Polyamour: pourquoi est-il de plus en plus populaire?

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Mare Hotterbeekx
Mare Hotterbeekx Journaliste Knack Weekend

Tout le monde sait que l’on peut avoir plusieurs amis sans problème. Pourquoi devrions-nous limiter le nombre de nos partenaires? Le véritable amour n’a pas de limites ni de conditions, affirment les polyamoureux. Trois témoins se confient sur leur relation non conventionnelle, de la jalousie qu’il peut y avoir et des préjugés tenaces qu’il y a autour de ce genre de relation.

Dans la plupart des films hollywoodiens, ce sont encore souvent deux personnes blanches et hétérosexuelles qui tombent amoureuses, se marient, fondent une famille et passent le reste de leur vie ensemble. Dans la vraie vie, ce type de relation est de moins en moins une réalité. Les taux de divorce atteignent des sommets stratosphériques. Plutôt que de rester avec un seul partenaire toute leur vie, certaines personnes optent pour des partenaires multiples, que ce soit pour une courte ou une plus longue période. On appelle cela le polyamour. Il ne doit pas être confondu avec la polygamie. En polyamour, on peut avoir plusieurs partenaires en même temps et chacun des partenaires connaît l’existence des autres et l’accepte. Et la polygamie, c’est une seule personne qui est mariée à plusieurs autres personnes. La dernière est interdite en Belgique, contrairement au polyamour qui est de moins en moins tabou.

« Le polyamour et les autres formes de non-monogamie consensuelle étaient autrefois populaires auprès des nerds de la science-fiction », explique Janet W. Hardy. En tant qu’auteur et experte en expériences, elle étudie le sujet du polyamour depuis plus de vingt ans. Son livre The incorruptible slut est devenu un classique, un livre culte. « Ce n’est pas une coïncidence. Je remarque que le public qui assiste à mes conférences est de plus en plus nombreux et diversifié. Il est clair pour la plupart des gens que la famille nucléaire classique, qui nous a été présentée comme l’idéal pendant longtemps, n’est pas tenable. Les gens cherchent donc d’autres formes de relations. Le polyamour est l’un d’entre eux. Le tabou qui l’entoure disparaît lentement mais sûrement, même s’il est difficile de l’étayer par des chiffres. Quoi qu’il en soit, j’ai remarqué que la communauté poly, que je fréquente depuis plus de trente ans, ne fait que croître, et que les jeunes ont une vision moins rigide de ce que peuvent être les relations.

Le polyamour est beaucoup plus présent dans les médias ces dernières années. L’image qu’on en a est moins noire et blanche. Cela fait réfléchir les gens. Mais il existe encore de nombreux préjugés. Que les relations polyamoureuses ne sont qu’une question de sexe, par exemple. Ou que les gens sont polyamoureux parce qu’ils souffrent de la peur de l’engagement.

Dans notre société, les femmes sont les gardiennes de la sexualité

« Très souvent, on suppose que ce sont principalement les hommes qui contraignent leurs partenaires féminines à une telle poly-construction », ajoute Hardy. Mais c’est l’inverse qui est vrai. Les femmes sont les gardiennes de la sexualité dans notre société. Si elles ne suivent pas, rien ne se passe ».

La résistance au polyamour est souvent le résultat d’une peur plus profonde, précise encore la psychologue Cardinaels. Pour beaucoup de gens, le concept de polyamour semble très éloigné de leur idée de l’amour. Il semble être une menace, tant pour leur relation que pour l’idée même qu’elles se font d’une relation. La réaction logique est donc de rejeter tout en bloc. Si c’est moins risqué, c’est aussi dommage, surtout quand on sait que les coups de canifs au contrat, la monogamie de façade, est elle par contre tolérée sans trop de problèmes. Quand on y pense, il n’y a rien de logique là-dedans. Il serait bien plus sain de réfléchir au type de relation qui vous convient.

Garder de multiples partenaires heureux est une tâche particulièrement ardue

Selon les experts, les couples monogames commettent souvent l’erreur de ne pas réfléchir à ce genre de questions. Les attentes sont beaucoup trop souvent implicites, la relation beigne dans les non-dits. Dans une relation polygame, vous êtes obligé d’être très explicite afin de tenir à distance la jalousie et autres sentiments désagréables. Garder de multiples partenaires heureux est un travail sacrément difficile », explique Hardy. Une communication ouverte est essentielle. Il est important de savoir comment l’autre se sent et de s’assurer que toutes les limites sont respectées. Cela demande beaucoup de connaissance de soi et une bonne dose d’empathie. Et c’est cette ouverture à l’autre qui crée un lien très profond.

