Pourquoi il est important de savoir rire de soi et d’accueillir les faux-pas avec joie
Des anecdotes embarrassantes aux erreurs plus graves, l’humoriste et actrice britannique Dawn French a rassemblé les faux pas d’une vie dans ses Twat Files. Pour notre divertissement, mais aussi et surtout pour illustrer le fait que nous faisons tous des choses stupides et qu’il est donc préférable d’apprendre à rire de soi.
Mais d’abord, twat, ou imbécile, même s’il s’agit en réalité d’un de ces mots presque intraduisibles, décrit par le dictionnaire Oxford comme une insulte adressée à quelqu’un que l’on trouve stupide, odieux ou idiot. Bien que ce ne soit pas vraiment une question d’intelligence, car même des personnes ayant un QI de 145 peuvent parfois être des twats, lesquels sont caractérisés par une forme d’ignorance. S’ils sont parfois méchants, c’est par accident, plutôt que de manière préméditée, et dans la famille de Dawn French, on utilisait ce terme sans se priver. Résultat: l’auteure et personnalité britannique manie le twat comme personne, en ce compris, envers sa propre personne. Ce qui implique une certaine capacité à savoir rire de soi, ainsi qu’elle l’a démontré dans son autobiographie, publiée en 2008.
Lors du processus de rédaction, ce sont avant tout les moments embarrassants, les erreurs et autres ratés qui lui sont revenus en mémoire. Ce qui, de son propre aveu, était quelque peu ennuyeux, « parce que je voulais me présenter comme une personne intéressante, sophistiquée et accomplie, mais plus j’y réfléchissais, plus je réalisais à quel point ces erreurs avaient été cruciales, parce que c’est en étant con qu’on apprend – et aussi, qu’on peut avoir d’incroyables éclats de rire ». Après une série de spectacles à guichets fermés dédiés à cette réalisation (et à une hilarante énumération de moments où elle a trébuché) Dawn French consacre donc un livre tout entier au sujet. Près de 400 pages de ratages, des mensonges qu’elle raconte, enfant, pour se rendre intéressante, à cette soirée glamour chez Elton John qu’elle doit quitter après 5 minutes seulement car elle suffoque dans son costume de gorille.
Regard biaisé
Pour la thérapeute comportementale Valérie Everaerts, il n’est pas si étrange que Dawn French se souvienne avec tant d’exactitude de ses erreurs: « nous nous souvenons des choses dont nous avons honte, dont nous nous sentons coupables ou qui ont simplement mal tourné, parce qu’il est bon pour la survie de l’espèce que nous évitions de nous retrouver à nouveau dans ce genre de situations. Nous sommes aussi fondamentalement des animaux de groupe, avec un besoin d’appartenance très important, et si nous faisons quelque chose d’embarrassant ou de nuisible, les gens nous regardent différemment. Du moins, c’est ce dont on se convainc, raison pour laquelle trébucher n’a pas du tout le même impact si cela se produit dans la rue ou chez soi. Dans ce cas, vous vous sentirez peut-être un peu bête, mais cela ne durera qu’un instant, tandis que si cela vous arrive en public, vous vous persuaderez que tout le monde l’a vu et vous juge ».
Et la thérapeute de préciser que le degré de mémorisation des erreurs varie d’une personne à l’autre, même si « le fait que nous nous prenions parfois pour le centre du monde n’aide pas ». D’autant qu’il n’est pas toujours facile de relativiser ses maladresses, aussi stupides soient-elles, pointe le neuropsychologue Niels den Daas. En cause, l’incertitude, car on ne sait pas toujours si ce que l’on a fait est bizarre ou non. Problème, en tant qu’humains, nous avons une grande intolérance à l’incertitude et à la question du « et si ». En cas de gaffe, il faut tenir compte non seulement de la réalité (« je suis tombé »), mais aussi du scénario effrayant que l’on se monte dans notre tête (« ils se disent que je suis maladroit et me jugent »). Autre souci: « nous avons tendance à être très durs envers nous-mêmes, et lorsqu’on se plante, on a immédiatement peur que les autres portent le même regard sur nous ». La solution proposée par Niels den Daas? Apprendre à rire de soi.
