Le règne de Pinocchio ou l’art de mentir pour réussir

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Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

La vérité vacille. Plus que jamais, les bobards, l’intox, les secrets de Polichinelle et les magouilles de bas étage tiennent la vedette… et font recette. Fini l’honnêteté ?

Dans quelques jours, les urnes auront parlé : nos voisins d’outre-Quiévrain sauront alors ce qu’il ressort des élections présidentielles… Et le citoyen pourra enfin juger si les mensonges des uns et des autres ont porté leurs fruits, pourris ou pas, la dernière campagne hexagonale ayant été plutôt nauséabonde question sincérité. Face à l’actualité internationale de ce dernier semestre, qui a vu la géopolitique mondiale bousculée par des champions en fourberie et le règne immoral – mais efficace – de l’intox s’imposer, on peut craindre que les entourloupes des candidats français ne jouent pas forcément en leur défaveur. Après tout, le camp des pro-Brexit ou Donald Trump ont bien tiré leur épingle du jeu en accumulant les allégations. Et cela malgré un acharnement des médias sérieux au  » fact checking « , visant à démonter les discours des hommes politiques, chiffres à l’appui, afin d’aider l’électeur à faire le choix juste.

C’est qu’en ces temps chahutés, on assiste à une  » défaite de la vérité et un triomphe de la force « , comme le résumait le quotidien économique français Les Echos, tirant le bilan de 2016, en décembre dernier. Certes, l’idée n’est pas neuve. Du Watergate de Richard Nixon, à la guerre en Irak déclenchée par Bush sur la base du prétendu attirail guerrier de Saddam Hussein, les tronqueurs de vérité ont toujours existé. Mais, désormais, leurs fausses affirmations circulent à la vitesse vv’ et convainquent davantage de monde grâce aux réseaux sociaux. D’autant qu’aujourd’hui, la plupart des internautes partagent et likent les news, influencés par un titre ou une photo, sans en lire une ligne. Pour preuve, en juin dernier, le site The Science Post publiait un article intitulé :  » Etude : 70 % des utilisateurs de Facebook lisent seulement le titre des papiers scientifiques avant de les commenter.  » Il fut partagé 46 000 fois alors qu’il ne contenait… rien, si ce n’est un texte bidon. Un comportement assez binaire, en somme, mais qui schématise bien notre monde actuel.

Le règne de Pinocchio ou l'art de mentir pour réussir
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Nous voilà donc tous condamnés à renier ce que notre bonne éducation avait érigé en diktat immuable et à sacrifier notre honnêteté sur l’autel de la réussite ? Une enquête de l’école de management Insead, parue dans Le Monde Economique en mai 2016, révèle que  » la sincérité ne paie pas. Apparaître sincère est important. En revanche, l’être vraiment est bien souvent contre-productif.  » Selon des chiffres mis en évidence dans le livre du psychanalyste Pascal Neveu, Mentir pour mieux vivre ensemble ? (*), nous jouerions les Tartuffe au moins trois fois dans les dix premières minutes de toute rencontre. De même, nous dévierions de la vérité minimum deux fois par jour. Et l’auteur français de relater le cas d’un intellectuel anglais, Cathal Morrow, qui a relevé le défi de ne pas fabuler pendant un an et a raconté ses déboires sur son blog :  » Il conclut à l’impossibilité de ne pas mentir, sauf à créer un monde de violence, de rancoeur et d’instabilité affective, et à y sombrer. Le chaos absolu, le retour à la guerre, à des  » comportements animaux… « , résume le psy, qui se défend toutefois de faire l’éloge du mensonge.

