Comment faire en sorte que votre fils devienne un mec bien
Première génération post MeToo, les petits garçons d’aujourd’hui seront les hommes de demain, avec ce que ça implique de défis à relever pour en faire des mecs bien. Une responsabilité pesante, qui échoit trop souvent aux femmes.
« Tu seras un homme, mon fils. » Oui, mais ça veut dire quoi, en 2024 ? Et surtout, comment y parvenir ? Si la définition de l’homme moderne, ou du moins la perception actuelle du « mec bien », prévoit que ce dernier soit, si pas féministe, a minima en faveur de plus d’égalité entre les sexes, le travail d’accompagnement que cela nécessite échoit encore (trop) souvent aux femmes.
Une charge mentale en plus pour les mères
Un mal… pour un bien ? Il faut bien que quelqu’un s’en charge, après tout, et puis vu la répartition actuelle du pouvoir dans la société, les femmes ont plus à y gagner. Sauf que justement, cela ne fait qu’ajouter encore un peu de poids à une charge mentale déjà écrasante, dénonce la journaliste parisienne Aurélia Blanc, autrice de Tu seras une mère féministe ! et Tu seras un homme – féministe – mon fils !, à la réédition duquel elle travaille actuellement.
C’est que depuis sa publication en 2018, beaucoup de choses ont changé, sauf une, pourtant de taille : dans l’imaginaire collectif, c’est toujours aux mères qu’il revient de s’assurer que leurs rejetons deviennent des mecs bien.
« Au moment de la publication de mon livre, j’ai beaucoup regretté de ne pas avoir glissé quelques mots sur le sujet, parce qu’il faut se rendre à l’évidence : ce sont essentiellement les mères qui portent cette charge. Pas tant parce que les pères se fichent d’élever des garçons acteurs de l’égalité des sexes, ils sont tout un tas à être d’accord sur l’importance de la question, mais dans les faits, qui passe son temps à rassembler du contenu ludique et pédagogique sur le sujet, à chercher des activités adéquates et à porter le gros de la charge éducative ? Les mères », pointe celle qui est elle-même maman d’une fille et d’un garçon, et pour qui la naissance de son fils a tout changé.
Les violences sexistes sont partout
De son propre aveu « féministe de longue date », bien qu’ayant grandi dans un foyer où la répartition « traditionnelle » des tâches selon les sexes était en vigueur, tant entre sa mère et son père qu’entre elle et son frère, Aurélia Blanc confie que la réalisation au moment de sa première grossesse qu’elle attendait un garçon a été « vertigineuse ».
Avec, au cœur, un questionnement : comment transmettre ses valeurs féministes à un petit garçon, sans non plus l’écraser sous le poids de ses convictions ? « Avec une fille, ça me semblait beaucoup plus simple, puisqu’elle serait probablement confrontée à toutes sortes de violences sexistes », pointe la journaliste.
Les violences sexistes ne sont pas l’apanage d’une poignée d’hommes déséquilibrés. Elles sont très répandues, en ce compris chez nos potes, nos pères, nos frères.
Aurelia Blanc
Et d’enchaîner : « Pour un garçon, par contre, élever un homme qui ne soit même pas féministe mais juste décent, et conscient de ne pas reproduire ces violences sexistes, me semblait beaucoup plus complexe. Parce que je sais qu’elles ne sont pas l’apanage d’une poignée d’hommes déséquilibrés ou malveillants, mais bien qu’elles sont très répandues, en ce compris chez nos potes, nos pères, nos frères, et que mon fils pourrait un jour faire partie du problème. »
Des chiffres qui parlent
C’est ainsi que selon les données diffusées en 2020 par l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes, 81 % des femmes belges effectueraient quotidiennement des tâches domestiques, contre 33 % de leurs compatriotes masculins seulement. Signe que c’est une problématique qui commence dès le berceau, et dont la résolution ne fait qu’ajouter à la charge féminine : près de la moitié des Belges ayant de jeunes enfants (46 %) adaptent leur organisation de travail, contre tout juste 22 % des hommes dans la même situation.
Résultat : on retrouve plus de travailleuses (45 % des femmes actives) que de travailleurs (12 % des hommes actifs) à temps partiel en Belgique, ce que Michel Pasteel, directeur de l’Institut pour l’Egalité des femmes et des hommes, dénonce comme étant l’un des « principaux obstacles à l’égalité de genre sur le marché du travail et l’une des principales causes de l’écart salarial ».