Erreurs et leçons
Nos bévues peuvent nous renvoyer un reflet peu flatteur, explique-t-il. Jalousie, avidité, vanité voire ambition ont le don de montrer leur vilain nez quand on s’y attend le moins et nous prendre par surprise. Mais plutôt que d’y voir quelque chose de négatif, il serait bénéfique de plutôt l’envisager comme une manière d’améliorer sa connaissance de soi. « En acceptant nos bévues plutôt que de les rejeter, et en prenant le temps de ruminer nos maladresses, on se confronte à nos émotions, ce qui permet de mieux les apprivoiser. Ce faisant, on réalise que ce n’est pas la personne en face de nous qui nous rend triste, jaloux ou en colère, mais bien que ça vient de l’intérieur ».
Pour revenir à Dawn French, le fait, par exemple, qu’elle n’ait de cesse de se prendre les pieds dans le tapis métaphorique lors d’événements sociaux lui a permis de prendre conscience qu’elle était en réalité une introvertie qui n’aimait pas la compagnie des groupes. Sa conviction que Johnny Depp la trouvait sexy démontre par contre sa tendance à l’auto-illusion, tandis que le fait que son personnage (à l’origine américain) dans Mort sur le Nil soit devenu, comme elle, britannique, lui a appris qu’elle était en réalité très mauvaise en accents alors même qu’elle pensait exceller. Verdict: « mes erreurs m’ont montré les limites de mes compétences. Je pense d’ailleurs que la raison pour laquelle on fait des conneries est parce que ça nous apprend quelque chose sur nous-même ».
Gare à la positivité toxique
« Apprendre de ses erreurs », c’est l’un des plus grands clichés qui soient. Et pourtant, d’après Valérie Everaerts, « ceux qui commettent des erreurs en se convaincant qu’il s’agit d’une preuve de stupidité vont avoir tendance à se flageller, tandis que les personnes qui pensent en termes de croissance personnelle y verront une expérience dont ils peuvent tirer des enseignements. Trébucher a donc quelque chose de très positif aussi, surtout quand on voit les erreurs comme des opportunités et qu’on a moins peur de prendre des risques. Cela rend la vie plus riche ».
Mais il y a un écueil à éviter pour Niels den Daas, qui n’est pas d’accord avec la croyance répandue qu’on gagne ou on apprend. Prisée dans la culture start-up, cette approche tiendrait selon lui de la positivité toxique. « Parfois, certaines de nos erreurs ont des conséquences atroces, et peuvent blesser profondément d’autres personnes. Cela n’a pas de sens de minimiser la situation en se disant qu’on a tout de même pu en tirer des enseignements. Il est bon et sain de parler ouvertement de ses bévues, mais il est normal aussi d’être malheureux si quelque chose de négatif s’est produit et d’avoir du mal à accepter ce que l’on a fait de travers ».
Rire de soi, avec les autres
« Vous ne pouvez pas imaginer comme je respire mieux maintenant que j’ai cessé d’essayer d’être parfaite, sourit Dawn French. La perfection n’existe pas, elle est impossible à atteindre. Je ne me sens pas proche des gens qui prétendent être parfaits, tout simplement parce que je ne les crois pas. Et puis, que voulons-nous transmettre à nos enfants, surtout à nos filles ? Qu’elles doivent viser la perfection ou qu’elles ont le droit d’être faillibles ? » Un dilemme important pour Valérie Everaerts.
De nos jours, le perfectionnisme semble dominer la société. On exige beaucoup des gens, et on descend ceux qui trébuchent, en vrai mais aussi sur les réseaux sociaux. Paradoxalement, dans un monde où on aspire tous à une forme de contrôle, partager ses erreurs permet de les reprendre en main. Et de (re)créer du lien: « tout le monde se trompe à un moment ou un autre, et en en parlant, on crée un sentiment intense de connexion. Parler de ses failles permet également de se rappeler qu’on est plus que la somme de ce qu’on a fait de mal. En abordant ouvertement ses erreurs, on respire mieux, on a le coeur plus léger, et surtout, on noue des relations plus simples avec les autres ». Disons que ou on gagne, ou on apprend… à mieux se connaître soi-même et à mieux connaître nos proches. Et ça, c’est vraiment positif.
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