C’est cela qui, selon Hardy, explique en partie le succès actuel du polyamour. La communauté poly est particulièrement soudée et sans tabous sur les attentes et les déceptions. Il serait aussi une excellente base pour un engagement sur le long terme, surtout si la relation peut évoluer sans que cela cause la rupture comme c’est souvent le cas dans les relations monogames. Les gens ont toujours vécu en groupe. Nous semblons l’oublier dans notre société actuelle qui est très individualiste. Je pense que cela explique aussi pourquoi de plus en plus de personnes sont ouvertes à d’autres formes de relations et de cohabitation. Nous cherchons à recréer un lien étroit et un sentiment d’appartenance à un groupe.

Matthias*, 37 ans, de Bruxelles, a eu plusieurs relations ouvertes et est maintenant solopoly – célibataire, mais polyamoureux.

« Je suis convaincu que l’homme n’est pas fait pour rester avec le même partenaire toute sa vie et je constate que de plus en plus de personnes partagent cette opinion. Une relation ouverte est beaucoup plus honnête. Elle part de vos propres désirs plutôt que des idées dominantes imposées par la culture ou la religion. En outre, de nombreuses personnes ont, dans les faits, une relation ouverte sans pour autant oser le dire ou même se l’avouer. Je trouve cela complètement absurde. L’ouverture stimule la confiance. Et la confiance renforce une relation, contrairement à la tromperie. Tout le monde sait que l’on peut avoir plusieurs amis sans aucun problème. Dès lors, pourquoi limiter le nombre de ses partenaires amoureux ? ‘

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Je viens de sortir d’une relation ouverte d’environ un an. Nous ne voulions pas nous précipiter et nous avons décidé de ne pas nous contraindre à une relation exclusive. Petit à petit, nous nous sommes rapprochés l’un de l’autre, mais la monogamie n’a jamais été évoquée. Cependant, dès le début, il y a eu des accords clairs sur ce que nous pouvions et ne pouvions pas faire. Les rapports sexuels non protégés, par exemple, étaient absolument hors de question. Bien sûr, ces accords ont été évalués au fur et à mesure. C’est là toute la beauté de la chose : tout est ouvert à la discussion et rien n’est figé.

Il y a quelques années, j’étais quelqu’un qui pouvait être très jaloux. Ce n’est plus du tout le cas. Votre partenaire n’est pas votre chose. Et si vous aimez quelqu’un, vous devez tout lui accorder, y compris la liberté sexuelle. Lâcher son ego et sa jalousie est en fait quelque chose de très beau. C’est un signe d’amour. En outre, il peut être assez excitant de parler des choses que l’autre personne vit avec ses autres partenaires. C’est très instructif et cela peut renforcer votre propre relation.

Ma petite amie et moi ne vivions pas ensemble, et pour être honnête, je trouvais cela très pratique. Sinon, vous risquez de tomber sur les autres partenaires, et, pour moi, c’est un peu trop. Mon ex-petite amie pensait la même chose. Elle ne voulait pas non plus que je lui raconte mes exploits sexuels avec mes autres partenaires. Le fait que notre relation ait finalement pris fin était lié à d’autres facteurs, et non au fait que nous avions une relation non exclusive. J’ai remarqué que la rupture est plus facile à gérer en cas de polyamour. Quand une relation monogame prend fin, on tombe dans un trou noir, alors qu’ici c’est plus supportable.

Il n’est pas exclu que les enfants rencontrent un jour nos « métamours » (partenaire du partenaire)

Filip*, 44 ans, de Gand, est en couple depuis neuf ans, dont sept ans de polyamour. Lui et sa petite amie sont polypartenaires. Ensemble, ils ont deux enfants.

« Nous avons commencé comme un couple monogame, mais cela a changé assez rapidement. Je suis bisexuel, ce qui fait qu’il est difficile de vivre pleinement ma sexualité avec une seule personne. Cela vaut également pour le soutien émotionnel puisqu’on n’est plus obligé de décharger tous ses problèmes uniquement chez son partenaire, qu’il y a du coup aussi d’autres personnes à qui on peut se confier. Pour nous, le polyamour n’est pas seulement une question de sexe. C’est la connexion profonde qui compte, et ce n’est qu’ensuite que le sexe entre en jeu.

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Notre relation est très étroite et je partage beaucoup de choses avec ma femme : une maison, une famille, une vie. Pourtant, il existe également de nombreux domaines dans lesquels nous divergeons. Je suis un snob, assoiffé de culture et très social. Ma partenaire aime elle être tranquille. C’est l’idéal, car je peux vivre ces expériences culturelles avec mon compagnon. Cela ne signifie pas que c’est toujours facile. Nous avons souvent hésité cependant à mettre fin à ce polyamour. La jalousie est une chose affreuse. Par exemple, si l’autre personne oublie une fête familiale à cause d’un rendez-vous avec un partenaire plus, cela fait mal. C’est peut-être là la plus grande leçon : vous devez toujours prendre suffisamment soin de votre relation principale. Si vous remarquez que vous êtes moins centré sur cette dernière, il est temps de faire une pause avec le partenaire plus. Très souvent, vous pouvez compter sur la compréhension de l’autre quand c’est le cas. Néanmoins je trouve que les inconvénients de ce type de relation ne l’emportent pas sur les avantages.

