« Même plus peur! » ou comment en finir avec ses phobies

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Monter dans un avion, risquer de tomber malade, se retrouver nez à nez avec une araignée ou un serpent: pour certains, la perspective d’un périple au long cours prend des allures cauchemardesques. Et pourtant, ces craintes irraisonnées se soignent…

A l’heure de réserver leurs vacances, la plupart des touristes s’imaginent déjà les paysages et découvertes culturelles qui feront leur quotidien, le temps d’une parenthèse paradisiaque… Mais d’autres s’empressent de checker sur la Toile la durée des vols, la présence ou non d’une faune locale féroce ou les risques d’épidémies à destination, et rayent ainsi de la liste de leurs envies… la quasi-totalité du globe. En cause, une panique qui les cloue irrémédiablement à 500 km maximum de chez eux. A moins de prendre une bonne résolution et de s’attaquer à ces phobies, soit des « peurs généralement irrationnelles liées à une situation de la vie quotidienne », comme les définit le psychothérapeute bruxellois Dimitri Haikin, et qui sont en réalité de deux types. D’une part celles dites simples, qui découlent d’un souvenir non digéré émotionnellement, ce dernier pouvant être un fait réel, un rêve ou quelque chose d’anodin qui a néanmoins déclenché une frayeur. D’autre part, celles dites complexes. « Il y a alors un déplacement vers un objet ou animal. Freud racontait ainsi la terreur viscérale du petit Hans envers son père, que le gamin avait transposée sur le cheval. C’était plus facile pour lui de dire qu’il craignait cette bête que de parler directement de son paternel », illustre Dimitri Haikin. « J’ai eu une patiente dont le mari était malade. Elle sentait qu’elle ne maîtrisait plus la situation mais avait reporté ce mal-être sur les ascenseurs. Plus son mari déclinait, plus son angoisse augmentait. Il y avait un détournement de symptômes », décrit de son côté Laetitia Klado, psycho- et hypnothérapeute à Bruxelles (http://unimind.be).

UN CERCLE VICIEUX

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Certaines aversions sont dues à un traumatisme véritable – un accident de la route, etc. – mais dans la majorité des situations, ce n’est pas le cas ! Parfois, il s’agira d’un comportement transmis de génération en génération, comme le rejet de l’une ou l’autre espèce animale. Pour d’autres personnes, tout découle d’une fragilité ou d’un dysfonctionnement émotionnel. Un timide pourra par exemple peu à peu glisser vers une phobie sociale et se sentir incapable de parler ou agir en public. « Ce problème touche essentiellement des gens qui sont à l’excès dans le contrôle d’eux-mêmes et des événements et qui sont incapables de lâcher prise, ajoute Laetitia Klado. Ce désir est inconscient et l’impossibilité de connaître à l’avance les réactions des éléments qui ne dépendent pas d’eux les plonge dans une inquiétude incontrôlable. C’est un mal assez actuel car notre rythme de vie nous impose toujours plus de maîtrise de la situation… Quand nous perdons le contrôle, nous paniquons. »

Par ailleurs, cette pathologie s’entretient. « Ceux qui souffrent d’un trouble basé sur la peur ont en commun une stratégie comportementale : l’évitement, constate Giorgio Nardone dans son ouvrage Dépasser les limites de la peur (*). Cette stratégie est en réalité un piège mortel. Tout évitement confirme la dangerosité de la situation évitée et prépare l’évitement suivant. Une telle spirale évolutive produit l’augmentation de la défiance. » Xavier Tytelman, ancien pilote reconverti dans les thérapies pour soigner la crainte de l’avion, confirme : « Elle s’installe avec le temps. Il suffit de vivre une petite turbulence et la fois suivante, on entre dans l’appareil avec une appréhension qui nous fait davantage percevoir l’inconfort du vol. Ce qui engendre une augmentation du sentiment d’insécurité ; et ainsi de suite. Des gens qui ont pourtant, à une époque de leur vie, parcouru le monde par les airs se retrouvent alors complètement tétanisés sur le Tarmac. »

OSER AGIR

Bonne nouvelle toutefois, on peut surmonter dans la plupart des cas ce handicap : « La peur pathologique est un monstre inventé par nous, tout à la fois terrifiant et persécuteur. Cependant, puisque nous avons été capables de la construire, celle-ci peut être déconstruite et surmontée », rassure Giorgio Nardone. Pour ce faire, le phobique devra d’abord prendre conscience de l’effroi qui le hante, dépasser son sentiment de honte et oser parler de ce que d’aucuns pourraient considérer comme un caprice de môme. Ce pas franchi, il faudra choisir l’une ou l’autre méthode, voire une combinaison de plusieurs, la prise de médicaments n’étant réservée qu’aux cas les plus graves.

