Minimalisme : Trier, vider pour vivre mieux
Nous sommes de plus en plus nombreux à désencombrer notre logement, avec l’intention de mettre de l’ordre dans notre vie intérieure. On fouille dans les placards de cette philosophie de développement personnel par le tri.
Il parvient à quantifier ce dont il ne peut se séparer, l’indispensable qui lui permet de faire face, comme il le souhaite, à chaque situation : cinquante objets pour voyager (d’un pays à l’autre durant des mois), une centaine quand il se sédentarise à Bruxelles. Toute sa garde-robe tient sur vingt-deux cintres. Grégory Laurent – qui a créé avec son frère le site leminimaliste.com – a radicalement changé son mode de vie. » J’ai voulu me recentrer sur l’essentiel, résume-t-il. Cela a commencé il y a plusieurs années, après la lecture d’un blog de mode masculin, bonnegueule.fr. Il privilégiait vraiment la qualité à la quantité, j’ai souhaité faire la même chose chez moi. Mais la vraie révélation, ça a été le livre de Bea Johnson. » Du best-seller sur l’approche zéro déchet (éditions J’ai Lu), le jeune Belge a tiré un défi personnel ludique, bouleversant sa façon de consommer et de stocker, en quelques semaines. Quid du bouquin qui a transformé son existence ? Il est parti vers d’autres destinées. Une fois lu et digéré, il n’avait plus sa place dans un intérieur débarrassé du superflu. Sur ses étagères, vous ne trouverez d’ailleurs qu’un ouvrage, Le comportement vainqueur, par Stefano Di Benedetto, un manuel de développement personnel. » Désormais j’emprunte à la bibliothèque. Si l’ouvrage que je souhaite consulter ne fait pas partie de leur fond, je l’acquiers pour le lire et je le donne ensuite « , explique-t-il, estimant qu’être minimaliste, c’est avant tout » savoir refuser « , plutôt que de jeter : » On est constamment abordés, que ça soit matériellement ou immatériellement. On nous propose d’acheter des choses que nous n’avons pas demandées. Rien qu’en déclinant, il y a beaucoup en moins. »
Parfois, le bazar est tellement là, tellement proche, qu’on a l’impression qu’il fait comme un gros câlin.
Dire non à la nouvelle crème miracle affichée en quatre par trois, non au joli chemisier rouge dans la vitrine, condamné à mourir seul dans le fond d’une penderie, mais dire non aussi aux flux d’informations quand ils sont trop envahissants, aux mails qui s’empilent, aux sollicitations de proches qui étouffent. Pour les minimalistes, la quête de l’essentiel s’applique à tous les domaines. » C’est un chemin, explique Judith Crillen, qui signe Minimalisme : La quête du bonheur et de la liberté par la simplicité(1). J‘adapte encore beaucoup de choses. En ce moment, c’est le fait d’éconduire des clients et des intimes, quand cela est nécessaire. Le rapport peut ne pas être évident en apparence, mais tout est lié « , assure l’auteure qui, comme de nombreux adeptes de cette pratique, fait état d’un » cercle vertueux « .
Sur leminimaliste.com, on lira par exemple, aux côtés de bienfaits plus visibles sur les économies et l’écologie, que cette façon d’appréhender le monde permet de » faire des rencontres facilement » ou de » se libérer d’un travail du jour au lendemain « . D’autres évoqueront un regain de créativité grâce à un esprit plus clair ou des relations familiales nettoyées de certaines tensions. » Au départ, j’ai quitté mon travail pour passer plus de temps avec mes enfants et j’ai commencé à désencombrer parce que ça m’allégeait l’esprit, ça me permettait d’y voir plus clair, relate Judith Crillen, également à la tête du site Maman s’organise. De fil en aiguille, je l’ai fait de plus en plus et j’ai pris en compte, au-delà de l’encombrement matériel, celui de l’agenda, dans lequel j’avais énormément d’engagements ; je n’ai gardé que ce qui était vraiment important pour moi. Je suis informaticienne et j’étais très connectée, j’ai aussi décidé de limiter ma consommation digitale, les réseaux sociaux… Il y a une lutte contre les pulsions d’achat, mais aussi contre le besoin de remplir son planning, de multiplier les expériences, etc. »
Tri conscient
Thomas Siceaux est également convaincu que derrière cette envie d’épurer un lieu se cache une démarche de développement personnel, au point de se présenter comme un thérapeute par le tri. Après avoir notamment travaillé dans la décoration d’intérieur en réorganisant les biens existants, il s’est rendu compte de l’importance de la démarche et a développé sa méthode de » tri conscient » : » Je vais regarder les affaires et ce qu’elles racontent. Il s’agit de voir ses besoins, mais aussi de percevoir comment j’y réponds actuellement et ce que cela dit sur ma vie. La question que j’aime beaucoup, c’est : qu’est-ce que vous gardez réellement ? Souvent, les gens m’expliquent à quoi l’objet sert, comment il est arrivé dans leur existence, mais ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a derrière. Quand je pose la question, très vite mes interlocuteurs basculent et parlent d’émotions. » Une cliente associait tout le ressenti de sa grossesse à un tas de papiers devenus obsolètes, une autre a rangé et désencombré pour » faire la place » à une rencontre amoureuse.
