L'obsession de votre ado pour le fitness est-elle saine? Getty Images
L'obsession de votre ado pour le fitness est-elle saine? Getty Images

Ado accro à la salle: l’obsession de votre enfant pour la muscu est-elle vraiment saine?

Annelies Waegemans Journaliste

Le fitness fait toujours plus d’adeptes chez les ados – entrez dans n’importe quelle salle de sport et vous le remarquerez immédiatement. Mais cela soulève quelques questions pour leurs parents : dans quelle mesure un entraînement fanatique est-il sain, ont-ils besoin de suppléments ou est-ce de la foutaise, et comment guider sainement votre enfant vers ce corps musclé tant convoité sans que cela ne vire à l’obsession ? Nous avons demandé conseil au médecin du sport Tom Teulingkx et à la psychologue Gudrun Hespel.

Tous ceux qui ont franchi récemment la porte d’une salle de sport peuvent le confirmer : le fitness, et en particulier la musculation, est en plein boom chez les ados. Les garçons, en particulier, s’y adonnent plusieurs fois par semaine et complètent leur programme d’entraînement par la consommation d’une boisson protéinée quotidienne afin d’accélérer le développement musculaire. Un engouement que Tom Teulingkx, médecin généraliste, médecin du sport et président de l’Association of Sports and Exercise Physicians, explique en partie par la pandémie de COVID.

« Tous les sports d’équipe ont été interrompus et nous constatons que beaucoup de jeunes n’ont pas abandonné leur hobby pour autant et se sont mis à faire de la musculation. Pendant le confinement, les ventes de poids et d’appareils de fitness ont explosé. Peut-être que beaucoup d’adolescents ont commencé à s’y mettre d’eux-mêmes à ce moment-là ».

Tom Teulingkx

Mais ce n’est pas la seule explication : nous vivons à une époque où l’apparence est également devenue très importante pour les garçons, et pour plaire, il leur semble indispensable d’être musclés, décrypte la psychologue et coach personnelle Gudrun Hespel. « Maintenant que les rôles classiques des hommes et des femmes ont disparu, les garçons cherchent leur place dans la société, et les muscles sont synonymes de masculinité. En outre, nous vivons dans une société où l’apparence joue un rôle important, en raison des médias sociaux, mais aussi des applications de rencontre comme Tinder, où vous êtes littéralement jugé sur ce à quoi vous ressemblez. Beaucoup de mecs pensent : je dois être beau pour compter. Chez les femmes, il existe actuellement un contre-mouvement de body positivisme très fort, mais il n’y a pas d’équivalent chez les hommes » pointe-t-elle.

Les rôles classiques des hommes et des femmes ayant disparu, les garçons cherchent leur place dans la société, et les muscles exsudent la masculinité.

Gudrun Hespel

Psychologue et coach

Un mal pour un bien?

TikTok et Instagram regorgent de vidéos de jeunes aux torses dénudés, fiers du résultat de leur dur labeur en salle de sport. Et les influenceurs de mettre également ces canaux à profit pour partager des conseils sur la manière de développer le plus de muscles possible le plus rapidement possible, ainsi que sur le bulking, le dirty bulking et le cutting. Et si les parents sont ravis de voir leur ado sortir enfin de derrière la PlayStation, ils sont aussi très inquiets de cette soudaine obsession pour le fitness. Car au fond, un entraînement aussi strict est-il sain pour un corps en pleine croissance ? Et n’y a-t-il pas aussi beaucoup de cochonneries dans ces shakes protéinés et autres suppléments ?

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Pour Tom Teulingkx, la popularité actuelle du fitness est avant tout une bonne chose, même s’il a quelques inquiétudes : « Tout ce qui incite les jeunes à faire de l’exercice est positif. Après tout, il n’y a rien de mal en soi à aller à la salle de sport, à condition de suivre un programme équilibré, à savoir une combinaison d’exercices de musculation et de cardio. Le problème, c’est que pour beaucoup de jeunes, l’accent est mis sur la musculation. Ce qui nous préoccupe, c’est que les jeunes font de l’exercice trop souvent, et surtout, sans accompagnement. Pour un abonnement dans les centres de fitness bon marché, vous payez un prix fixe : que vous vous entraîniez une heure par semaine ou six fois deux heures, c’est le même montant. Et ces centres sont bon marché pour une raison : il n’y a pratiquement pas d’encadrement ».

Les personnes qui pratiquent la musculation gagnent beaucoup de poids en masse musculaire en peu de temps, mais sans cardio supplémentaire, leur corps n’est pas assez puissant pour supporter ce poids.

