du MBTI, par exemple, puisqu’il a été prouvé que près de 20 % des participants reçoivent une réponse différente à leur seconde utilisation. Il est valide s’il mesure vraiment ce qu’il doit mesurer. Les tests dont nous parlons évaluent la personnalité et les préférences d’une personne. Le MBTI et Insight sont programmés autour de la théorie de Gustav Jung, aujourd’hui considérée comme dépassée. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup d’examens : ils sont basés sur une théorie datée, et pas sur des données scientifiques. C’est de la pseudoscience. »
C’est scientifiquement prouvé : ces tests n’ont aucune valeur. Pourtant, les entreprises dépensent des sommes folles pour eux, et, pire, ils sont à la base même de nombreuses décisions importantes.
Selon Koen Dewettinck, le MBTI utilise des dichotomies comme feeling/thinking, alors que seulement 10% à 20 % de la population appartiennent uniquement un seul de ces extrêmes. Les 80 % à 90% restants oscillent entre les deux. « Les résultats ne sont donc pas réalistes, et il est normal de les remettre en question. Il ne faut pas non plus oublier qu’il ne s’agit finalement que d’auto-évaluation. Influencer les résultats est un jeu d’enfant. »
Comme en témoigne Jeroen (31 ans) : « J’ai rempli mon premier MBTI à l’université. J’étais super fier des résultats. Extraverti, high intensity, ambitieux, c’était le profil parfait pour réussir mes études de commerce et travailler dans la publicité. J’ai dû repasser ce test plusieurs fois lors d’entretiens d’embauche, et j’ai appris à choisir mes réponses pour plaire le plus possible aux employeurs. Les concepteurs derrière ce genre de questionnaires essaient de pallier ce souci, en posant la même question avec des formulations différentes par exemple, mais il suffit d’être attentif. »
Mais alors, pourquoi nous reconnaissons-nous presque toujours dans les résultats ? À cause de l’effet Barnum, ou effet Forer. Le truc ? Des descriptions assez vagues, et toujours positives. Selon Tim Vantilborgh, « Il n’y a pas de mauvaise catégorie. Le MBTI ressemble à un horoscope. Notre monde est compliqué, les personnalités sont complexes, et ces tests se présentent comme la réponse à toutes nos questions ». Jeroen est du même avis : « C’est un langage simple : « je suis ceci, et toi ? » Les gens s’y fient comme à une boussole pour naviguer dans une entreprise. A chaque département, ses catégories. Je rencontre souvent des patrons qui n’ont aucune compétence relationnelle et qui ne se fient qu’aux résultats du MBTI ou d’Insight. L’un deux a même composé des petites fiches sur les comportements adaptés avec tel ou tel type d’employé. »
« Vous êtes plutôt bleu »
Je connais un chef d’entreprise qui a composé des petites fiches sur les comportements adaptés avec tel ou tel type d’employé
C’est scientifiquement prouvé : ces tests n’ont aucune valeur. Pourtant, les entreprises dépensent des sommes folles pour eux, et, pire, ils sont à la base même de nombreuses décisions importantes. Selon Koen Dewettinck, ces tests seront à l’avenir de plus en plus présents dans le monde professionnel. « Les entreprises font face à un véritable dilemme : elles veulent des outils fiables et de qualité, mais également faciles d’utilisation. Le MBTI se fonde sur l’introspection, l’intuition, les sentiments, et utilise des mots simples. Pas besoin donc d’en étudier la terminologie ou d’apprendre à interpréter les résultats. De plus, les profils établis par le MBTI, Insight ou l’ennéagramme sont remplis de définitions vagues, mais positives. Ce n’est pas le cas des examens scientifiques, qui ont d’ailleurs une base solide et intègrent la théorie des Big Five. Cependant, leur vocabulaire est un peu plus direct, et s’entendre dire que notre sens du service laisse un peu à désirer, que nous ne sommes pas assez ouverts à la nouveauté ou que notre stabilité émotionnelle n’est pas au beau fixe fait moins plaisir que « vous êtes plutôt bleu ». Ces questionnaires existent pour refléter la véritable identité des sondés, et les entreprises n’ont rien à gagner si ceux-ci sont déstabilisés par leurs résultats. »
Le manque de communication entre la communauté scientifique et les sociétés n’aide pas, selon Tim Vantilborgh. « Je pense que les entreprises ignorent tout simplement que ces tests ne sont pas fondés sur des théories fiables. Si les autres l’utilisent, pourquoi pas eux ? Les campagnes marketing sont également très efficaces, et les coaches qui ont payé des formations très chères afin d’être certifiés et pouvoir faire passer ces examens ne se privent pas non plus d’en faire la publicité. »
Précieuse communication
Yvonne Van Deursen, coach chez BlauwKonijn également, explique que ces tests ne sont pas une fin en soi, ils ne sont que des outils. « Mon point de départ lors de coachings est d’aller à l’essence du problème. Supposons qu’une équipe fasse appel à moi, car le climat au travail n’est plus favorable. Faire passer le MBTI à ces clients m’aidera, car il permet d’engager la discussion. Il fournit une terminologie simple et positive, et les divergences entre collègues prennent une autre couleur. Mais il ne faut pas s’arrêter aux résultats, ce n’est qu’un point de départ. » Sa collègue Ivie Cardinaels poursuit : « Ces questionnaires nous aident à engager la conversation entre les clients. Ils sont utiles parce qu’ils leur donnent un aperçu d’eux-mêmes et de leurs relations. Leurs points forts et faibles. Nous ne sommes pas souvent conscients de nos forces et nos faiblesses. Je dirais que le point central de notre travail, c’est de parler des résultats du test, et puis d’accompagner nos clients dans leur processus de changement. »
