La dysmorphophobie: quand votre miroir vous ment et vous gâche la vie
L’obsession de la dysmorphie corporelle ou la dysmorphophobie est un trouble peu connu qui nous donne une vision amplifiée de ce que l’on considère comme des défauts. Qu’en est il du ressenti profond des personnes qui en sont atteintes?
« Il m’est impossible de me regarder dans le miroir et me dire: « Ah t’es bien aujourd’hui » ». « Me voir dans un miroir ou en photo, c’est douloureux, c’est vraiment douloureux »… Avoir horreur de se regarder dans le miroir, se détester et voir tous ses petits défauts amplifiés au point de ne plus parvenir à vivre « normalement », c’est ce que ressentent Sarah, Julie et toutes les personnes atteintes de dysmorphophobie. Un terme derrière lequel se cache un trouble mental qui, à ce jour, toucherait entre 2 et 3% de la population.
Julie et Sarah ont accepté de nous livrer un bout de leurs histoires pour nous permettre de mieux comprendre comment la dysmorphophobie peut bouleverser une vie. Ces deux témoignages évoque une dysmorphophobie liée à la silhouette et au poids. Mais bien évidemment, ce trouble peut apparaître pour n’importe quel petit « défaut », et se manifester à cause d’un nez (jugé) trop gros, de cheveux typés, d’une pilosité trop importante, d’oreilles décollées, etc.
Invisible aux yeux de la société, omniprésent pour ceux qui en souffrent
« J’évitais les sorties à la plage avec mes amies. Je ne voulais pas y aller. Je savais très bien que j’allais me voir énorme alors qu’elles seraient parfaites ». « Ma meilleure amie fait une fête tous les ans au bord de sa piscine. Soit je n’y allais pas, soit j’y allais mais volontairement sans mon maillot et j’étais alors la seule à rester en pantalon et en pull, même en pleine canicule. » Que ce soit pour Sarah ou Julie, se montrer en public est une source de stress si intense qu’elles en sont venues à mettre en place des stratégies d’évitement de toutes les situations qui les confronteraient à leurs « défauts ».
« Les personnes ont tellement honte de leurs souffrances que justement, elles n’en parlent pas »
Au-delà de ce mal-être intérieur donc, cette souffrance entraîne des relations sociales très compliquées. Et cela à cause d’un autre problème: le manque de visibilité. La dysmorphophobie est un trouble peu connu, on ne s’imagine pas toujours que nos amis peuvent en souffrir. Quand une amie annule une journée à la plage, on peut facilement le prendre pour soi, et ne pas voir plus loin.
Julie exprime bien la répercussion de son mal-être sur ses relations sociales: « Ça crée des situations de tensions parce que les personnes pensent que tu ne t’amuses pas, que tu n’as pas envie d’être là, que tu fais faux bond, ou que tu n’es pas fiable. Alors que c’est bien plus profond que ça. » Comme le dit la jeune femme, les autres ne peuvent pas (ou si peu) se douter des combats intérieurs qui tourmentent les personnes atteintes de ce trouble. Un fossé se créé et les relations sociales se détériorent.
« Les personnes ont tellement honte de leurs souffrances que justement elles n’en parlent pas. Une tendance qui va continuer à invisibiliser ce trouble aux yeux des autres », nous explique le docteur Serge Gozlan, psychiatre au CHU Brugmann, spécialisé dans les troubles anxieux.
« Je ne supporte pas qu’on me prenne en photo, même dans les moments importants de vie, comme les mariages et les anniversaires. Je suis la première à proposer de prendre les photos mais je n’apparais jamais dessus. On dirait que je suis absente… » Julie raconte les conflits qu’il y a pu avoir entre elle, qui ne supporte pas se voir, et ses proches, qui veulent juste avoir des souvenirs avec elle. Ce manque de traces de moments ensemble peut être dur à vivre, tant pour l’entourage que pour la personne concernée.
La dysmorphophobie sort accompagnée
« La dysmorphophobie entraîne de l’anxiété, et peut même entraîner de la dépression. Et rares sont les personnes qui ne souffrent que de dysmorphophobie » poursuit Serge Gozlan. C’est là toute la différence avec un complexe. En effet, une personne peut être (très) complexée sans conséquences « graves » sur sa vie quotidienne. Dans le cas de la dysmorphophobie, la pensée du défaut est tellement obsédante que cela va, au minimum, générer de l’anxiété. « Pour moi, ça fait partie d’un spectre. Tous mes troubles sont un peu liés, parfois je vais être plus du côté anxieux, parfois plus dépressive, et parfois c’est ma dysmorphophobie qui prend le dessus » nous confie encore Julie.