A en croire les spécialistes, nous serions donc tous dans la simulation… Mais ce ne serait pas forcément un mal ! Dès l’enfance, cela nous aiderait même à nous construire, les petits vivant dans un univers où réalité et imagination se téléscopent sans cesse. Le souci ne serait pas dans l’affabulation en elle-même, mais dans la manière dont on la vit et dans l’influence, parfois destructrice, qu’elle peut avoir sur nous et les autres… Pascal Neveu nous propose de ce fait à ne pas aller à l’encontre du mensonge mais à l’apprivoiser, en quelque sorte. Pour lui,  » nous sommes tous des menteurs et nous sommes néanmoins dans le déni car on ne se penche pas sur nos travers, on préfère les occulter « . L’expert nous invite dès lors à mentir, mais pas tout le temps et pas à soi-même. Et surtout à ne pas être dupe ! Explication, au cas par cas. A prendre ou à laisser…

Selon vous, faut-il mentir… pour être élu ?

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Evidemment que oui. On sait que les hommes politiques ne tiennent que 10 % de leurs engagements et qu’il y a bien souvent un antagonisme énorme entre leur véritable mode de vie et les valeurs qu’ils mettent en avant dans leur campagne. Regardez, en France, le candidat socialiste Benoît Hamon : sa compagne travaille au secrétariat général du groupe de luxe LVMH… Et on aurait déjà vu Jean-Luc Mélenchon se balader en Ferrari ! On en est revenu au temps de Machiavel, qui comparait l’homme politique à un acteur devant porter incessamment un masque. Seule l’ambition politique prévaut et la logique est centrée sur les manoeuvres afin d’accéder au pouvoir et de le conserver. Celui qui ne maquille pas la vérité n’est pas élu. Je pense qu’en réalité, ces hommes et ces femmes bénéficient du fait qu’il y a tellement d’infos qui circulent que l’une chasse l’autre. Notre mémoire est de deux mois maximum, ensuite nous faisons  » reset  » sur certaines actualités… et certains bobards.

… Sur un C.V. ?

Même les manuels de conseils pour en rédiger un ou se faire embaucher vantent les mérites du mensonge et proposent d’édulcorer certains points de notre parcours, en gommant un blanc dû à une période de chômage par exemple. C’est dans les moeurs, un peu comme sur les sites de rencontre. Les patrons savent que la réalité est tronquée et imaginent clairement que celui qui postule ne dit pas tout, cela fait partie du jeu. Pour moi, la fin justifie les moyens. Il faut se donner la possibilité d’atteindre nos rêves. Naturellement, il faut, après coup, pouvoir assumer et faire ses preuves pendant la période d’essai. Et être pleinement conscient qu’il s’agit d’un mensonge, sinon on se ment à soi-même et, là, cela devient problématique.

… Quand on a trompé son conjoint ?

Ne surtout pas le dire à son partenaire ! Lorsqu’un homme raconte son incartade, c’est qu’il a mauvaise conscience… Mais en réalité, il met alors tout le poids de cette culpabilité sur l’autre et attire les questions : où, avec qui, qu’avez-vous fait au lit, etc. ? Avouer une telle chose est très destructeur, la blessure narcissique pour la personne dupée est énorme et met très longtemps à se réparer, la confiance disparaît parfois à jamais. Certes, en parler permet d’ouvrir une discussion, de crever l’abcès, mais je pense que c’est risqué. Je conseille par ailleurs de ne pas en discuter avec des amis car certains pourraient vendre la mèche et ce serait encore plus catastrophique. On doit donc rester avec son fardeau… Si on est infidèle, à nous de l’assumer, point.

… Pour couvrir un ami ?

Il s’agit ici d’un mensonge altruiste… Mais c’est très compliqué car on prend alors le rôle du complice, en trouvant par exemple un alibi à un copain. C’est un problème de conscience et ça se termine souvent mal. Moi je dis, chacun gère sa vie. C’est comme lorsque l’on prend parti dans un divorce ou une bagarre, on finit toujours par recevoir un coup. Je proposerais plutôt d’amener notre ami à s’interroger vraiment sur la raison de son imposture : qu’est-ce qui l’angoisse, craint-il une punition… Mentir pour autrui peut tuer une relation amicale et demander à quelqu’un de le faire pour nous est un acte immature.

