Oliver Burkeman : « Nous n’avons que 4000 semaines à vivre, comment en profiter pleinement? »

© Charlotte Severeyns
Nathalie Le Blanc Journaliste

Nous vivons en moyenne 80 ans, soit 4.000 semaines. Dans un essai qui vient de paraître, le Britannique Oliver Burkeman nous explique comment les remplir au mieux afin de n’avoir aucun regret le jour du grand départ. Rencontre.

Vous n’arrivez jamais à mettre de l’ordre dans votre vie et votre to-do list ne cesse de s’allonger? C’est très bien, selon le journaliste britannique Oliver Burkeman, car le perfectionnisme n’a jamais rendu personne heureux. En revanche, se résigner à l’imprévisibilité et à la finalité de la vie, et ne plus les considérer comme des problèmes à résoudre, rendra votre existence beaucoup plus douce. Son best-seller, vendu à plus d’un million d’exemplaires, est désormais disponible en français. 4.000 semaines. Antimanuel de gestion du temps à l’usage des mortels nous invite à accepter nos limites et à passer à l’action.

Nous connaissons tous à peu près la recette du bonheur, mais nous ne la suivons pas, ou pas assez.

Souvent, nous pensons que tout va changer tout seul, si nous savons ce qu’il y a de mieux à faire. Mais ce n’est pas le cas. Je ne lance pas vraiment de nouvelles idées, je fais plutôt le point sur la situation: la vie est limitée, la productivité n’est pas l’objectif ultime d’une existence, et nous accordons souvent du temps à des futilités. J’essaie de mettre l’accent sur des choses que nous connaissons déjà. Mon livre a pour but de rendre évident ce que nous savons déjà inconsciemment.

Nous savons tous que nous avons besoin de sécurité, d’une vie qui a du sens, d’une bonne santé, de relations solides et de suffisamment de temps dans la nature. Je cherche à savoir comment mettre tout cela en pratique. Comment trouver la paix à une époque qui semble définie par l’agitation, comment ne pas se sentir comme un imposteur, comment améliorer nos relations intimes, comment faire face aux crises mondiales, comment apprendre à gérer le fait que l’on a peu de contrôle sur beaucoup de choses… Bref, comment être un être humain au début du XXIe siècle.

Conseil N°1: pagayez

La vie, c’est un peu comme naviguer en kayak sur une rivière, jusqu’à une fin imprévisible mais inévitable, affirme Oliver Burkeman. Parfois, l’eau est calme, parfois il y a des rapides, la situation reste fragile mais passionnante. Vous êtes à la merci du courant, et tout ce que vous pouvez faire, c’est rester vigilant, diriger du mieux possible votre embarcation et réagir avec sagesse et élégance aux imprévus. Seulement, ce n’est pas ce dont nous rêvons. Nous préférerions être capitaines d’un super yacht dans des eaux calmes, traçant méticuleusement notre route depuis le pont.

De nombreuses idées de développement personnel alimentent ce fantasme, mais la sécurité et le contrôle enlèvent toute saveur à la vie. La vérité, c’est que vous êtes toujours dans le kayak, jamais sur le yacht, et que vous essayez de diriger votre kayak sur les quelques mètres suivants. Cela ne demande ni connaissances ni efforts, ni volonté ni routine, il suffit d’agir. Pagayer est le seul moyen d’avancer.

«Vous aurez l’impression de ne pas savoir ce que vous faites, mais c’est le cas de tout le monde.» L’essentiel est de réaliser que la vie est semi-contrôlable, affirme Oliver Burkeman: «Engagez-vous, entrez en contact avec les autres, planifiez et rêvez, saisissez les opportunités et soyez ambitieux. Mais gardez à l’esprit que cela ne signifie pas que les choses se passeront comme vous l’avez prévu ou imaginé.»

Le fait est que nous sommes tous des individus, et certains cherchent une approche plus vague, d’autres ne croient qu’en la science, et d’autres encore préfèrent une démarche claire et sans inepties.

C’est vrai. Je ne suis pas dans le camp de la légèreté, c’est évident. (rires) Aujourd’hui, beaucoup de gens sont en quête d’explications neuroscientifiques, ils veulent savoir ce qui se passe dans leur cerveau quand quelque chose leur arrive, parce que cela porte le sceau de la vérité établie.

C’est logique, mais plus je vieillis, plus je comprends ceux qui préfèrent une approche un peu plus «new age». Je suis moi-même quelqu’un qui aime les explications intellectuelles, plutôt que de croire aveuglément aux choses, et c’est donc aussi ce que je recherche. Mon approche est terre à terre, sans fioritures, directe.