Et de pointer qu’une meilleure répartition des tâches domestiques serait bénéfique pour tout le monde : « Les mères auraient davantage d’opportunités sur le marché du travail ainsi qu’un meilleur revenu, les pères auraient plus de temps pour être à la maison, et cela tout en allégeant la pression ressentie par les familles. » Autrement dit: pour élever des mecs bien, il faut… des mecs bien, et la mise en place d’un cercle vertueux qui laisse aux femmes la place qu’elles méritent – et qu’elles ne pourront pas obtenir simplement en inculquant à leur fils l’importance du féminisme.
L’avis d’un homme
Pour Thomas Piet, musicien et auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Pourquoi papi ne fait pas la vaisselle? qui vient tout juste de paraître aux éditions Leduc, l’envie d’examiner l’éducation de plus près est venue de son désir de fonder une famille avec sa compagne, Ophélie Célier, avec qui il cosigne ce précis illustré.
Constat de départ : les choix éducatifs posés par les parents ont un impact important sur l’enfant, lui-même adulte en devenir, et donc sur la société à venir. Et tant pis si cela implique de bousculer le statu quo et de froisser un peu ces messieurs, « mis face à leurs privilèges et privés de leur impunité ». C’est un homme qui le dit.
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Et qui affirme dans la foulée la nécessité de se libérer du « sexisme intériorisé » par notre société, qui voit les femmes assumer la part du lion de l’éducation car elles sont vues comme étant plus douces et à même de prodiguer des soins. Or comme le martèle Aurélia Blanc, « les femmes ne sont pas seules à pouvoir faire changer la société, le modèle des pères est important aussi ».
Montrer l’exemple
Mais quel modèle ? Comment élève-t-on des garçons féministes ? En… déculpabilisant. Le mieux est l’ennemi du bien, dans l’adage comme dans la vie, et la Parisienne rappelle qu’il n’y a « pas besoin de vivre une égalité parfaite pour pouvoir espérer élever des enfants engagés, quel que soit leur sexe ».
« Chaque parent fait avec ses moyens », rassure-t-elle. Et d’ajouter qu’aucun couple n’est parfait, même ceux qui sont convaincus d’être égalitaires, « mais ce n’est pas pour autant que tout est fichu et que les enfants reproduiront nécessairement ce modèle ».
Pas plus qu’il ne s’agit de ne les exposer qu’à des modèles idéalisés : « Adopter une éducation féministe ne veut pas dire qu’on ne va proposer à nos enfants que des livres très progressistes et engagés. C’est aussi intéressant de leur transmettre une part de notre culture marquée par le sexisme, en ce compris certains contes et récits très marqués, parce que ça permet d’ouvrir le dialogue avec eux. »
Pas besoin de vivre une égalité parfaite pour pouvoir espérer élever des enfants engagés, quel que soit leur sexe.
Aurelia Blanc
Même si, pour Thomas Piet, il ne s’agirait pas d’oublier que les enfants fonctionnent par imitation, et que si on veut éduquer aujourd’hui les acteurs de l’égalité de demain, il est important de leur montrer l’exemple au quotidien. Ce qui passe aussi pour lui par leur exposition à des propositions culturelles où les rôles ne sont pas déterminés par le genre et où les violences sexistes ne sont pas normalisées.
Et quand c’est le cas, « on explique à l’enfant pourquoi c’est l’exception, et pas la règle ». Même si les meilleurs efforts des parents ne sont jamais qu’une réponse individuelle à un problème collectif et systémique.
Le chemin encore long
« Evidemment que l’éducation à la maison ne suffit pas, souffle Aurélia Blanc. C’est un levier qui permet de faire avancer les choses sur le plan personnel, mais tant qu’on est dans une société qui protège juridiquement et médiatiquement les agresseurs, on a beau éduquer des petits garçons respectueux des femmes et du consentement, ça va coincer. » Et de confier ressentir parfois un grand découragement, et avoir l’impression « d’essayer de vider l’océan à la petite cuillère ».
