Femmes fétiches| Racisées, elles racontent les stéréotypes sexistes qui leur collent à la peau

La chanteuse Thérèse © Agneskena

Peut-être encore plus que les femmes blanches, les filles racisées sont souvent définies par leur corps. Et les stéréotypes racistes qui leur sont accolés ne disparaissent pas dans la sphère romantico-sexuelle. Témoignages.

Propos recueillis par Sang Sang Wu
Photos: Agneskena

Imaina: « Coucher avec une Latina devient un point sur une check-list »

«Il me disait «T’es belle et sexy», il me mettait sur un piédestal et m’exhibait comme un trophée, mais je n’étais pas vraiment aimée pour ma personne.» Imaina, chanteuse belgo-bolivienne, revient sur sa première histoire d’amour dans un EP qu’elle a appelé Wounds (blessures, en anglais). A 18 ans, alors qu’elle revient dans le pays de son père pour y entamer ses études, elle rencontre un jeune homme qui comble son besoin de reconnaissance: «J’étais flattée qu’il s’intéresse à la culture bolivienne, j’avais tellement envie d’être acceptée en Belgique.»

Imaina
Imaina , copyright Agneskena © Agneskena

Durant leur relation, son ex-petit ami projettera une série de fantasmes sur Imaina, jusqu’à lui nier toute individualité. «Pour lui, toutes les Latina adoraient (montrer) leur corps et étaient folles de sexe. Il avait beaucoup d’attentes liées à la lingerie. Je devais être un être sexuel tout le temps, toujours belle, prête à tout au lit dans l’optique de lui faire plaisir. Mais en même temps, il fallait que je sois maternelle. Quand il rentrait à la maison, il me disait: «T’as pas cuisiné pour moi? Ta maman ne t’a pas appris à faire ça? Je pensais que les Latina savaient prendre soin de leur homme».»

La jeune femme se souvient de l’emprise qu’il exerçait sur elle. Si bien qu’elle se mettait elle-même la pression pour se plier à ses désirs. «J’avais la sensation de devoir faire une performance pour être aimée. Comme s’il avait commandé une marchandise (moi) et que je devais le satisfaire lui, en tant que client, pour qu’il ne se sente pas trompé.»

Sur les sites de rencontre, elle reçoit des propositions malsaines d’hommes voulant assouvir des fantasmes auprès de femmes-objets. «Ils se disent qu’avec elles, ils pourront tester une expérience. Coucher avec une Latina devient une mission, un point sur une check-list.» Ces expériences malheureuses ont eu un impact énorme sur sa santé mentale, même si elle a su rebondir grâce à son entourage bienveillant. «Quand on voit que ça arrive à d’autres, on se dit qu’on n’est pas folles, que ces préjugés font partie d’un système qui met les femmes racisées dans des cases sans leur permettre d’en sortir.»

Thérèse: « Les mecs frustrés projettent leurs fantasmes sur toutes les femmes, au fond »

Thérèse
Thérèse, copyright Agneskena © Agneskena

«Polie, soumise au lit, femme tigre, masseuse, Katsuni.» Dans sa chanson intitulée Chinoise?, la musicienne parisienne Thérèse Sayarath démonte avec humour ces mythes stéréotypés sur les femmes perçues comme asiatiques. «J’entends souvent que ces dernières veulent être dominées dans une espèce de jeu de rôle de soubrette, qu’elles savent prendre soin de leur conjoint ou qu’elles ont soi-disant un vagin plus petit et plus serré.» A 36 ans, la Française d’origine sino-lao-vietnamienne s’estime avoir été chanceuse, même si une certaine ambiguïté s’est parfois immiscée dans ses relations amoureuses.

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«Il m’est arrivé de sortir avec des hommes qui inconsciemment m’attribuaient certaines caractéristiques stéréotypées du fait de mes origines. Un de mes ex m’a dit plusieurs fois, sur des sujets différents: «De toute façon, vous les Asiatiques, vous êtes comme ceci.» Du coup, est-ce que c’était de la fétichisation et est-ce que la personne elle-même le savait? Est-ce que c’était juste des caractéristiques physiques qui lui plaisaient ou bien ça englobait un imaginaire malsain? C’est une question que je continue à me poser.»

La jeune femme estime que la question des goûts en matière de beauté n’est pas facile à trancher. «Je fais partie de celles qui pensent qu’il peut y avoir des préférences et qu’il est radical de dire que tout n’est que construction sur la base d’un imaginaire colonial. Mais il faut bien sûr se battre contre les stéréotypes et ne pas être dupes de l’inconscient collectif.» Elle incite les femmes à sortir de l’image stéréotypée pour réussir à s’individuer, sans toutefois s’empêcher de faire quelque chose qui serait perçu comme «cliché». «J’ai souvent entendu «Les Asiats sont des cochonnes», mais on dit ça aussi des femmes blondes, noires, maghrébines. Les mecs frustrés projettent leurs fantasmes sur toutes les femmes, au fond. Sur les sites porno, on est catégorisées (gros ou petits seins, l’âge, les femmes rondes, etc.) car tout est une excuse pour fétichiser et essentialiser. Toutes les femmes sont concernées.»

Selemani: « Ma couleur de peau est associée à une sexualité débridée »

Selemani
Selemani, copyright Agneskena © Agneskena

«Je ne pourrais pas faire ma vie avec un homme blanc.» D’origine congolaise, Selemani se considère comme «100% noire et 100% liégeoise». Du haut de sa vingtaine, cette étudiante et créatrice de contenus (@Selem.g) a bien conscience que sa décision peut paraître radicale, mais elle l’assume pleinement. «La seule fois où j’ai été en relation avec un homme blanc, j’ai ressenti de la fétichisation par rapport à mon corps. Au début, je ne me suis pas vraiment méfiée, même si certains signes auraient dû m’alerter. Parmi ses ex-copines, il n’y avait quasiment que des prénoms afro. Donc, est-ce que j’ai été choisie pour ma personnalité ou parce que j’étais noire? Lui ne s’estimait pas négrophile, mais un jour il m’a dit: «Le seul point commun entre vous toutes, ce sont vos grosses fesses».»

Sur le coup, la jeune femme sent bien que cela provoque un certain malaise, mais ne sait pas comment recevoir la remarque. «Une copine m’a dit que cet attribut physique était celui que les colons utilisaient pour parler des femmes noires.» En effet, leur corps a dans le passé fait l’objet d’une fascination malsaine. Symbole de la domination coloniale du XIXe siècle, la Vénus hottentote a été vendue en Afrique du Sud pour être exposée dans une cage, presque nue, lors de foires européennes. Cette femme était perçue comme une créature étrange à observer.
Pour Selemani, militante afro-féministe, cet imaginaire imprègne encore la manière dont son corps est vu. «Un jour, mon ex m’a appelée «gazelle» ou quelque chose dans ce goût-là. Je connais aussi des filles à qui on a dit de crier dans leur langue d’origine pendant l’acte. Ma couleur de peau est associée à une sexualité débridée, à de la sauvagerie, à de la frivolité ou à de la précocité… Alors que j’ai commencé à avoir des relations à plus de 20 ans!»

Depuis, la jeune femme se protège en n’ayant de relation qu’avec des hommes noirs. «Mon choix n’est pas de la fétichisation car ce n’est pas le fruit d’une histoire atroce liée à la colonisation. C’est juste plus sécurisant pour moi. Une relation, c’est censé nous faire du bien. Je n’ai pas envie de mener des combats politiques jusque dans mon lit.»

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