… Pour ne pas froisser quelqu’un ?

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C’est notre quotidien, en fait. On ne peut pas dire à un collègue qui nous présente un travail :  » C’est de la merde !  » Ou à quelqu’un qui bosse près de nous de s’acheter du déo. Ou à une amie, fière de sa nouvelle coupe de cheveux, que  » c’est franchement moche « … Même si on le pense. C’est ce que j’appelle les mensonges sociaux et ils sont indispensables pour éviter une guerre civile ! Pour bien vivre ensemble, on est obligé de mentir. Partir de chez des amis en les remerciant de cette superbe soirée, tout en se disant qu’on aurait préféré rester dans notre fauteuil, pénard : c’est arrivé à chacun d’entre nous…

… A un malade condamné ?

L’idée est de pouvoir évaluer si le patient est assez fort psychologiquement pour entendre cela. Mais les médecins ne sont pas toujours formés en ce sens et n’annoncent pas toujours les choses de manière juste. J’ai auditionné un jour un jeune à qui on avait annoncé, à 35 ans, qu’il avait un cancer et qui lui restait huit mois à vivre. Il avait dû en parler à sa famille, il était véritablement  » en arrêt de vie « … Et pourtant, il m’a raconté cela cinq ans plus tard. Je dirais que si le malade est trop fragile et pourrait envisager de se suicider, on doit éviter la vérité. Donner des statistiques de mortalité ne sert à rien non plus car ce ne sont que des chiffres. Je peux comprendre que les médecins occultent l’issue finale car pour que le patient accepte sa maladie, il doit avoir des capacités de résilience, pour rebondir, et ce n’est pas donné à tout le monde.

Aux enfants à propos du Père Noël ?

Il y a quelques temps, j’ai été littéralement agressé sur Radio Notre-Dame, une chaîne catholique française, sur le sujet. Un jeune homme m’a attaqué sur le fait qu’on n’avait pas le droit de raconter aux mômes que le Père Noël existait. Or pour moi, c’est un conte de fées, ça ne fait de mal à personne, ça reste un moment joyeux et festif. Le regard émerveillé des gosses qui découvrent les cadeaux, des parents qui voient leurs enfants les déballer… On joue le jeu, comme au Mardi gras lorsqu’on se déguise. Le mensonge est ici inoffensif, il me semble. Pour moi, les parents mentent en réalité en continu à leurs enfants car ces derniers n’ont pas la maturité psychique pour comprendre le monde dans son ensemble. Les histoires permettent ainsi de transmettre aux enfants un message éducatif…

Des signes qui ne trompent pas

Dans son livre (*), Pascal Neveu met en avant des éléments pour repérer les menteurs. Parmi eux :

  • Une voix qui devient plus aiguë.
  • Des respirations plus grandes, voire des soupirs.
  • Un léger bredouillement.
  • Un débit de parole soutenu, avec pauses fréquentes.
  • Un discours préparé, trop lisse, trop détaillé.
  • L’utilisation d’un champ lexical de vérité : « franchement », « sincèrement »…

(*) Pour (mieux) discerner le vrai du faux

– Mentir, pour mieux vivre ensemble ? , par Pascal Neveu, Archipel. L’homme est-il né imposteur ? Ne pas dire la vérité, est-ce une maladie ou un art ? Ce bouquin nous souffle des éléments de réponse à ces questions existentielles.

– Psychologie du menteur, par Claudine Biland, Odile Jacob. Le plein de conseils pour ne pas se faire avoir et détecter les bobards.

– Déjouez les manipulateurs, L’art du mensonge au quotidien, par Elodie Mielczareck, Nouveau Monde Editions. Un panorama clair et incisif de ce que la manipulation, verbale ou non verbale, parvient à nous faire croire.

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