« Personnellement, je me méfiais des guêpes au point de refuser les invitations à dîner en terrasse, en été, témoigne Dimitri Haikin. Ce qui a marché : l’EMDR (NDLR : Eye Movement Desensitisation and Reprocessing) qui permet une désensibilisation presque chirurgicale. C’est une technique thérapeutique puissante pour traiter rapidement nos traumatismes, c’est-à-dire nos souvenirs non digérés émotionnellement. Durant les séances, on décrit l’objet de l’angoisse, on essaie d’y associer des sensations physiques, de les localiser dans le corps, tout en travaillant sur des mouvements des yeux. Selon moi, être confronté à l’image, et non à la chose réelle, donne l’occasion de prendre de la distance. » Ces exercices oculaires, associés à la concentration sur l’image et à l’émotion qu’elle suscite, permettent en fin de compte de prendre du recul, d’évacuer sa peur ou en tout cas de la rendre non invalidante. Le psychothérapeute souligne en parallèle l’inefficacité des arguments « rationnels » du type « une petite bête n’en a jamais mangé une grosse » dans la tentative de guérison, ainsi que l’inutilité de moraliser. « Dire : « A ton âge, tu as encore la trouille ? », c’est renvoyer la personne à son enfance et renforcer son sentiment d’impuissance face à cela », prévient-il.

En matière de désensibilisation, il existe également des techniques qui mettent la réalité virtuelle à l’honneur, notamment à l’hôpital de jour Van Gogh, à Charleroi. « Nous stimulons le patient de manière progressive, résume le chef de service de psychiatrie Philippe Fontaine. Nous lui mettons un casque et lui projetons, à 360 °, des images de synthèse ou un film dans lequel il peut virtuellement se déplacer. Un psychologue l’accompagne et dose l’anxiété afin d’y aller pas à pas. »

SE LAISSER HYPNOTISER

Une autre méthode est celle de l’hypnose qui, pratiquée par un psychothérapeute, peut s’avérer efficace, en peu de temps. « Il s’agit d’un état de conscience modifiée. La personne est à la fois consciente et inconsciente. Je recours à l’imaginaire pour l’aider à reprendre le contrôle sur lui-même et sa terreur », définit Laetitia Klado, qui regrette que son métier ne soit pas assez protégé et que l’on retrouve des soi-disant experts qui ne connaissent en réalité rien à la psychologie. Après un premier entretien, le patient s’allonge sur un canapé, sous une couverture, comme dans un cocon. « Ensuite, en général, c’est moi qui parle, je lui dis des phrases pour l’inviter à entrer en hypnose, relate la spécialiste. Je l’autorise à avoir des pensées négatives mais j’impose aussi des idées positives. Pour un phobique de l’avion, je lui suggère ce qu’il fera arrivé à destination ou son trajet jusqu’à l’aéroport. L’idée est qu’il se sente bien en écoutant ce récit et que, lorsqu’il le vivra dans la réalité, il retrouve cette sensation. J’enregistre toujours nos séances sur MP3 et il peut se repasser cela plus tard, en cas de panique. » Toutefois, lorsque le problème semble trop aigu, la professionnelle encourage le recours à d’autres thérapies, plus longues.

Reste qu’il n’est pas indispensable de se soigner. Aujourd’hui, chacun ou presque peut avouer une petite phobie mais le plus souvent celle-ci ne nuit pas à sa liberté de mouvement… ni à ses envies d’escapades. « Une dose gérable de peur est essentielle à notre existence et, la plupart du temps, c’est grâce à elle que nous franchissons nos limites pour découvrir en nous-mêmes des ressources restées insoupçonnées, conclut Giorgio Nardone. Réorientée, elle devient une ressource et la grande majorité de nos actes de courage sont aiguillonnés par elle. » A nous la planète donc !

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(*) Dépasser les limites de la peur, par Giorgio Nardone, Enrick Editions, 129 pages.

L’AÉRODROMOPHOBIE

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Il s’agit là d’une des plus grandes phobies contemporaines qui toucherait plus de 20 % de la population européenne, 6 % n’ayant jamais volé, 14 % s’étant juré de ne plus jamais le faire, selon Xavier Tytelman, ancien pilote militaire et co-fondateur du Centre de Traitement de la Peur de l’Avion (www.peuravion.be), qui propose des stages, à Gosselies et en France. Sa patientèle est formée entre autres de personnes qui doivent absolument emprunter ce mode de transport, pour leur job ou pour raisons familiales – un fils ou une fille à l’étranger, une lune de miel… Dans un premier temps, le formateur explique aux participants comment fonctionne une crise de panique, l’importance de la respiration, etc. La deuxième étape du cursus consiste à donner un maximum d’infos techniques sur le vol : Comment gère-t-on une panne ? A quoi sont dues les turbulences… Enfin, les « élèves » passent par le simulateur de vol, accompagnés d’un instructeur. « Chacun à leur tour, ils sont amenés à prendre les commandes de l’appareil et divers cas de figure se présentent : trajet tranquille, météo dégradée… Ils sont confrontés à un simple écran mais l’impact émotionnel est important, un peu comme lorsqu’on regarde un film d’horreur. » L’idée est ensuite que les candidats au décollage embarquent, en vrai, dans les deux mois. « Nous restons en contact jusqu’à ce départ, par exemple en les appelant la veille pour leur plan de vol… », complète Xavier Tytelman. Le cours revient tout de même à 430 euros mais offre, selon l’aviateur reconverti, plus de 90 % de réussite.

