Pourquoi poser les bonnes questions à vos (grands-)parents est primordial
Et si, plutôt que d’être un vilain défaut, la curiosité s’avérait salutaire quand il s’agit de s’intéresser au passé de nos proches? L’intérêt grandissant des chercheurs pour le sujet et la croissance du marché dédié à la transmission générationnelle le laissent penser. Et invitent à poser les bonnes questions.
Comment vos grands-parents se sont-ils rencontrés? De quelle vie rêvaient-ils, petits? Et vos parents, exercent-ils la carrière à laquelle ils aspiraient? Quels adolescents ont-ils été? Si certains ont la réponse à chacune de ces questions, pour la plupart des gens, la vie intime des générations qui les ont précédés reste un mystère. Pas tant par manque d’intérêt que parce que tout enfant ou ado appréhende les adultes qui l’entourent précisément comme s’ils avaient toujours été adultes, père ou grand-mère et jamais ado ou petite fille. Mais aussi parce que le temps que l’envie d’en savoir plus sur les vies de nos ancêtres se fasse sentir, il est malheureusement parfois trop tard pour obtenir les réponses aux questions qu’on se pose.
Et pourtant, les poser peut s’avérer bénéfique, tant pour la personne qui interroge que pour celle qui répond. « Je suis très occupé à raconter ma vie. Je fais des brouillons que je modifie, complète et corrige, donc je n’avance pas, mais j’adore! », s’enthousiasmait récemment le grand-père de l’autrice de cet article, heureux destinataire d’un livre incitant les grands-parents à coucher leur histoire sur papier et ravi d’avoir l’occasion de se replonger dans des décennies de souvenirs. Et pour ceux qui ont l’opportunité de la lire ensuite, l’effet est tout aussi bénéfique.
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Les histoires dans l’Histoire
Comme l’explique l’anthropologue texane Elizabeth Keating, qui signe un livre dédié à ce qu’elle qualifie de « questions essentielles » (1), il est important de parler à ses proches plus âgés de leurs expériences de vie.
D’abord, parce qu’il y a beaucoup de chances que ce que vous découvriez soit bien plus intéressant que vous ne le pensez. C’est aussi extrêmement utile: le monde a changé de manière spectaculaire, et en posant les bonnes questions aux personnes qui ont traversé ces changements, vous pouvez en apprendre beaucoup sur leur histoire, mais aussi l’Histoire en général. Et puis c’est une excellente manière de passer du temps avec les gens que vous aimez » souligne-t-elle.
Un constat au fondement des éditions Minus (2), spécialisées dans « les livres qui font du lien ». Soit une série d’ouvrages et de jeux qui incitent à se poser des questions en famille, nés de l’envie de ses fondatrices, Julie et Alexandra, de passer du temps de qualité avec leurs enfants et de « faire pétiller les petits moments de la vie quotidienne ».
Passé composé
Ainsi que l’explique Amélie Boï, leur associée au sein de l’éditeur lillois, « on a rapidement réalisé que les livres à remplir par les parents et les enfants rencontraient un succès bien plus important que d’autres produits, donc on a décidé d’angler notre collection là-dessus ». Un succès qui n’étonne pas celle qui est elle-même maman, et constate qu’au quotidien, « que ce soit le soir à table ou bien en vacances, ce sont toujours les mêmes sujets dont on discute avec nos enfants, leurs notes, ce qu’ils ont fait à l’école, ou bien des reproches sur leurs fringues… ».
On voulait proposer une manière légère de reconnecter les membres d’une même famille et de renforcer les liens. D’autant que poser les bonnes questions à ses proches demande de l’imagination, pas toujours présente au moment propice ».
Par exemple, lors d’une conversation avec un proche âgé, dont préserver les souvenirs est d’autant plus précieux qu’on ne sait pas pour combien de temps encore il pourra les partager. C’est pour ça que Familium (3) a aussi décidé d’éditer les livres de questions imaginés par Monika Koprivova et pensés pour inciter les grands-parents à coucher leur passé sur papier. « Son grand-père était journaliste et avait interviewé des gens toute sa vie, mais personne ne lui avait jamais posé de questions à lui jusqu’à ce que Monika se lance », explique Lucie Benesova, responsable de projets chez Familium. Qui confie que « le plus difficile a été de sélectionner les sujets. On a décidé de commencer par l’enfance puis de dérouler la chronologie d’une vie, avec des questions majoritairement positives, mais qui laissent aussi la place pour chroniquer les rebondissements inhérents à chaque parcours ».
