Pourquoi certaines personnes adorent les spoilers (et d’autres détestent ça)

Voici pourquoi vous adorez (ou détestez) les spoilers - Getty Images
Voici pourquoi vous adorez (ou détestez) les spoilers - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Peut-être appartenez-vous au camp des personnes qui n’aiment rien tant que connaître la fin dès le début, ou bien au contraire, à celui de celles et ceux qui détestent les spoilers. Il serait en tout cas surprenant qu’ils vous laissent indifférent, car le propre même de ces « divulgâchis » est d’échauffer les esprits. Mais pourquoi donc?

Le simple fait qu’il existe en ligne pléthore de récapitulatifs parfois très détaillés de films et autres épisodes de séries, et que ces contenus rapportent souvent nombre de clics aux sites qui les publient, est un bon indicateur du fait que certaines personnes adorent être spoilées. Loin de gâcher leur plaisir, cette fin connue dès le début leur procure un délicieux frisson d’anticipation, quand elle ne permet pas tout simplement de lever un suspense qui leur serait autrement intenable. Plus surprenant, peut-être? Ces comptes-rendus, pourtant identifiés comme tels dès le titre, sont truffés de « spoiler alerts » avertissant, le plus souvent en gras et en majuscules, que des éléments de l’intrigue vont être dévoilés – on ne sait jamais que ce ne serait pas clair, puisqu’il ne s’agit après tout que d’un compte-rendu présenté comme tel.

Et si ce détail vous fait sourire, réjouissez-vous: cela signifie que vous n’avez jamais dû affronter les foudres de quelqu’un à qui vous aviez malencontreusement révélé le rebondissement d’une série ou d’un film. Car si celles et ceux qui aiment « les spoils » parviendront probablement à poursuivre leur visionnage même sans connaître au préalable le déroulement, pour quelqu’un qui déteste les spoilers, il est souvent tout bonnement impossible de continuer à regarder si le moindre détail a été dévoilé.

Ce qui pose évidemment la question des raisons de cette virulence, mais aussi: pourquoi certaines personnes adorent-elles les spoilers alors que d’autres les détestent?

« Je ne gâche rien, j’améliore »

Le fait est que contrairement à la croyance populaire (dans le camp des « anti) les spoilers, dont la traduction littérale pourrait être « les gâcheurs » ne gâcheraient en réalité pas la suite de l’histoire. C’est d’ailleurs le titre d’une étude publiée en 2011 par l’américain Jonathan D. Leavitt dans la revue Psychological Science, Story Spoilers Don’t Spoil Stories. Pour arriver à cette conclusion, un panel de 819 cobayes (176 hommes et 643 femmes) a été invité à lire une série d’histoires courtes entrecoupées de révélations sur leur dénouement. Verdict?

« Les écrivains font appel à leur talent artistique pour rendre les histoires intéressantes, intéresser les lecteurs et les surprendre, mais nous avons constaté que le fait de dévoiler ces spoilers permettait aux lecteurs d’apprécier davantage les histoires. Et c’est vrai que le spoiler révèle un rebondissement à la fin (par exemple, que l’évasion audacieuse du condamné n’est qu’un fantasme alors que la corde se tend autour de son cou) ou bien qu’il résolve le crime dont traite l’histoire ».

Jonathan D. Leavitt

Loin de gâcher le plaisir, « Il est possible que les spoilers améliorent le plaisir en augmentant la tension » affirme-t-il encore. Même s’il précise toutefois que « bien que nos résultats laissent supposer que les gens perdent leur temps à éviter les spoilers, nos données ne suggèrent pas que les auteurs se trompent en gardant des choses cachées ».

Interviewé 13 ans après la publication de ses recherches par la revue Time Magazine, celui qui travaille désormais en tant que data scientist précisait encore que « lorsque vous connaissez la fin, vous vous sentez beaucoup plus intelligent et vous faites de meilleures déductions. Et je crois qu’en fin de compte, on comprend mieux l’histoire (en bénéficiant de spoilers, NDLR) ».

Un phénomène connu sous le nom de « fluidité de la perception » et expliqué par la chercheuse Eva M. Krockow pour Psychology Today comme notre aisance à suivre une trame narrative quand on sait déjà comment l’histoire se termine.

« Quand on est au courant d’un spoiler, on anticipe le contenu à venir et on l’assimile donc plus facilement. La charge cognitive est allégée. Par conséquent, les différents éléments de l’histoire sont plus faciles à intégrer et à comprendre. L’expérience est donc plus agréable ».

Eva M. Krockow

Autre élément d’explication: le besoin de contrôle de certaines personnes. Si vous êtes du genre à vouloir maîtriser chaque situation, à haïr les surprises et à multiplier listes, prévisions et autres plannings, il y a fort à parier que vous préfériez aussi garder une illusion de contrôle sur la narration.

