Psycho | Comment la pandémie a changé notre vision de l’amitié
La crise sanitaire bouleverse le monde, mais aussi nos vies personnelles. Des choses que nous considérions comme acquises, telles que la famille et les amis, ne le sont soudainement plus. Voici quelques-unes des questions que chacun est en droit de se poser… et les réponses des experts.
En amitié, plus qu’en amour encore, les choses se font généralement naturellement, intuitivement, sans grandes remises en question. Mais au cours des seize derniers mois, nous avons dû réfléchir, plus que d’habitude, à notre réseau social. Les restrictions imposées pour les mariages et les enterrements nous a forcés à trier les invités sur le volet, et nous avons dû également choisir qui aurait ou nous le droit d’entrer dans notre bulle, de se balader avec nous ou de boire un verre sur notre terrasse. Une situation qui a entraîné de nombreuses interrogations, et parfois crispations, comme le raconte ces 8 témoins, auxquels nos spécialistes répondent.
Stefan (39 ans)
J’ai beaucoup moins de contacts avec mes proches, ce qui m’inquiète un peu pour l’avenir. Peut-on espérer un retour à la vie d’avant ?
» Je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas le cas, répond Frank van Overwalle, professeur de psychologie sociale. Notre réseau social est crucial, et quand il s’est effondré, nous ne savions plus quoi faire. D’autant plus que la crise a intensifié nos incertitudes et notre stress. Nous avons traversé une période d’introspection forcée, et nous avons découvert ce qui est important pour nous. Donc oui, sur long terme, quand les mesures seront supprimées, nous retrouverons notre vie normale, en nous connaissant davantage. » Pour l’expert, une bonne amitié peut traverser les épreuves. » Vous retrouverez aisément les personnes avec qui vous vous entendez le mieux et avec qui les silences n’ont rien d’oppressant « , ajoute-t-il.
Pendant la crise sanitaire, mes collègues m’ont manqué plus que mes connaissances et mes bons amis.
Wim (45 ans)
Pendant la crise sanitaire, mes collègues m’ont manqué plus que mes connaissances et mes bons amis. Je peux passer des semaines sans voir ces derniers, mais mes collègues sont une source de motivation essentielle. J’ai eu beaucoup de mal à reprendre le travail seul après trois semaines de vacances l’été passé, par exemple.Est-ce normal ?
» Bien sûr. Nous passons énormément de temps avec nos collègues, nous échangeons avec eux, et un lien très fort peut naître au sein d’une équipe, analyse Frank Van Overwalle. Evidemment, cela dépend des personnalités. Mon épouse a retrouvé le chemin du bureau beaucoup plus vite que moi, par exemple, car ses collègues lui manquaient. Les personnes extraverties ont davantage besoin de contacts. Au cours d’une récente étude, nous avons demandé aux participants quelle était la taille de leur groupe social et combien de contacts sociaux ils avaient eus au cours de la semaine précédente. Les résultats étaient très variables, de 20 à 100. » Alors que les introvertis tireraient leur énergie des moments passés seuls, les extravertis auraient besoin des autres pour se ressourcer. Mais ce n’est pas si simple: un timide peut aussi ressentir le manque de contacts en présentiel. » Nous oublions parfois à quel point le langage corporel est important, et quand nous communiquons uniquement en ligne, nous perdons cet aspect essentiel, relève le psychologue. Les échanges par vidéo limitent également la créativité. L’an passé, nous avons donc organisé quelques » retraites » avec notre département, pour discuter plus en profondeur de certains sujets. Certaines discussions ne sont productives qu’en face à face. «
Remi (35 ans)
J’habite assez loin de ma famille et de mes amis, mais j’ai fait la connaissance de ma voisine au début du confinement. Elle a 74 ans et elle rencontre des difficultés à se déplacer. Elle m’a donc demandé de l’aider à faire ses courses. Nous nous sommes découvert de nombreux points communs, et nous aimons bavarder ensemble. Mes amis trouvent ça bizarre que j’aie une amie qui pourrait être ma grand-mère. Ont-ils raison ?
» Non, rassure Frank Van Overwalle. La distance rend les relations plus difficiles et moins fluides. J’ai aussi remarqué dans ma propre vie que les amitiés avec les personnes qui vivaient à proximité étaient plus faciles à entretenir. Ne pas pouvoir nous déplacer nous fait apprécier ce qui nous entoure. De nombreuses personnes ont reçu le soutien de leurs voisins, et même si les contacts étaient parfois superficiels au début, cela a mené à de belles histoires. Et non, être ami avec une personne plus âgée n’a rien d’étrange, vous partagez simplement des intérêts et des traits de caractère. »
Mes meilleurs amis ne m’ont pas manqué, car je les ai vus et entendus. Mais pour être honnête, j’ai été surprise de constater à quel point mes » connaissances » me manquent, ces amis dont on n’est pas vraiment proche, mais que l’on voit quelques fois par an lors de fêtes ou de dîners.
Annelies (40 ans)
J’ai trouvé la période de confinement bénéfique car j’aime l’idée des petites bulles. Je me suis rapprochée de certaines amies. Nous avions même aménagé notre petit coin Corona : un garage qui correspondait parfaitement aux exigences sanitaires une fois la porte ouverte. J’ai également commencé à téléphoner à mes amies qui habitent un peu plus loin. Je le faisais rarement auparavant. C’était vraiment très libérateur de ne plus devoir aller à des soupers en grand groupe et à des rendez-vous avec des personnes que je n’avais pas vraiment envie de voir. Je ne sais pas dire non, et je me suis surprise à dire : je n’aime pas les soirées au restaurant à huit, désolée. Comment conserver ces moments agréables et chaleureux, cette spontanéité, cette proximité quand la vie normale reprendra ? Allons-nous à nouveau devoir remplir des doodles trois semaines à l’avance ?
