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Que reste-t-il de notre part d’ado intérieur? (Et pourquoi il faut la chérir)

Sortir jusqu’à pas d’heure, binge watcher une série, claquer la porte après une dispute, scroller jusque 2 heures du mat’ sur son téléphone, vouloir tout plaquer pour voyager… Si ces comportements vous semblent familiers, c’est peut-être parce qu’un ado rebelle sommeille en vous. Claire Stride, consultante en intelligence relationnelle et autrice, explore notre part d’ado dans son livre Chérir son ado intérieur. Rencontre.

Si adolescence rime souvent avec crise, ce n’est pas pour rien. C’est une période de bouleversements brutaux et d’émotions intenses. Elle est parfois vécue comme inconfortable ou révoltante, la sensation d’être incompris primant sur tout le reste.

Claire Stride est consultante en intelligence relationnelle et émotionnelle, spécialiste de la pleine conscience. Dans son nouvel ouvrage Chérir son ado intérieur, elle explore cette période de l’adolescence souvent intense qui laisse, tout autant que l’enfance, des traces dans notre vie d’adulte. Nous l’avons interrogée, afin de comprendre pourquoi il est nécessaire de guérir et chérir cette part d’ado en nous pour s’épanouir pleinement.

À qui s’adresse votre livre Chérir son ado intérieur?

J’ai écrit ce livre pour les adultes, mais il est aussi fait pour aider les ados d’aujourd’hui. Je pense que ça peut toujours faciliter le dialogue parent-enfant et parent-ado. Il peut permettre d’avoir une vision globale, du type « je vais prendre soin de mon ado intérieur, histoire de remettre un peu de sens dans ma vie et de retrouver du peps et de l’audace, mais je vais également prendre soin des ados d’aujourd’hui afin de leur donner des clés pour pouvoir bien avancer dans la vie ».

Oublie-t-on trop souvent que l’ado qu’on a été influence notre vie d’adulte?

Mon travail d’accompagnement m’a fait réaliser qu’on ne parlait jamais ou très peu de nos traumas d’adolescence. Ma maison d’éditions m’a suggéré d’écrire un livre sur le sujet de l’adolescent intérieur, parce que c’est un sujet rarement abordé, en comparaison avec l’enfance ou l’âge adulte. Et effectivement, ce qui nous constitue ne s’arrête pas à nos traumatismes d’enfant. On continue à en prendre plein la tronche ensuite, et à l’âge adulte, on ne sait pas trop quoi en faire.

Quelles sont les différences entre l’enfant et l’ado intérieur ?

L’enfant intérieur, c’est le petit être qui a besoin d’être sécurisé et rassuré parce qu’il a peur qu’on ne l’aime pas. Il a besoin qu’on lui dise que ça va aller, que tout va bien se passer. L’ado intérieur, c’est celui à qui on va dire s’il a le droit ou pas d’être différent des autres et de vivre sa vie. Le besoin de l’enfant intérieur se lie à sa sécurité émotionnelle pour s’autoriser à être et à prendre sa place. Si cela est bancal, la deuxième phase risque de ne pas bien se passer.

Quelles sont les réactions typiques de notre part d’ado ?

C’est tout ce qui est un peu extrême du style : «Je n’aime pas les gens», «tout le monde me saoule», «personne ne me comprend». Tous les comportements autodestructeurs tels que l’addiction et le fait de dépenser énormément aussi, tout ce qui nous fait sentir comme un sale gosse. L’adulte prend du recul dans ce genre de situations. L’ado, lui, aura tendance à réagir de manière impulsive, il se sentira tiraillé entre son sentiment de ras-le-bol général, et puis par un sentiment de culpabilité après avoir tout envoyé valser. C’est cette part de nous qui a juste envie d’envoyer balader tout le monde, mais qui est aussi tétanisée à l’idée de l’avoir fait et qui va s’autoflageller. 

L’adolescence est une période charnière…

L’adolescence représente vraiment la phase de création d’identité. Bien souvent, on ne sait pas qui on est. On se formate par rapport aux attentes des parents ou de ce qu’on croit comprendre de la société ou même de certains professeurs. L’idée, c’est d’aller se reconnecter avec tout ce qui nous a blessé à cette époque-là pour s’apaiser. Parce que dans beaucoup de nos réactions quotidiennes, notamment sous l’effet du stress, c’est soit notre enfant, soit notre ado intérieur qui prend le dessus et répond à notre place. 