Tom Teulingkx

Médecin du sport

Gare aux blessures

Or cela fait belle lurette que les médecins du sport préconisent une surveillance obligatoire des jeunes dans les centres de remise en forme par des professionnels, explique le Dr Teulingkx. « Les mineurs devraient recevoir un programme d’entraînement adapté à leurs besoins et faire l’objet d’un suivi lors de leur inscription. Car ce qui se passe aujourd’hui, c’est que les ados cherchent des programmes en ligne qui promettent des résultats rapides, ou copient les entraînements des autres ou, pire, des adultes. Ils se concentrent alors principalement sur la levée de poids, souvent en compétition les uns avec les autres. Ils s’entraînent de manière trop unilatérale, en se concentrant sur le haut du corps ».

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Et Tom Teulingkx en voit les conséquences dans sa pratique : « Je reçois parfois des jeunes avec des blessures graves, comme des tendons d’épaule arrachés. Ceux qui pratiquent la musculation de manière fanatique prennent beaucoup de poids en masse musculaire en peu de temps, mais sans cardio en prime, le corps n’est pas assez puissant pour supporter ce poids supplémentaire. D’où notre appel aux chaînes de fitness : prenez soin de vos jeunes abonnés, guidez-les, veillez à ce qu’ils fassent de l’exercice de manière responsable. Je pense que si vous informez bien les jeunes, ils prendront vraiment leurs responsabilités. Vous n’enverriez jamais un ado en voiture sur la route sans leçons de conduite ni examen au préalable, si ? ».

Quant à la possibilité d’imposer une limite d’âge obligatoire, comme pour d’autres activités, le bon Dr Teulingkx n’en voit pas la nécessité. « Vous pouvez bénéficier d’un entraînement musculaire à tout âge, à condition qu’il soit adapté à votre croissance. À partir de 16 ans, vous pouvez commencer à utiliser des poids. Avant, il est préférable de se limiter à des exercices avec le poids du corps. Quel que soit l’âge que vous avez, la musculation doit être développée progressivement, avec un programme solide et des jours de repos réguliers, si l’on ne veut pas nuire à son corps ».

Mes parents voient que le sport me rend heureux et ne veulent pas m’en priver, mais ils gardent un œil sur moi.

Micklo (17 ans)

Plus qu’un simple hobby

Mais qu’est-ce que les jeunes apprécient tant dans ces heures passées à la salle de sport ? Micklo (17 ans) se rend à la salle quatre à cinq fois par semaine depuis une dizaine de mois et raconte.

« Pour moi, le fitness est plus qu’un hobby ou un simple sport, je m’y suis fait des amis, explique-t-il. L’ambiance de la salle est super bonne: lorsque j’ai commencé, les gens venaient parfois spontanément m’aider ou me donner des explications. Maintenant, j’essaie de rendre la pareille aux autres. Parfois, on me demande des conseils ou de bons exercices pour entraîner tel ou tel muscle. Je trouve ça super cool et je suis toujours ravi d’aider celles et ceux qui me le demandent. D’autant que le fitness ne doit pas non plus être ennuyeux. En ce qui me concerne, je suis le programme push-pull-leg, bien connu de ses adeptes : les jours de « push », vous faites des exercices où vous devez « pousser », ce qui fait travailler la poitrine, les jours de « pull », vous faites travailler les muscles du dos et les bras, et puis les jambes quand c’est leg day. Je fais également des exercices de musculation à chaque fois. Vous pouvez varier votre programme en fonction de vos envies et de vos objectifs. Lorsque j’ai commencé, j’ai reçu l’aide d’un ami de mon père qui est entraîneur personnel, mais j’ai appris la plupart des choses par moi-même, en cherchant et en lisant. Je m’intéresse également beaucoup à la nutrition. Je limite les boissons protéinées, car on peut aussi absorber des protéines avec ce qu’on mange. Au bout d’un certain temps, cela devient une habitude : pour le petit-déjeuner, il suffit de préparer rapidement un œuf avant de remplir un bol de céréales. Et comme mes parents travaillent beaucoup, j’ai déjà l’habitude de me faire à manger ».

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Quant à savoir si ses parents s’inquiètent de son nouveau hobby, Micklo assure qu' »ils gardent toujours un œil sur moi et vérifient que je fais de l’exercice en toute sécurité. Ils m’ont posé beaucoup de questions, surtout au début, et j’ai vu que mes réponses les rassuraient. J’ai aussi toujours été très ouvert avec eux sur ce que je faisais. Ils voient que le fitness me rend heureux et ne veulent pas m’en priver. Je conseillerais donc aux parents concernés d’en parler, de s’informer. Et de trouver un compromis si vous n’êtes pas d’accord avec quelque chose, parce que cela fonctionne mieux que l’interdiction ». 