» Il n’y a pas d’obligation, insiste Frank Van Overwalle. Dire « non » quand vous n’avez pas envie de faire quelque chose est déjà un bon début, mais vous ne vivez pas sur une petite île, bien sûr. Vous pouvez choisir de vous accrocher à cette ambiance qui vous plaît tant, mais cela dépendra aussi des personnes qui vous entourent. Et la personnalité joue aussi un rôle important ici. » Ce n’est pas parce que vous n’aimez pas les activités de groupe et que vous appréciez les bulles, que vos amis en feront de même une fois la crise terminée. Ils voudront peut-être retrouver la vie, et les nombreux contacts, d’avant. » C’est un choix personnel que nous devons faire, et il serait peut-être judicieux d’en parler entre vous, pour que les choses soient claires « , conseille encore l’expert. La crise nous en a appris davantage sur notre société, et sur nous-mêmes.
Luk (31 ans)
Je trouve difficile de refaire des activités avec des amis sans mon compagnon, comme cela devrait être le cas de temps en temps. Passer un an et demi à ne compter que sur son partenaire, cela laisse des traces. Marcus n’en souffre pas autant et il a tout à fait raison, mais je me sens alors – de manière totalement injustifiée- un peu abandonné. Est-ce essentiel de sortir de sa petite bulle ?
» Le confinement a sans aucun doute rapproché certains couples, constate Frank Van Overvalle. D’autres habitudes ont vu le jour, et retrouver la routine d’avant la crise n’est pas aussi simple que ça. Surtout, soyez patients. Le plus important est que vous parliez ouvertement de ce que vous ressentez, et que vous fassiez preuve de tolérance envers votre compagnon, et envers vous-mêmes. »
Iréne (54 ans)
Mes meilleurs amis ne m’ont pas manqué, car je les ai vus et entendus. Mais pour être honnête, j’ai été surprise de constater à quel point mes » connaissances » me manquent, ces amis dont on n’est pas vraiment proche, mais que l’on voit quelques fois par an lors de fêtes ou de dîners. Je suis plutôt du genre introverti, et d’habitude, je n’apprécie pas vraiment les grands rassemblements. Mais maintenant, ça me manque. Ces événements sont-ils plus importants que je ne le pensais ?
Nous revenons à nouveau au concept d’introverti et extraverti, selon le spécialiste : » C’est un trait de personnalité assez stable. Certains individus ont tout simplement besoin de plus de contacts sociaux que d’autres. » Mais ce n’est pas si simple car à en croire Leen Heylen, sociologue à la Thomas More Hogeschool: nous avons tous besoin de différents types de contacts. Si ces contacts n’ont pas lieu, nous nous sentons seuls. Mais il existe également différentes sortes de solitude. On parle de solitude émotionnelle lorsqu’il nous manque un bon lien affectif avec quelqu’un qui nous connaît et nous fait confiance. Il s’agit généralement de votre partenaire, mais il peut également s’agir d’un ami proche. Lorsque nous pensons à la solitude, il s’agit souvent de la variante émotionnelle. Toutefois, il existe aussi la solitude sociale. Dans ce cas, vous regrettez de ne pas avoir un groupe de personnes qui vous ressemblent autour de vous. En d’autres termes, nos amis et notre famille, mais aussi nos connaissances, nos voisins et nos collègues. Ces contacts informels semblent plus superficiels, mais ils engendrent un sentiment d’appartenance. Un phénomène souvent sous-estimé. «
Jamila (29 ans)
J’ai quatre » meilleures » amies, et j’ai eu énormément de contacts avec trois d’entre elles durant la crise. Mais la quatrième s’est un peu effacée. Elle ne voulait pas nous voir, en utilisant l’excuse du Covid. Je n’arrivais presque jamais à la joindre, et elle ne me rappelait pas. Maintenant que la crise se tasse, elle veut toutefois bien nous revoir. Mais honnêtement, j’estime qu’elle n’a pas été là pour moi ces seize derniers mois. Cette crise nous a-t-elle montré qui était nos vrais amis?
» Ne sous-estimez jamais les conséquences de la crise sur vos proches, rétorque Frank Van Overwalle. Vous avez eu l’impression qu’elle vous donnait des excuses, mais pour les personnes qui habitent avec des patients à risque, respecter les règles le plus strictement possible était la seule option. Mais ici aussi, la communication est la clé. Demandez-lui ce qu’il se passait, avant de tirer des conclusions hâtives. » Il n’est certainement pas étrange qu’une telle crise vous fasse vous arrêter et réfléchir à des questions fondamentales mais il faut aussi réfléchir à ce qu’on ressenti les autres. Chacun a vécu la période différemment. Il ne faut pas trop vite juger.
Nathalie (42 ans)
Je me suis définitivement éloignée de certaines connaissances et je ne peux tout simplement plus me résoudre à rester en contact avec quelqu’un avec qui je n’ai pas de lien profond. Je trouve désormais que c’est une perte de temps. Est-ce grave ?
» Non, c’est même logique, explique Frank Van Overwalle. Les obligations sociales ont disparu, et nous avons pu réfléchir à ce que nous trouvions important, avec qui nous nous sentions bien, et à qui nous voulions consacrer notre temps et notre énergie. Ma réponse pourrait être que certaines amitiés ne sont simplement pas faites pour durer. »
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