L’ARACHNOPHOBIE, ETC.

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Voilà un handicap majeur pour tout globe-trotteur rêvant d’une destination exotique ou en pleine nature. Le rejet de l’animal vient souvent de l’enfance. Il peut découler d’un événement réel – une morsure… – mais également d’un simple dessin animé par exemple. Généralement, il s’agit toutefois d’un héritage des parents. « Il arrive aussi que cela relève d’un sentiment plus compliqué, complète Dimitri Haikin. Ainsi, le serpent est un symbole phallique, témoin selon certains de la présence d’une personne envahissante, d’une mère accaparante… » Cette pathologie pourra s’aborder via l’EMDR ou l’hypnose entre autres. « Je propose de rencontrer l’animal positivement en pensée, façon L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, évoque l’hypnothérapeute Laetitia Klado. L’idée est de faire comprendre qu’en réalité, si l’animal a une réaction brusque, c’est parce qu’il est aussi terrorisé, il y a donc un lien d’empathie qui s’installe… »

Il existe en outre des initiatives de désensibilisation spécifiques proposées notamment par le vivarium de Lausanne, en Suisse. « Il arrivait que des gens se mettent à paniquer en plein milieu de la visite. Je me suis rendu compte qu’il suffisait de discuter pour que ça aille mieux », explique Michel Ansermet, champion olympique de tir reconverti dans la désensibilisation aux reptiles et arachnides. « Le plus important : apprendre à gérer son adrénaline. Une araignée, ça ne se déplace pas vite. Mais quand on stresse, on voit ses pattes s’agiter et on a l’impression qu’elle file. Ça déforme la réalité. Ma carrière de sportif m’a appris à gérer la tension et c’est ce que je mets en pratique en aidant les phobiques à se focaliser sur leur respiration, la position de leur corps – épaules en arrière… – et la visualisation – c’est-à-dire pouvoir imaginer la situation pour finalement la réussir réellement. Il est par ailleurs important de donner des infos théoriques. Les légendes et croyances autour de ces espèces nuisent à leur réputation. » Vient ensuite la phase d’approche en bocal ou dans la main.

L’HYPOCONDRIE

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Il suffit de se rendre sur le site des Affaires étrangères belges pour constater que voyage peut rimer avec maladie. Pour une frange de touristes, ce risque vire néanmoins à l’obsession et, dans des cas extrêmes, au trouble anxieux sérieux, donnant entre autres naissance à des TOC (troubles obsessionnels compulsifs), du style se laver les mains trente fois par jour. « Ici, cela va au-delà de la crainte de perdre le contrôle, il y a également celle de mourir, relève Laetitia Klado. On peut essayer de calmer cela avec l’hypnose mais cela relève davantage de la psychothérapie. » Les hypocondriaques vont passer leurs vacances à inspecter leur organisme en quête de signaux alarmants et finiront par déclencher « des sensations épouvantables, capables de les terroriser. Ils sont de véritables virtuoses dans leur capacité à créer des symptômes physiques dont ils s’épouvanteront ensuite », remarque le thérapeute. Bien souvent, le patient sera même déçu lorsque les résultats d’un examen médical seront négatifs et les remettra vite en cause, pour en faire d’autres. Une ornière dont il sera difficile finalement de sortir sans accompagnement. L’auteur de Dépasser les limites de la peur évoque néanmoins le cas d’une femme soignée en une poignée de jours. Il lui demanda d’abord d’arrêter complètement d’évoquer son souci d’hypocondrie dans son entourage. « Quand vous parlez de votre phobie, afin de chercher à vous rassurer, vous la renforcez. C’est comme si vous arrosiez une plante avec un fertilisant spécial, pour qu’elle grandisse encore plus », lui expliqua-t-il avant de l’intimer de s’inspecter trois fois par jour devant le miroir, durant une semaine, et de noter tout symptôme qui lui semblait suspect… Au bout de l’expérience, la dame se considéra rétablie, avouant qu’elle s’était sentie ridicule d’agir ainsi devant sa glace et de relire ce listing écrit chaque jour.

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