Voici pourquoi vous sentez l’odeur de la peau des autres (mais pas la vôtre)

Pourquoi on ne sent pas l'odeur de sa propre peau - Getty Images
Pourquoi on ne sent pas l'odeur de sa propre peau - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

La lecture n’est pas un passe-temps, c’est une promesse, celle de voyager dans le temps et l’espace au gré des ouvrages. Ivre de livres, Kathleen Wuyard vous emmène page à page dans ses périples papivores. Cette semaine, elle s’est plongée dans Fragrancia, un roman haletant qui met les odeurs à l’honneur.

Au jeu des «Tu préfères», dont les choix tiennent souvent moins de la préférence que de la pénitence, il n’est pas rare que les questions tournent autour des cinq sens. Ou du moins, de deux d’entre eux, car l’objectif est de forcer les participants à opter pour une version métaphorique de la peste ou du choléra, et il n’y a rien de tel pour susciter le malaise que de lancer un «tu préfères devenir aveugle ou sourd» bien senti.

Et si ce divertissement repose sur une forme d’insensibilité toujours plus assumée au gré des hypothétiques que l’on impose à l’autre, il manque aussi littéralement de sens. Il est, en effet, rare que l’on pense à inclure l’odorat dans les questions, comme s’il n’avait pas tant d’importance, alors qu’il joue un rôle fondateur dans notre perception du monde. 

Privée de l’olfaction suite à un accident de voiture, la journaliste française Françoise-Marie Santucci avait consacré un (excellent) ouvrage, A la recherche des odeurs perdues, à ce cinquième sens qu’elle qualifiait de «méconnu et essentiel». Et de confier qu’une fois sa capacité à discerner la senteur des choses disparue, «la vie n’avait plus de saveur. Même mes émotions et souvenirs en ont été affectés».

Un constat qui est au cœur de Fragrancia, la sensation littéraire de ce début de printemps qui relate une enquête policière aux relents de dystopie.

Dans la France qu’imagine Paul Richardot, la société qui prête son nom au titre du roman propose aux personnes qui peuvent se le payer de voyager dans le(ur) passé. A l’aide d’une substance psychotrope et du talent d’experts répondant au nom d’olfates, la clientèle peut ainsi revivre ses souvenirs les plus chers grâce à leur parfum.

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Si à l’heure d’écrire cette chronique, cette technologie reste fictive, celles et ceux qui ont la chance d’être en pleine possession de leurs cinq sens disposent pourtant déjà d’une capacité similaire. Et d’autant plus fascinante qu’à senteur égale, le chemin pris dans les méandres de la mémoire aura des destinations bien différentes selon les individus qui la respirent.

Le mélange d’Axe et d’Acqua di Gio m’évoque ainsi les premiers émois adolescents, tandis que l’odeur du pain de seigle me rappelle mon Bonpapa adoré, qui préparait le sien bien avant que le levain ne soit tendance. Si de prime abord, certaines associations olfactives sont plus fédératrices (monoï = vacances d’été, géosmine = pluie…), cela ne veut toutefois pas dire qu’il en est ainsi pour tout le monde.

Formé à l’Ecole Supérieure du Parfum de Paris, Paul Richardot décrit à merveille toutes les nuances que recèle chaque fragrance, notant que son personnage principal, un nez aux capacités exceptionnelles, associe à chaque effluve «une couleur, un souvenir mais surtout une émotion». Si contrairement à moi, votre histoire avec un fan du parfum culte de Giorgio Armani s’est mal terminée, il y a fort à parier que votre réponse émotionnelle à ses notes de jasmin et de citron soit bien moins positive que la mienne.

«Les bons souvenirs, c’est pour cela que nous faisons ce métier», affirme un des olfates de Fragrancia, offrant ainsi aux lecteurs une perspective nouvelle sur ces flacons que l’on saisit presque par automatisme. Ce n’est pas pour rien si les jus de Violet, la maison séculaire que Paul Richardot s’attèle à moderniser quand il n’écrit pas, portent des noms tels que Compliment, Abîme, ou encore, notre préféré, Pour Rêver.

En un peu plus de 300 pages, ce nez fin nous donne une jolie leçon sur l’importance de l’odorat, qui arrive à point nommé en cette saison où la nature tout entière est une invitation à respirer à pleins poumons.

Enfin, sauf si vous souffrez d’une allergie au pollen…

Fragrancia, par Paul Richardot, JC Lattès.

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