Pourquoi certaines personnes ont du mal à sortir de cette période pour rentrer dans la vie d’adulte?

Soit on vous a appris à avoir peur de tout, et vous ne voulez pas aller dans le monde des adultes parce qu’il a l’air « tout pourri » et que ça ne vous fait pas du tout rêver, soit vous avez vécu des choses extrêmement difficiles et on ne vous a pas laissé être un enfant. On ne vous a pas autorisé l’insouciance d’un enfant, et vous aviez directement des responsabilités. Bien souvent, il s’agit de la responsabilité d’être fort pour ses parents, de réussir pour sa mère, etc. Donc c’est souvent en lien avec la façon dont les gens perçoivent les attentes que l’entourage a eues vis à vis d’eux.

Est-ce une bonne chose de conserver cette part d’ado en nous?

Comme toute part de nous s’inscrivant dans le passé, il y a un côté très chouette, et il y a un côté totalement traumatisé. Malgré cela, il faut se dire que c’est bien d’avoir un ado en soi, parce que ça fait partie de soi. Ensuite, il faut se demander quelle est notre part rebelle, qu’est-ce qui peut nous redonner ce peps et cette audace. Ce côté peut-être même un peu insolent qui agace les gens mais qu’on adore et qui s’est tu à l’intérieur de soi, et dont on a parfois justement besoin pour avancer. 

À la fin de mon livre, je mentionne une chanson d’un groupe québécois dont les derniers mots sont : « va pelleter des villages », ce qui veut dire: vas-y, va rêver, va faire des trucs de dingue. Je pense qu’on a besoin de ça, de cette impulsion positive où on se dit « c’est ça qui me branche vraiment, c’est ça qui fait sens pour moi ». C’est vraiment oser s’écouter. On a tendance à oublier cette partie-là au fur et à mesure des années parce qu’on nous interdit de s’y connecter. Pour les générations qui ont entre 30 et 50 ans, vous ne testiez rien du tout et vous ne la rameniez surtout pas. Vous rentriez dans le moule. Il fallait que cinq ans plus tard, vous ayez un métier, une famille, etc. Donc le but c’est vraiment de s’autoriser à faire émerger cette part de nous que parfois, on n’a pas vécu, et de se dire « il y a un truc qui a la patate à l’intérieur de moi, et je vais aller le voir. »

Et vous, quel genre d’ado vous étiez?

Mon adolescence, c’était la catastrophe, il n’y a pas d’autre mot que ça, ou peut-être ‘au secours’. C’était très compliqué parce que je ne trouvais pas ma place. Et je pense aussi que mes parents n’étaient pas prêts à avoir des enfants. Entre l’éducation qu’ils ont eue et l’époque à laquelle je suis née, ils n’avaient pas les codes. Du coup, j’étais en lutte permanente pour tout et contre tout le monde. 

Puis j’ai vécu des choses pas cool, du harcèlement, des agressions, etc. Mon image de femme a été malmenée et violentée comme ce n’est pas permis. Donc c’était très difficile de comprendre qui je devais être parce que la société me renvoyait une image de ce que devait être une jeune fille. Puis j’ai eu mes règles à 10 ans, donc je me faisais draguer et agresser par des mecs d’une quarantaine d’années dans la rue. Et on ne devait surtout pas parler de ça. Il fallait juste être bon à l’école et ne pas faire de faute.

Tout le monde pense que cette période est censée être super et insouciante, mais c’est parfois l’enfer. C’était compliqué pour moi en tout cas, et je n’avais absolument personne à qui en parler. Et le plus difficile, c’est que pendant tout ce temps, j’ai cru que c’était moi le problème, que je devais me taire et subir.

7 adultes ont tenté pour nous de retrouver leur part d’ado. Ils racontent…

Sarah, 23 ans: « Je ressens cette part détruite qui essaye de survivre et qui essaye de se protéger ».