Et tel un cercle vicieux, on retrouve la source de cette anxiété dans les conséquences supposées de ses défauts, sur la vie quotidienne. Le docteur Gozlan donne l’exemple d’une personne en surpoids ou qui se pense en surpoids, « elle ne va pas s’autoriser à se montrer en maillot par exemple. A chaque fois c’est parce qu’elle a peur des conséquences. Peur que des personnes fassent des remarques ou se moquent d’elles. Les personnes atteintes de dysmorphophobie vont sur-réfléchir aux conséquences de leur exposition aux autres. Et bien évidemment, leur cerveau ne retiendra que les mauvais scénarios ».
C’est ce mécanisme qui entraîne de l’anxiété, une phobie sociale, voire même des épisodes dépressifs. Ce trouble mental tend à l’isolement des personnes qui en souffrent, alors que la validation des autres pourrait justement les aider. Mais à l’ère d’internet et des réseaux sociaux, le renvoi constant de son image et de celle des autres complique encore plus ces troubles anxieux.
L’ère du smartphone: quand le monde ne devient que miroir
« On est vraiment dans le règne de l’apparence. Je crois que c’est un record dans l’histoire de la chirurgie esthétique. La grande majorité des patients ont maintenant moins de 30 ans », se désole le docteur Gozlan qui met ainsi en avant le fait qu’avec les réseaux sociaux et les nombreuses photos retouchées qu’on y scrolle, la dysmorphophobie augmente énormément. « Il faut avoir une force d’esprit énorme pour ne pas se comparer aux autres, ajoute Julie. Mais, en fait, pour moi c’est même impossible puisqu’on est toujours confronté à des interactions sociales ». Et quand on se compare aux photos retouchées, on n’a, en effet, pas beaucoup de chances de notre côté. Les réseaux sociaux peuvent alors vite devenir toxiques et conforter leur audience dans la fausse idée d’un corps parfait.
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L’origine du mal
« On me traitait de grosse à l’école, très très souvent. A une époque, on était deux Julie dans mon année. Pour nous distinguer, ils l’appelaient Julie et son nom de famille, et moi c’était « Julie la grosse » ». De son côté, Sarah a elle aussi eu le droit à ce genre de moquerie à cause d’un léger surpoids étant petite. Si un enfant ne voit souvent pas certaines particularités, il peut aussi facilement mettre le doigt sur l’une d’entre elles, parfois de façon tout à fait innocente. Le problème est que, ces remarques – parfois jugées anodines par l’entourage – vont être particulièrement mal vécues par celui ou celle qui les reçoit.
« Les moqueries, d’où qu’elles proviennent, peuvent avoir un impact psychologique très grave et des répercussions mentales et psychologiques très dures qui occasionneront beaucoup de souffrance. Et ça même chez les jeunes enfants. Ce n’est pas un phénomène propre aux adolescents », insiste le docteur Gozlan, qui prône une sensibilisation des plus jeunes aux conséquences du harcèlement. Des moqueries à l’âge de sept ans peuvent créer une blessure psychologique qui sera encore présente à l’âge adulte. À n’importe quel âge, elles sont les premiers facteurs à favoriser le développement du trouble dysmorphophobique.
Evidemment, les causes de la dysmorphophobie peuvent être multiples et parfois floues. Et les remarques d’adultes sur le physique d’un enfant ou d’un adolescent peuvent avoir des répercussions terribles, d’autant plus que dans ce cas, la parole émane d’une personne faisant autorité. Dire à son enfant qu’il est « bouboule », qu’il est trop maigre, ou qu’il n’a pas beaucoup de cheveux peut, si ce n’est le complexer, déclencher des troubles du comportement alimentaire ou des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), par exemple, dans les cas les plus graves.
« Les personnes les plus sensibles peuvent avoir des prédispositions » nous explique enfin le docteur Gozlan. Bien souvent, il s’agit d’un mélange de plein de facteurs, aux origines complexes. L’environnement de l’enfant a donc un impact plus ou moins grand en fonction de la sensibilité de ce dernier.
Comment savoir si je suis atteint.e de dysmorphophobie?
Le manuel MSD, ouvrage de référence en termes de diagnostic, décrit trois grands axes pour reconnaître une dysmorphophobie:
– les personnes atteintes du trouble vont passer plusieurs heures par jour – et chaque jour – à penser et à angoisser au sujet de leur supposé défaut. Elles vont mettre en place des stratégies d’évitement (fuir les activités sociales), développer des TOC (se laver et/ou se changer plusieurs fois par jour, se regarder tout le temps dans le miroir), engager des traitements médicaux/chirurgicaux, parfois à répétition (prise d’anabolisants pour les hommes, chirurgie esthétique, traitements dentaires superflus, parfois à répétition…)
– cette préoccupation pour le ou les défaut(s) entraîne une réelle souffrance et détresse psychologique, allant parfois jusqu’à l’isolement social. Notons que 80 % des personnes atteintes de dysmorphophobie ont des pensées suicidaires
– la dysmorphophobie est accompagnée par d’autres troubles, comme des troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimie…), des TOC, des troubles anxieux et dépressifs.
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