Et Lucie de souligner que même si chacun d’entre nous pense vivre une vie ordinaire, chaque histoire est particulière et peut être une source d’inspiration pour les autres. « Poser des questions à ses parents ou à ses grands-parents permet de découvrir des éléments de l’histoire familiale qui ont été oubliés, mais aussi de mieux cerner nos racines, et donc, de mieux comprendre ce qui a pu influencer la personne que nous sommes aujourd’hui, assure encore Lucie. Cela dénote aussi d’un intérêt pour la vie de nos proches, ce qui les rend heureux parce que cela leur donne le sentiment que leur parcours a été exceptionnel ». Un parcours qu’il s’agit toutefois d’évoquer de manière méthodique, avec ou sans livre ou autre jeu de cartes pour mener la discussion.
Une autre vision du monde
« J’ai essayé d’interviewer ma mère quelques années avant sa mort, mais ça n’a pas donné grand-chose parce que j’étais trop absorbée par le fait d’être sa fille. Piégée par ma propre image d’elle, je ne posais que des questions dont j’avais déjà la réponse », regrette Elizabeth Keating. Qui conseille donc d’aborder la démarche de manière anthropologique.
En tant que scientifique, nous ne posons jamais de questions rhétoriques, notre objectif est de sortir de nos connaissances et de nos préjugés pour voir le monde de manière différente. C’est ainsi qu’il faut se positionner quand on pose des questions à nos parents ou à nos grands-parents. Votre grand-père ou votre grand-mère a aussi un jour été un enfant avec un jouet préféré, ou un ado qui embrassait quelqu’un pour la première fois. Les anthropologues ont tendance à être fascinés par les détails de la vie quotidienne, alors que les grands-parents, eux, ne voient pas l’intérêt de parler des leurs, alors même qu’ils sont de la plus haute importance », assure la Texane.
Car ces derniers ne peignent pas seulement un portrait de la vie de vos ancêtres, mais bien aussi du monde au sens large: « Les livres et les médias généralisent l’Histoire, comme si tout le monde avait vécu exactement la même chose au même moment. Mais dès qu’on s’intéresse aux parcours individuels, on réalise que chacun a ressenti ces événements de manière différente ». Voire même, parfois, douloureuse. Des traumatismes qu’il n’est pas simple d’évoquer: « Les gens s’inquiètent de la manière dont on se souviendra d’eux, et préfèrent donc ne pas parler des moments difficiles qu’ils ont pu traverser, de peur que ce ne soit ça qui reste », décrypte Elizabeth Keating.
Questions sensibles
Faut-il pour autant les éviter? Pas si on part du principe que les questions qu’on pose aux générations précédentes permettent aussi de guérir les blessures du présent. C’est le fondement de la pratique de Géraldine Dupont, spécialiste de la psychogénéalogie et de l’hypnose transgénérationnelle dans le Namurois. Ainsi qu’elle l’affirme, « la majorité de nos émotions, de nos comportements, voire même certaines maladies, sont transgénérationnelles ». Et de souligner l’importance de s’intéresser de plus près à notre arbre généalogique pour mieux comprendre les loyautés familiales, mais aussi les éventuels schémas que l’on répète.
Enormément de familles ont des secrets qui pèsent sur chacun de leurs membres, qu’ils en aient conscience ou non. En se plongeant dans le passé, on résout les problèmes du présent » assure Géraldine.
Mais pas n’importe comment: « Il vaut mieux encourager ses parents ou grands-parents à raconter leur histoire plutôt que de leur poser des questions parfois très profondes qui peuvent induire une forme de culpabilité chez la personne qui la reçoit et qui se sent alors responsable de certaines choses qui ne sont pourtant pas de son ressort » met-elle encore en garde. Pour Lucie Benesova, aborder les sujets sensibles est plus facile à l’aide d’un objet qui cadre le questionnement, « car cela apporte une forme de réassurance. La personne ne soupçonne pas les questions d’être posées avec l’une ou l’autre arrière-pensée ». Et les réponses, elles, peuvent aider non seulement à mieux comprendre qui on est maintenant, mais à mieux affronter également un deuil futur, en gardant, à défaut de l’être aimé, sa mémoire vivante, une question à la fois.
(1) The Essential Questions, par Elizabeth Keating, TarcherPerigee.
(2) minus-editions.fr
(3) familium.fr
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