On ne peut donc pas demander aux garçons d’incarner une égalité qui n’est présente nulle part dans la société
Thomas Piet
Et ça aussi, ça pèse, mais pas que sur les mères. « Se reposer uniquement sur l’éducation fait porter l’entièreté de la charge de changement à nos enfants. Or ils ne se construisent pas qu’en écoutant les belles paroles de leurs parents, mais bien aussi en copiant et imitant ce qu’ils observent… On ne peut donc pas demander aux garçons d’incarner une égalité qui n’est présente nulle part dans la société », épingle Thomas Piet. Pour qui, malgré la meilleure volonté des parents, « tant que le sexisme systémique sera la norme, il sera difficile pour les générations à venir d’en sortir ».
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Santé mentale des jeunes garçons
Alors quoi, on abandonne ? Non, encourage Aurélia Blanc. « Bien sûr que les changements sociétaux sont longs à se mettre en place, mais cela ne veut pas dire que les choses ne changent pas pour autant. Ado, j’ai énormément souffert du harcèlement de rue, qui a d’ailleurs été le déclencheur de mon féminisme, et aujourd’hui, ce n’est plus quelque chose auquel ma fille sera exposée de la même manière. C’est peut-être naïf de ma part, mais je choisis de croire qu’en éduquant plein de petits mecs sensibilisés aux problèmes de genre, on pourra transformer la société. »
Et l’amener à être plus égalitaire, et non « dévirilisée », comme l’assurent les détracteurs de cette nouvelle approche de l’éducation des garçons.
Une critique qui renvoie à une vision rigide de la virilité, laquelle est aussi détrimentaire pour les hommes que pour les femmes. « Ces injonctions nuisent gravement à la santé mentale des jeunes garçons », met encore en garde notre interlocutrice, citant la proportion de suicides, première cause de mortalité chez les hommes dans nombre de pays occidentaux (ainsi en 2020, sur les 1732 suicides aboutis en Belgique, 1259 étaient des hommes et 473 des femmes), et se demandant pourquoi défendre bec et ongles un modèle dans lequel tant d’hommes ne se retrouvent pas et qui leur fait beaucoup de mal.
« Tu seras un homme, mon fils » donc. Affranchi des normes de genre, quelles qu’elles soient. Et plutôt du genre à réparer les inégalités qu’à les perpétuer.
Comment faire face au retour des masculinistes et déjouer leur influence
Alors que le discours autour de la nécessité de revoir l’éducation des garçons n’a jamais été plus animé, sur les réseaux sociaux, un autre modèle se met en place, tout sauf vertueux. Avec Andrew Tate comme figure de proue, une nuée de masculinistes propage ses idéaux sexistes à un public toujours plus jeune. Et influençable.
A Miami, Sneako, disciple de Tate, a ainsi été pris à partie par une bande de garçonnets qui, non contents de lui demander des selfies, se sont mis à scander des insultes sexistes et transphobes. D’après une étude réalisée par le service d’aide aux victimes de violence domestique britannique Women’s Aid, les spectateurs les plus précoces de ce type de contenus ne seraient âgés que de 7 ans seulement.
Toujours selon Women’s Aid, les enfants et ados exposés à des propos masculinistes en ligne seraient 5 fois plus susceptibles que les autres de considérer que la violence physique est excusable si l’on « demande pardon » à sa victime après l’avoir frappée. Un message aux antipodes de ceux que les parents responsables veulent transmettre à leurs enfants.
Votre fils est séduit par ces théories : que faire?
Eviter le clash ou l’interdiction. Il est important de se rappeler que ces influenceurs agissent comme des gourous sur leurs followers. Et donc d’y aller en douceur, en renouant le dialogue, et en faisant preuve de soutien, même si la tentation est forte de punir.
Un ado engagé à suivre : Isaac Ohringer. Dans une lettre ouverte pointant le statut iconique de Tate et al. auprès de ses pairs, l’ado britannique Isaac Ohringer recommande d’aborder les thématiques problématiques (consentement, violence…) de manière détournée, plutôt que de nommer les influenceurs, afin de ne pas cabrer votre enfant.
Une lecture inspirante. A travers Formés à la haine des femmes, dont on vous recommande chaudement la lecture, la journaliste française Pauline Ferrari explore l’emprise des masculinistes sur un nombre croissant de jeunes garçons. Et met en garde contre la banalisation d’un phénomène qui n’augmente pas seulement la proportion de sales types, mais bien, aussi, le risque d’attaques terroristes, à l’image de la tuerie de Toronto en avril 2018. On y revient : éduquer des mecs bien n’est pas simplement un problème parental, c’est politique et sociétal.
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