La satisfaction que j’éprouve chaque fois que je vais à la salle de sport me donne l’impression de bien faire et de mettre de l’ordre dans ma vie. Je me sens beaucoup mieux dans ma peau aujourd’hui que l’année dernière ».

Micklo (17 ans)

Au secours, mon ado est accro au fitness

Pour la plupart des jeunes, Micklo en tête, le fitness est un passe-temps agréable, mais pour certains, cela devient une obsession, et c’est alors dangereux, met en garde Tom Teulingkx.

« Le problème, c’est qu’on n’arrive pas au résultat désiré naturellement, et beaucoup des corps qu’on voit en ligne sont dopés. Les jeunes se lancent alors dans tout un système alimenté par les réseaux sociaux qui n’est vraiment pas sain, de la prise de masse (absorber autant de calories que possible et les convertir en masse musculaire, ndlr) à, pire, la prise de masse sale (où l’on absorbe ces calories de manière malsaine, par exemple avec des fast-foods, ndlr). Ils commencent par la supplémentation, avec des poudres de protéines (qui peuvent contenir des traces de produits interdits) et de la créatine, jusqu’aux compléments pré-entraînement qui contiennent facilement 300 mg de caféine (à titre de comparaison, une tasse de café contient environ 30 mg de caféine, ndlr). Quand on en arrive là, ce n’est plus un hobby mais bien un trouble du comportement alimentaire. Sans parler des risques liés à la prise de substances interdites ».

La thérapie par le fitness

Heureusement, la plupart des jeunes n’en arrivent pas là, rassure Gudrun Hespel.

« La grande partie d’entre eux savent que l’image idéale de la statue grecque n’est pas réaliste ; ils se contentent juste d’un peu plus de définition musculaire » assure celle qui estime que le fitness peut aussi contribuer à donner aux jeunes une image plus positive d’eux-mêmes et à renforcer leur confiance en eux. « La puberté est une phase de grande insécurité. Votre corps change très rapidement et, en tant qu’adolescent maigrichon, vous vous comparez aux hommes adultes sculptés que vous croisez à la salle de sport : ce n’est pas flatteur, mais les adolescents qui ont une image saine d’eux-mêmes peuvent y faire face. Tant que l’insécurité ne prend pas le dessus, il n’est pas nécessaire de problématiser cette comparaison. Pour la plupart des ados, le fitness n’est qu’une activité distrayante. Il est agréable pour eux d’être en meilleure forme, de renforcer leur corps et de voir les résultats de leurs efforts dans le miroir. Le sentiment de travailler sur soi-même peut donner une énorme confiance en soi ».

C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Micklo : « L’année dernière, j’ai traversé une période où je me sentais vraiment mal dans ma peau et le fitness m’a permis de sortir de ce gouffre. Lorsque vous avez une mauvaise image de vous-même, c’est un excellent moyen de vous « améliorer », et je ne parle pas seulement du résultat physique. Je fais désormais plus attention à mon apparence, à l’impression que je donne et même à la façon dont j’entre dans un lieu. Le fait de travailler sur moi-même, d’avoir un objectif et de le réaliser m’a donné plus d’assurance. La satisfaction que j’éprouve chaque fois que je vais à la salle de sport me donne l’impression de faire quelque chose de bien, de mettre de l’ordre dans ma vie. Je me sens beaucoup mieux dans ma peau aujourd’hui. Faire de la musculation m’a vraiment aidé de différentes manières ». Aux âmes bien nées, l’équilibre corpore sana et mens sane n’attend pas le nombre des années.

S’entraîner en toute sécurité? Les trois conseils de Tom Teulingkx:

-Vous pouvez solliciter les services d’un entraîneur personnel par l’intermédiaire d’un centre de remise en forme, mais veillez alors à vérifier la formation et l’expérience de ce dernier.

-Optez pour un entraînement varié axé sur trois composantes : le cardio, la stabilité du tronc et la musculation. Et il n’est pas nécessaire de faire du cardio dans un centre de remise en forme: la marche, le football et le vélo constituent d’excellents exercices.

– Beaucoup de jeunes boivent des boissons protéinées : en principe, vous n’en avez pas besoin et vous pouvez obtenir suffisamment de protéines par l’alimentation, mais les ados y succombent parce qu’elles promettent des résultats rapides. Ne vous contentez pas d’acheter des protéines en poudre en ligne ou à la salle de sport : de nombreux suppléments sont contaminés, c’est-à-dire qu’ils contiennent des produits interdits, souvent des hormones ou des stéroïdes. Surveillez ce qu’ingurgite votre enfant et demandez l’avis d’un médecin. La poudre de protéine pure est celle dite de 6D, que vous pouvez acheter en pharmacie.

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