Conseil N°2: optez pour une liste de choses faites

Nous sommes tous esclaves de nos listes de choses à faire, qui vont des tâches pratiques à «atteindre notre plein potentiel». Cela signifie que nous nous levons presque tous les matins avec une sorte de dette de productivité, déclare Oliver Burkeman. Nous n’arrivons jamais à la fin de cette liste, car il y a toujours quelque chose qui s’y ajoute, ce qui enlève tout le plaisir de la vie. C’est pourquoi il propose de faire une liste de choses faites.

Notez ce que vous avez fait aujourd’hui et comparez cela avec ce qui se serait passé si vous étiez resté au lit. Vous serez beaucoup plus heureux, car votre journée n’est plus une dette de productivité, mais une occasion d’ajouter quelques éléments à la liste de vos accomplissements. De plus, il y a de fortes chances que vous fassiez naturellement de meilleurs choix quant à ce sur quoi vous concentrer.

Nous avons longtemps su très peu de choses sur le fonctionnement du monde qui nous entoure. Notre obsession de savoir et de comprendre comment les choses fonctionnent est assez récente et n’est pas nécessairement utile pour mener une vie agréable.

C’est lié à nos attentes. Nous voulons comprendre pourquoi les volcans entrent en éruption, comment les enfants apprennent ou comment les maladies apparaissent, mais même lorsque nous y parvenons, nous ne pouvons pas les prédire, les expliquer parfaitement, les prévenir ou les résoudre. Cela pose problème tant à la société qu’aux individus. Mais réfléchissez à la confusion et au danger qui régnaient dans la vie des hommes préhistoriques, par exemple, et à la façon dont ils trouvaient malgré tout du plaisir et de la satisfaction. Le plaisir et la satisfaction doivent être trouvés ici et maintenant, oui, même au milieu de la confusion et du danger.

C’est quoi pour vous la vraie sagesse?

Selon moi, la véritable sagesse ne réside pas dans le fait de comprendre comment fonctionnent la vie et le monde, mais dans le fait d’accepter que l’on ne comprendra jamais tout et de ne pas se laisser paralyser par cette fatalité. Quel problème pouvez-vous résoudre, quelle relation pouvez-vous améliorer et quel comportement pouvez-vous changer sans comprendre à 10% ce qui ne va pas? Beaucoup de choses, en fait.

Notre réalité est très complexe, et il n’y a rien de mal à ne pas savoir comment fonctionnent les relations amoureuses, comment élever ses enfants ou comment résoudre un conflit. Cela ne signifie pas qu’il y a un problème, et cela ne veut surtout pas dire qu’il ne faut pas agir. En attendant d’y voir plus clair, vous pouvez vous atteler à des tâches constructives et le savoir se construira en cours de route.

Conseil N°3: 10 minutes d’actualité

Rien ne va plus dans le monde, et ce constat est partout. Nous semblons destinés au doomscrolling, et on attend de nous, bons citoyens, que nous trouvions chaque nouvelle cruciale. Mais cela n’est pas tenable, avance l’auteur. Vous ne devez pas fermer les yeux, mais vous pouvez très bien vous tenir au courant de ce qui se passe en consacrant 10 minutes par jour à vous informer sur votre média préféré.

Et non, vous n’avez pas besoin de vous endurcir le cœur, vous avez bien sûr le droit de trouver certaines choses importantes et de vous engager pour elles. Mieux encore, Oliver Burkeman le recommande vivement. Mais choisissez vos combats et engagez-vous vraiment. C’est beaucoup plus efficace que de se tracasser pour tout et de ne rien faire.

Vous expliquez que beaucoup de gens aspirent à devenir LA personne qui fait X, Y ou Z, plutôt que de simplement vivre, et cela se remarque beaucoup dans la société. Ils lisent un livre, regardent un tutoriel, achètent une application et une tenue, mais ne passent jamais à l’action. Vous préconisez de simplement faire les choses sans trop réfléchir.

Je pense que c’est le résultat d’une combinaison entre la nature humaine et notre société de consommation. Le marketing nous dit ce dont nous avons besoin pour faire X ou Y avec l’assurance nécessaire, et c’est pourquoi beaucoup de nos projets deviennent des projets à long terme qui nécessitent de remplir toute une série de conditions préalables. Nous aimons avoir un système, un plan par étapes ou un mode d’emploi clair. C’est particulièrement vrai pour moi en ce qui concerne l’écriture. L’idée qu’il faut de l’inspiration pour écrire est parfois paralysante, alors que je sais pertinemment que c’est en commençant à écrire que l’inspiration vient.

Rien de tel que la pratique donc?

On apprend en faisant, pas en étudiant ou en planifiant comment on va faire. Si vous voulez écrire, jouer aux échecs, dessiner, danser, courir, jouer du saxophone, être un bon parent ou un bon partenaire, être une personne agréable, alors lancez-vous. Choisissez quelque chose qui vous tient vraiment à cœur et faites-le. Cinq minutes ou un quart d’heure. Aujourd’hui. Méditez cinq minutes. Ecrivez quelques paragraphes. Brodez, faites de la musique, cuisinez. Soyez 100% attentif lorsque votre enfant vous parle. Faites des compliments. C’est aussi simple que cela.