Marie (28 ans) a passé le test Insight, et en est très satisfaite. « J’ai trouvé les questions un peu simplettes et la description de ma personnalité assez standardisée. Mais cela m’a aidé à comprendre pourquoi, en étant plutôt organisée, pas toujours ponctuelle, mais toujours efficace, je ne m’entendais pas très bien avec mon patron, toujours dans le contrôle, la précision et très stressé. J’avais de nouvelles données en main pour améliorer notre relation et mieux communiquer avec lui. Les émotions ne sont pas souvent prises en compte dans les entreprises, pourtant, comprendre ses collègues est fondamental. »
Coller des étiquettes
Tant que ces tests servent à stimuler la réflexion, Tim Vantilborgh n’y voit pas d’inconvénient. Mais selon Magda (65 ans), ce n’est pas souvent le cas. « J’ai été à la tête de mon entreprise pendant des années, et j’ai dirigé deux grandes sections d’ingénieurs pendant 20 ans. Ces examens étaient déjà populaires depuis quinze ans, et je n’étais pas une grande fan. L’expérience professionnelle et humaine sont primordiales, pas question de coller des étiquettes. Si vous prenez des décisions en vous basant sur une façon douteuse de répartir vos employés en types ou en couleurs, c’est un manque de respect pour eux et pour votre entreprise. Mon dernier employeur se fiait uniquement au MBTI pour accorder des promotions ou embaucher de nouvelles têtes. C’est complètement ridicule. J’ai l’impression que les managers et les ressources humaines se cachent derrière des profils ‘objectifs’ pour ne pas avoir à utiliser leurs propres capacités de décision. Ils considèrent ces catégories et couleurs comme leur Évangile. » « Le MBTI et ses équivalents doivent être utilisés avec du recul », raconte Koen Dewettinck, « Rien ne remplacera jamais l’esprit critique. Il ne faut pas croire que notre comportement n’est influencé que par notre personnalité. Notre environnement est tout aussi déterminant. »
Coller des étiquettes n’est jamais sans conséquence. Il est probable que les personnes commencent à s’identifier à leur catégorie et la prophétie se réalisera d’elle-même.
Selon Tim Vantilborgh, à partir du moment où des entreprises se laissent influencer par des tests pseudoscientifiques, elles ne sont plus innocentes. « Je peux comprendre que certaines sociétés accordent de l’importance à la personnalité et aux valeurs de ses futurs employés ou pour former des équipes solides. Mais si vos données de départ sont erronées, alors vous pédalez dans le vide. Autant se fier à l’astrologie. J’ai l’impression que la complexité est un terme à bannir dans le monde des affaires aujourd’hui. Les ressources humaines veulent des informations pour faire leurs choix, mais celles-ci doivent être rapides et simples. Si c’est pour dépenser autant l’argent, pourquoi ne pas l’utiliser à meilleur escient ? Il existe de nombreux autres examens scientifiques, basés pour la plupart sur la théorie des Big Five, comme Neo-Pi-3 ou le modèle Hexaco. Les recherches autour de ces cinq traits centraux de notre personnalité sont très fiables, même si les résultats sont un peu plus complexes et compliqués à interpréter. »
Et les questionnaires de personnalité ne sont pas non plus innocents vis-à-vis des participants. « Coller des étiquettes n’est jamais sans conséquence. Le MBTI répartit les gens en seize catégories fixes et Insight leur attribue une couleur. Il est probable qu’ils commencent à s’identifier et la prophétie se réalisera d’elle-même, » déclare Tim Vantilborgh. Ivie Cardinaels partage cet avis : « Je remarque souvent que certains se réfugient derrière leurs résultats. « Ils savent qui je suis », « Il n’y a plus rien à faire »… »
Selon Tim Vantilborgh, la solution réside en de meilleures informations. « Le monde scientifique regorge de tests efficaces, mais ceux-ci ne sont pas connus des entreprises, qui nous frustrent d’ailleurs par leur obsession pour la rapidité. Développer des tests de qualité demande du temps et de l’argent ! Mais au bout du compte, tout le monde en sort gagnant, et c’est le plus important. »
A PRENDRE OU A LAISSER ?
Les moins fiables :
• Le MBTI ou Myers-Briggs Type Indicator. Mis au point par Katherine Briggs et Isabel Myers (mère et fille), à partir de la théorie des types psychologiques de Gustav Jung, au moyen d’oppositions comme introversion/extraversion, sensation/intuition, pensée/sentiments et jugement/perception. Seize résultats possibles.
• L’Insight Discovery, également basé sur les réflexions de Gustav Jung. Les participants sont répartis en quatre couleurs : bleu pour prudent, précis et objectif, rouge pour compétitif, exigeant et déterminé, vert pour attentionné, patient et encourageant et jaune pour dynamique, enthousiaste et optimiste. Il existe cependant des sous-catégories et des catégories mixtes.
• L’ennéagramme. Son origine est inconnue, mais il semblerait qu’il soit le résultat de « siècles d’analyse de la personnalité ». Ici, neuf catégories disponibles : perfectionniste, altruiste, battant, romantique, observateur, loyal, épicurien, chef, médiateur.
Les valeurs (plus) sûres :
• Neo-PI-3 et Neo-FFI-3, le modèle Hexaco et le BAQ. (Business Attitude Questionnaire) sont tous basés sur la théorie des Big Five (les cinq traits centraux de la personnalité).
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