Spoilers, l’horreur

Voilà pour les « pour ».

Mais les « anti », alors, qu’est-ce qui explique donc leur aversion au moindre spoiler, aussi infime soit-il? Dans une exploration de la question pour Junkyard of the Mind, Neil Van Leeuwen théorise que « nous souhaitons généralement ressentir certaines émotions, comme le suspense et la surprise, lorsque nous consommons de la fiction. Les spoilers nous empêchent de ressentir ces émotions, raison pour laquelle nous les détestons (ou du moins nous les évitons tant que faire se peut), parce qu’ils nous privent de quelque chose que nous recherchons ».

Dans une étude de 2016 publiée dans la revue scientifique Discourse Processes, les psychologues William H. Levine, Michelle Betzner et Kevin S. Autry précisent quant à eux que si les « divulgâchis » révélés en plein milieu d’une histoire avaient peu voire pas d’impact sur l’appréciation de cette dernière, « les spoilers révélés au préalable diminuent quant à eux le plaisir pris par les personnes qui découvrent un récit ». Mieux vaudrait donc mettre les pieds dans le plat en plein visionnage ou alors que votre interlocuteur en est déjà à la moitié de son livre, plutôt que s’il vient tout juste de commencer le contenu en question, donc.

Et puis il ne s’agit pas non plus de négliger l’effet de groupe. C’est que si vous êtes du genre à vous spoiler un film, une série ou même un livre aussitôt après avoir avoir commencé à découvrir son histoire, vous appartenez à la minorité des consommateurs de contenus. En ligne, la plupart des témoignages allant dans ce sens sonnent, si pas comme des aveux de faiblesse, carrément comme des appels à l’aide en mode « au secours, je ne peux pas m’empêcher de me spoiler ». À l’inverse, du moins dans les cinq premières pages de résultats de Google, les personnes qui détestent les spoilers ne semblent pas vivre de conflit interne similaire, peut-être justement parce qu’il est globalement accepté qu’il y a quelque chose de négatif à gâcher une surprise.

Un sondage rapide des membres de la rédaction présents lors de l’écriture de cet article révèle ainsi que 4 d’entre eux seulement apprécient ou du moins, n’ont rien contre les spoilers, tandis que les 11 autres sondés alternent entre « je déteste ça », « j’arrête de regarder si je sais ce qui va se passer » ou même, dans les mots d’un de nos journalistes, « je trouve que les sites qui dévoilent des informations sur un contenu devraient être obligés d’annoncer très clairement s’il va y avoir un spoiler quelque part ».

Et si leur étude de 2011 a remis en question le lien de causalité accepté entre « spoiler » et « plaisir gâché » (voire même carrément démontré le contraire), Jonathan D. Leavitt et son équipe se sont aussi intéressés aux réactions averses, théorisant que la raison pour laquelle il est collectivement admis que les spoilers c’est l’enfer est que « nous sommes par définition incapables de comparer le plaisir tiré d’une expérience si la surprise est gâchée ou non, et on se persuade donc que la version où la surprise est intacte est la meilleure ».

En bien ou en mal, pourvu qu’on arrête avec la culture spoil?

Mais si ce qu’il fallait bannir, ce n’était pas tant les spoilers mais bien plutôt les réactions parfois disproportionnées qu’ils suscitent chez nous?

Dans un article dédié à notre obsession collective pour les spoilers, le journaliste Nischal Niraula pointait récemment dans Collider que celle-ci « ne fait que diminuer notre appréciation de l’offre culturelle disponible. Le tort de la culture du spoiler est qu’elle exagère considérablement l’importance du facteur de choc, reléguant tous les autres éléments d’une histoire à l’arrière-plan. Notre obsession pour les spoilers supprime les nuances fascinantes de toute forme d’art et les réduit à de simples informations brutes : quel personnage meurt? Qui est le meurtrier? S’agit-il d’un rêve? Et ainsi de suite. Inutile de dire que ce n’est pas une façon d’apprécier une histoire ».

Et de rappeler encore qu’il « ne fait aucun doute qu’une histoire, quelle qu’elle soit, ne se résume pas à un simple choc. Et si ce n’est que le facteur choc qui rend un film spécial, alors il convient de se demander si le film mérite vraiment d’être regardé ».

Spoiler alert: que vous les adoriez ou que vous les fuyiez, la meilleure manière de profiter d’un contenu est peut-être de se concentrer non pas sur les spoilers mais bien plutôt sur la qualité de ce que vous êtes en train de lire ou de regarder. En voilà un plot twist!

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