Doit-on néanmoins tous habiter dans un intérieur dépouillé pour être heureux ? Sûrement pas, d’après l’auteur de Ciao Bazar (2). » ll faut juste savoir si vous êtes dans un réel confort ou dans un déni. Certains déclarent être bien dans un « bordel organisé », il faut simplement vérifier que ce n’est pas lié à un besoin de tout contrôler, de ne rien bouger, de tout avoir à portée de main. Le bazar, c’est quand on n’est pas en adéquation avec soi-même. Parfois, c’est juste une boîte en bordel devant laquelle on passe tous les jours et qui dérange. » Il y a une dimension très personnelle du rapport aux objets que pointe également Grégory Laurent : » Certains vont avoir besoin de 3 000 articles autour d’eux, d’autres seront plus heureux avec seulement 100. »
Comme on ne sait pas de quoi demain sera fait, on a tendance à accumuler autant que possible.
Il y a aussi une question de timing, de déclic, poursuit Thomas Siceaux. » Parfois, on a besoin d’être entourés pour être rassurés. Parfois, le bazar est tellement là, tellement proche, qu’on a l’impression qu’il fait comme un gros câlin. Il arrive qu’il nous soit nécessaire, comme une couverture. Il faut l’accepter. Mais je suis persuadé que surconsommation et surconservation sont deux racines importantes qui sont elles-mêmes nourries de la peur du manque et de la peur de gâcher. Derrière tout ça, il y a des craintes issues de blessures de l’âme. » S’alléger d’objets utilisés comme un cocon protecteur permettrait donc par extension de se libérer de poids intérieurs.
Le vrai bonheur
» Se dépouiller de ses affaires est bien davantage qu’un simple exercice de tri : cela permet de réfléchir à ce qu’est le vrai bonheur « , n’hésite pas à affirmer Fumio Sasaki, comme pour enfoncer le clou. Ce Japonais trentenaire est l’une des figures de proue du minimalisme. Succès d’édition à l’international, son livre, L’essentiel et rien d’autre, vient d’être publié en version française (3) et confirme l’engouement pour les ouvrages sur le sujet. » On pense généralement que la richesse matérielle est la clé du bonheur. Et comme on ne sait pas de quoi demain sera fait, on a aussi tendance à accumuler autant que possible. Pour cela, il faut de l’argent, alors on se met à juger les autres en fonction de leur richesse matérielle « , détaille-t-il en introduction.
Se dépouiller de ses affaires est bien davantage qu’un simple exercice de tri : cela permet de réfléchir à ce qu’est le vrai bonheur.
Si l’on en croit les photos, l’intérieur de l’auteur nippon se limite aujourd’hui à une grande pièce parquée qui accueille une table basse en journée, un matelas à la nuit tombée. Une approche extrême qui est loin de refléter le mode de vie de l’ensemble des minimalistes, mais qui visiblement inspire, dans une époque qui valorise la liberté de mouvement et d’action. Les tiny houses, ces micromaisons fonctionnelles aux allures de roulottes design, conquièrent un public de plus en plus large, jusqu’en Belgique (lire par ailleurs). Les nomades digitaux profitent de l’universalité du Web pour travailler depuis une plage indonésienne ou un coffee shop de Brooklyn, en voyageant léger. Même la mode va jusqu’à nous vanter les mérites du peu avec les wardrobes, ces » garde-robes capsules » qui invitent à faire tenir toutes ses pièces, exclusivement des vêtements adorés, sur un petit portant et à arrêter de garder celles qui ne sortent jamais des placards. Besoin de s’éloigner des écrans, réflexion sur la surconsommation, nécessité de se sentir accueilli dans son intérieur ou envie de réorganiser son armoire à épices pour pimenter sa cuisine ; peut-être portons-nous tous en nous la graine du minimalisme.
(1) Minimalisme : La quête du bonheur et de la liberté par la simplicité, par Judith Crillen, Rustica.
(2) Ciao Bazar, par Thomas Siceaux, Le Courrier du Livre.
(3) L’essentiel et rien d’autre, par Fumio Sasaki, Guy Trédaniel éditeur.
MODE D’EMPLOI
Concrètement, comment fait-on ? Conseils d’experts…
» Si vous attendez d’avoir du temps, vous ne l’aurez jamais, c’est le moment « ,assure Fumio Sasaki, qui suggère de se débarrasser d’un objet, là, maintenant, tout de suite !
Recommandation numéro un de la méthode Marie Kondo (*), la papesse du tri aux millions de livres écoulés : demandez-vous, face à chaque objet, si celui-ci vous apporte de la joie. C’est non ? Alors il est temps de lui dire adieu.
Si vous avez peur de regretter votre choix de vous séparer d’un bien, Thomas Siceaux propose d’utiliser des pastilles. Coller une gommette de couleur sur un objet, et associez-y une date butoir. Si vous utilisez l’article avant ce délai, il a sa raison d’être chez vous, retirez la pastille. Si cette dernière est toujours là le jour J, c’est que l’objet n’est pas essentiel pour vous.
Pour débuter de manière ludique, tentez le MinsGame, un défi d’un mois imaginé par Ryan et Joshua du blog et podcast The Minimalists. Le premier jour, séparez-vous d’un objet ; le deuxième, de deux… A la fin, votre intérieur sera plus léger de près de 500 objets. Judith Crillen a relevé le challenge et en parle sur mamansorganise.com
Par où commencer ? Grégory Laurent invite à l’imiter : on s’attaque à la garde-robe et on laisse les parties les plus chargées en émotions (comme les accumulations de souvenirs) pour la fin.
(*) La magie du rangement, par Marie Kondo, First/Pocket.
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