« Mon ado intérieur se manifeste encore beaucoup. Par exemple, par ma spontanéité. Je vis comme j’en ai envie, j’essaye de voir la vie avec le moins de stress possible même si je suis anxieuse. Côté négatif, il y a aussi toutes mes blessures. C’est très compliqué de s’en défaire car elles datent finalement de peu! Pratiquement toutes celles que j’ai remontent à l’adolescence. Quotidiennement, je ressens cette part détruite qui essaye de survivre et qui essaye de se protéger. On parle beaucoup de l’enfant intérieur, mais là c’est vraiment l’adolescente intérieure qui a vu la cruauté du monde, la méchanceté, qui s’est faite piétinée à certains moments. C’est donc très compliqué à surmonter, ce mal-être quotidien. » 

Thomas, 26 ans; « La seule chose adulte que j’ai en moi, c’est le fait que je doive payer mon loyer. »

« L’adolescence c’est magnifique, c’est la liberté, l’insouciance totale, c’est « rien ne peut m’atteindre, rien ne peut me toucher », c’est « le seul truc pour lequel je suis triste, c’est parce que je viens de me faire larguer par ma première petite amie ». C’est hyper léger et c’est magique. Aujourd’hui, ma part d’ado, est toujours en moi et elle se demande quand est-ce qu’on va la continuer. Comme si à un moment donné, j’avais eu 21 ans et que j’avais dû devenir adulte. Mais je suis resté très tard ado et cette part reste très présente parce que je ne me considère pas comme un adulte. Pour moi je suis toujours un gamin. La seule chose adulte que j’ai en moi, c’est le fait que je doive payer mon loyer, payer mes factures. C’est la seule chose qui me préoccupe un petit peu. » 

Raphaël, 32 ans: « Je ne regrette pas les choix que j’ai fait étant plus jeune. »

« Mon adolescence à été plutôt luxueuse. Mais j’ai senti que mon parcours, surtout au niveau de ma scolarité – la scolarité classique, celle que les ados ont en général – ne me plaisait pas du tout. Je me suis alors rendu compte en ce qui concerne mes parents que je ne me sentais pas spécialement en accord avec leur attentes. Mais je ne regrette pas les choix que j’ai fait étant plus jeune, ni de dormir en cours, ni d’avoir choisi de devenir cuisinier. »

Agostina, 35 ans: « Aujourd’hui, on peut dire que je suis beaucoup plus fêtarde, je fais un peu des trucs d’ado. »

« Si je devais décrire mon adolescence, ce serait « insouciante ». Elle a été très préservée des pressions sociales au niveau des amitiés et du paraître, que je ressens davantage aujourd’hui à l’âge adulte. Je fais beaucoup plus attention à mes relations sociales, à voir du monde, faire des activités avec mes enfants. J’ai plus de pression maintenant.

Ado, j’avais quelques amis extrêmement fidèles et je me contentais de ça. Je n’étais vraiment pas soigneuse de mon image, et donc j’ai vécu un peu dans une bulle d’insouciance et de bonheur. J’étais protégée des agressions extérieures et du qu’en dira-t-on. Quand je prends du recul maintenant, je me dis que c’était génial en fait, parce que comme je n’étais pas très populaire, je me contentais de mon petit monde, et ça me convenait parfaitement. 

Ma part d’ado, elle se manifeste quand je suis dans des excès. Je peux passer des soirées où je n’ai pas de limites et boire beaucoup. Finalement je n’ai pas beaucoup fait la fête jeune, j’étais sage. Aujourd’hui, on peut dire que je suis beaucoup plus fêtarde, je fais un peu des trucs d’ado. Même si je suis maman, je peux encore faire des trucs un peu débiles comme regarder une série jusque super tard ou scroller sur mon téléphone jusque 1h du matin. »  

Vanessa, 53 ans: « Je me dis que ce serait dommage de partir de cette terre sans avoir réalisé une partie de ce rêve. »

« Ado, j’avais besoin de libertés. J’avais des parents assez stricts. Je n’étais pas spécialement facile pour eux. Il y avait des bons souvenirs, mais des moments de doute aussi. La scolarité classique ne me convenait absolument pas. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé par la suite d’inscrire mes enfants dans des pédagogies scolaires plus ouvertes. 

