Quand acheter mène au malaise

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Aurélie Wehrlin Journaliste

A la veille du tonitruant Black Friday, nous avons posé trois questions à Alexandra Balikdjian, psychologue de la consommation à l’ULB, pour y voir plus clair sur ce qui se joue en nous quand on n’achète… ou qu’on décide de ne plus acheter.

Au- delà de la réponse à un besoin « vital » (manger, boire, se protéger), pourquoi achète-t-on ?

Acheter un objet est un moyen de communiquer, de se raconter, à ses proches, à son entourage et même à des inconnus. On répond à un stéréotype dont on achète les codes et qui permet aux autres de se faire une idée de nous. Acheter c’est acquérir certains attributs, certaines marques – notamment pour les adolescents – pour appartenir à un groupe. Acheter permet d’accéder à un idéal de soi. C’est pour cela que rapidement, dans nos sociétés, acheter et posséder s’apparente à être. Et non plus à avoir.

Quelles sont les différentes dérives liées à l’acte d’achat, à la consommation ?

Il y a d’abord celle de la consommation excessive, compulsive. (appelé « oniomanie », NDLR), où le fait d’acheter provoque/génère un sentiment de bien-être. Mais ce moment est très court. Et la chute génère la honte. Ici, ce n’est pas la possession qui compte mais bien ce moment, ou l’acte d’achat a valeur de récompense.

Il existe aussi une pathologie liée à la nature même du produit acheté. Elle est de plus en plus répandue. À l’origine, il y a l’adoption d’un mode de consommation qui, au départ, est très positif. Il s’agit de consommer bio, ou local, ou de seconde main etc… Mais rapidement il y a dérive, parce que ce type de mode de consommation peut s’avérer difficile à tenir. Alors nait un certain malaise, entre l’idéal de soi, que l’on souhaite véhiculer à travers ce type de consommation, et la réalité. Il y a ici dissonance cognitive, qui génère un mal être.

Pourquoi certains modes de consommation peuvent devenir intenables?

On accorde à son mode de consommation plus ou moins de valeur. Plus on va mettre cette valeur au centre de son existence et plus on va communiquer (via les réseaux sociaux notamment) sur ce mode de consommation choisi parce qu’il arbore cette valeur, plus cette dissonance va s’avérer difficile à accepter. L’attitude très à la mode du zéro déchet par exemple génère des démonstrations très publiques, notamment via Instagram. En montrant ce type de consommation, on veut montrer que l’on sauve le monde. Mais souvent il coince dans certains choix (vacances, invitations, etc), et devient alors intenable. Y déroger demande une certaine flexibilité, à laquelle certains ne sont pas prêts. On arrive à un mode de vie où la consommation, en l’occurrence la non-consommation, devient paradoxalement l’axe central, donc obsessionnelle, inconfortable, voire schizophrénique. À l’image d’un régime alimentaire si drastique qu’il occupe chacune de nos pensées. Si la vie tourne autour de cette non-consommation, cela devient envahissant. Et si cela devient envahissant, on tombe dans la pathologie.

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