Nos collègues et quelques amis sont au courant de notre relation polyamoureuse, mais pas nos parents. Nos deux filles sont encore jeunes – 2,5 et 6 ans – et il est donc trop tôt pour en parler. On invente généralement une excuse pour expliquer l’absence de l’autre. Ce serait bien si, à un moment donné, nous pouvions en parler ouvertement avec eux, mais il est difficile de prévoir leur réaction. En ce moment, je vois quelqu’un depuis longtemps et le courant passe très bien. Si je reste avec cette personne, il n’est pas impossible qu’elle rencontre les enfants. Mais l’avenir nous le dira. Je pense que la situation risque d’être très différente dans dix ans, soit lorsqu’elles seront prêtes pour une telle conversation. L’idée que l’on doit rester avec un seul partenaire pour le reste de sa vie est tout simplement fausse. »

Fien, 29 ans, de Gand, est en couple avec Christophe (37 ans) et Aurélie (27 ans). Elle partage une maison avec Aurélie, mais elles rêvent de vivre en couple et de fonder une famille.

Aurélie et moi nous sommes rencontrés sur Internet. Sur mon profil de rencontre, je n’ai pas caché que j’étais bi et poly et que je cherchais quelqu’un qui soit ouvert à cela. À cette époque, je ne cherchais rien de sérieux. Je cherchais plutôt ce qu’on appelle un « friends with benefit » (ami avec des avantages). Pourtant, nous sommes tombées éperdument amoureuses. Parce qu’Aurélie savait comment j’étais, elle m’a laissé libre. Je connaissais Christophe depuis avant ma liaison avec Aurélie, mais l’étincelle n’est venue que plus tard. Elle et moi avons immédiatement pensé qu’il nous correspondait bien. Depuis j’ai une relation avec Aurélie et Christophe et ils sont les meilleurs amis.

C’est ma première relation sérieuse non-monogame. Pendant très longtemps, j’ai essayé de me glisser dans le carcan traditionnel que la société nous impose. Je voulais appartenir à un groupe, ne voulait pas trop sortir du lot. Après tout, j’étais déjà LGBT. Pourtant, j’ai toujours ressenti une sorte de manque. Cela me semble normal : il est malhonnête de vouloir qu’un seul partenaire puisse répondre à tous vos besoins sans problème. Il n’est pas non plus logique d’exiger que les désirs non satisfaits soient simplement oubliés. Dans le passé, par exemple, il m’est arrivé de sortir avec des hommes. Ou de trouver un de mes partenaires justes un peu trop sérieux. Rien de grave, mais c’est bien si on peut trouver ce petit quelque chose qui nous manque chez quelqu’un d’autre. Pour moi, être soi-même est ce qui compte le plus dans une relation. Je veux être vu pour ce que je suis – polyamoureux – et non pour ce que je devrais être – monogame.

Nous voulons vraiment former une famille de nous trois.

En ce moment, Aurélie et moi vivons dans une maison que l’on partage. À l’avenir, l’idée est que Christophe vienne aussi y vivre. Nous voulons vraiment former une famille à nous trois. Nous voulons aussi clairement avoir des enfants. Aurélie et moi aimerions avoir un enfant de Christophe. Moi naturellement, elle ce sera avec l’aide de la science. Je pense également qu’il est pratique de partager les tâches ménagères et de s’occuper des enfants à trois : plus on est de fous, plus on rit.

Bien sûr, nous aimerions aussi nous marier tous les trois, mais malheureusement ce n’est pas encore possible légalement, tout comme il n’est pas non plus possible de reconnaître un enfant par trois parents au lieu de deux. Notre entourage le plus proche est parfaitement au courant de notre relation particulière. Les réactions sont mitigées. Je constate qu’il y a encore beaucoup de préjugés. Le manque de tact est également affligeant : comme je vis avec un homme et une femme, je reçois constamment des propositions inappropriées pour des parties à trois. Les gens nous donnent aussi constamment des conseils relationnels. Ou bien ils posent sans honte des questions inappropriées : qui est mon partenaire préféré, pour n’en citer qu’une.

Pour l’instant, il n’y a pas d’autre partenaire en dehors de cette relation à trois, mais je n’exclus pas que cela change à l’avenir. La liberté est toujours négociable, mais elle s’accompagne aussi de responsabilités. Ma petite amie est lesbienne, mon petit ami est hétéro. Parfois, j’ai envie d’être seule avec l’un d’eux pour faire l’amour, mais ce n’est pas toujours facile à organiser. Cela demande beaucoup de tâtonnement, de discussions et de délicatesse pour ne surtout blesser personne. Un équilibre parfois précaire, mais toujours passionnant.

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