Je pense que tu gardes toujours une part d’adolescence… surtout moi. J’ai conservé cette légèreté, tout en étant responsable en ce qui concerne mon travail et mes enfants. J’ai toujours ce côté un petit peu révolté, mais évidemment en beaucoup plus calme. La vie de famille, les enfants, ça calme quand même. Moi je voulais voyager, partir, aider mon prochain dans les ONG. Je ne savais pas quoi faire comme études, et puis mon envie de fonder une famille a primé. Je sais que si j’ai une opportunité de partir maintenant, je le ferai. Parfois je me dis que ce serait dommage de partir de cette terre sans avoir réalisé une partie de ce rêve. Alors j’ai fait beaucoup de bénévolat, notamment à l’UCL, pour un petit peu combler cette envie et ça m’a beaucoup apporté. Mais je n’ai aucun regret, j’ai adoré ma vie de maman.» 

Christine, 56 ans: « Le fait d’être adulte te donne d’autres priorités, tu mets vraiment tes rêves entre parenthèses ».

« Tristement, je ne ressens pas de part d’ado en moi. J’adorerais pouvoir revenir à cette période où finalement, rien n’était important à part toi-même. Cette légèreté, j’essaye de la retrouver mais c’est très compliqué. L’autorité est toujours très difficile pour moi mais je pense que c’est plutôt un état d’être, pas une question d’âge. Et ce qu’il y a aussi, c’est que maintenant je ne me mets plus à l’envers – de quelque manière que ce soit – donc lorsqu’il y a des addictions, c’est peut-être justement pour retrouver cette espèce de légèreté, de naïveté, d’inconscience qui attrait à l’adolescence. 

À partir du moment où tu deviens adulte, que tu as 33 ans et que tu deviens mère, tes ambitions et tes rêves, même s’ils sont toujours là parce que je pense que ça fait partie de ton essence, il y a des choses que tu ne peux plus faire. Le fait d’être adulte te donne d’autres priorités, tu mets vraiment tes rêves entre parenthèses. Néanmoins, j’ai quand même toujours fait ce que je voulais faire. La conclusion de ça, c’est que le temps d’adulte passe très vite. C’est comme si le temps t’appartenait jusqu’à ce que tu deviennes adulte. Quand tu le deviens, c’est comme si le temps ne t’appartenait alors plus, et il y a des choses qui ne seront peut-être plus réalisables parce que le temps t’a rattrapé. »

Catherine, 73 ans: « Mais mon rêve d’ado, je l’ai réalisé bien plus tard ».

« Quand j’étais ado, les adultes me saoulaient. J’avais envie de plus de liberté. Il fallait obéir, rester polie. Je réagissais beaucoup, surtout avec ma mère, c’était impossible de discuter avec elle. À cette époque, les parents décidaient. Puis quand il y a eu mai 68, là tu te rendais bien compte qu’il y avait autre chose qu’obéir à ses parents, qu’il y avait des choses plus intéressantes à faire, qu’on pouvait aller contre eux et avoir son avis à soi. Ça m’a aussi permis de voir qu’ils n’étaient pas tout puissants, pas infaillibles et tout beaux. Ils n’avaient pas toujours raison quoi. Et ça m’a permis d’oser le dire.

Quand j’ai eu 18 ans, dans ma tête je me disais que j’allais aller à l’université car je voulais être avocate. Puis ça ne s’est pas du tout passé comme ça puisque je suis tombée enceinte. Donc je n’ai pas fait de droit, j’ai eu un enfant et j’ai fait ma vie autrement, et ça s’est bien passé. Mais mon rêve d’ado, je l’ai réalisé bien plus tard. Quand ma fille m’a annoncé à ses 20 ans qu’elle était enceinte, qu’elle voulait arrêter ses études et avoir cet enfant. J’étais étonnée et je ne comprenais pas. Elle m’a alors dit « moi je veux cet enfant, c’est toi qui veux étudier ». Et j’ai soudain réalisé qu’elle avait raison, que c’était moi qui voulais étudier. C’est moi qui en avais toujours eu envie, donc c’est moi qui allais le faire. Je me suis donc inscrite à l’université et j’ai commencé des études à 40 ans. »  

Chérir son ado intérieur, Claire Stride, Editions Leduc.

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