Conseil N°4: prenez des décisions

Chaque jour de notre vie est une succession de milliers de décisions, des plus banales aux plus importantes. Oliver Burkeman: «Les gens pensent souvent qu’ils ont besoin de plus d’informations avant de pouvoir prendre une décision. Repousser les choix leur semble plus confortable. Mais choisir n’est pas si difficile. Il suffit de se décider. Cependant, il faut être pleinement prêt à assumer les conséquences de cette décision. Prendre une décision sur laquelle vous avez une influence, c’est prendre conscience que vous êtes dans le kayak.

Cela se traduit généralement par un regain spontané de motivation. Mais il y a deux conditions importantes: votre choix peut être bouleversant ou insignifiant. Mais il doit avoir un effet dans la réalité. Il ne suffit pas de dire que vous avez pris une décision. Vous devez vraiment envoyer ce mail, vraiment appeler cette personne, vraiment faire cette promenade ou vraiment réserver ce restaurant. Faites-le.»

Apprendre, c’est aussi se mettre en danger?

Cela signifie que vous renoncez à une partie de votre contrôle, car vous ne savez pas si vous allez bien faire. Mais en réalité, cela n’a pas d’importance. Passer à l’action aujourd’hui est la seule façon de devenir vraiment le genre de personne qui fait X ou Y. Donc, si vous voulez faire plus de choses qui sont importantes pour vous, faites-les.

Vous dites aussi que tout peut arriver, à tout moment.

Qu’est-ce que ruminer, finalement? C’est le désir d’empêcher certaines versions de l’avenir de se réaliser, même si cela est impossible. Il est probable que le bâtiment dans lequel vous vous trouvez n’explosera pas, mais vous ne pouvez pas l’exclure totalement. Cela ne signifie pas pour autant que vous devez baisser les bras et abandonner. Comme l’écrivait Marc Aurèle: ne laissez pas l’avenir vous troubler.

Vous pouvez prendre des mesures, organiser les choses, acquérir de l’expérience. Et cela vous mènera déjà loin. Vous ferez face à ce qui arrivera dans le futur avec ce dont vous disposez déjà. Je suis moi-même quelqu’un qui rumine. Mais je sais par expérience que les choses semblent souvent plus difficiles quand on les imagine que lorsqu’elles se produisent réellement. Et quand quelque chose tourne mal, ce sont vos talents et votre expérience qui vous aideront. Pas le nombre d’heures que vous avez passées à ruminer.

Conseil N°5: profitez

Votre vie n’est pas une répétition générale, c’est la représentation. Alors, autant en profiter au maximum, estime l’auteur. «Le présent n’est pas une préparation pour plus tard, quand tout sera réglé et se déroulera sans accroc. Il y aura toujours des problèmes, alors peut-être devriez-vous commencer dès maintenant à faire les choses que vous prévoyez pour votre retraite.» Commencez par essayer de vous amuser une heure par jour. Ce que vous ferez dépendra de vous, mais trouvez ce qui vous convient. N’oubliez pas non plus que l’on ne fait pas des choses agréables pour se créer des «souvenirs», mais pour profiter du moment présent. N’essayez pas de tirer le maximum de chaque instant pour vous garantir du plaisir plus tard. Ne collectionnez pas les expériences, ne vous forcez pas à en être reconnaissant ou à les vivre «consciemment». Profitez simplement. Les expériences sont là pour être vécues maintenant, pas pour être conservées pour plus tard.

On vous a déjà qualifié de rabat-joie parce que vous rappelez à vos lecteurs que la vie est éphémère et que rien n’est parfait.

J’ai été un peu surpris quand les gens ont pensé que 4.000 semaines traitait de la mort. Ce n’est pas du tout comme ça que je le vois. C’est un livre sur la finitude et les limites, mais aussi sur le réalisme. C’est différent, non? Je n’ai pas l’impression d’être mieux armé que les autres pour affronter l’idée de ma mort. D’une certaine manière, cette idée dépasse mon entendement.

Je ne peux pas conceptualiser ma propre mort. Mais je peux conceptualiser le fait que j’ai vingt mails auxquels des gens attendent une réponse. Et que je ne vais répondre qu’à dix d’entre eux. Je vais tolérer le malaise que me causent ces dix mails laissés sans réponse. Car ils n’ont en réalité aucune importance.

Oliver Burkeman en bref

  • Ce journaliste et auteur britannique est né en 1975.
  • Il écrit entre 2006 et 2020 la chronique hebdomadaire «This column will change your life» dans The Guardian.
  • Il signe une newsletter bimensuelle, The Imperfectionist.
  • En 2025, son essai 4.000 semaines. Antimanuel de gestion du temps à l’usage des mortels, est traduit en français aux éditions First.

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